Il y a une raison purement mathématique au taux d’aug- mentation du couÌ‚t des soins de santé pour le gouvernement, tout comme il y en avait une aÌ€ l’escalade inéluctable des déficits et de la dette publique dans les années 1980 et 1990. Actuellement, les couÌ‚ts de l’assurance- maladie augmentent plus rapidement que les revenus de l’EÌtat, et les efforts frénétiques des gouvernements pour trouver toujours plus d’argent pour la santé les entraiÌ‚nent aÌ€ négliger ou aÌ€ sous-financer d’autres importantes priorités. AÌ€ la longue, ce scénario va déboucher sur une crise et la ges- tion de crise ”” je parle en connaissance de cause ”” n’est pas propice aÌ€ la prise de décisions.
La crise financié€re des années 1990 aurait pu é‚tre évitée si les gouvernements avaient voulu comprendre que la progression arithmétique d’un déficit financier est insoutenable. Les gouvernements d’aujourd’hui font toutes sortes de simagrées pour contourner les réalités financié€res du systé€me de santé, parfois secondés par des experts qui font fi des problé€mes fiscaux liés aux soins de santé, tout comme cela se passait pour le déficit dans les années 1990. Faudra-t-il, avant de passer aÌ€ l’action, atten- dre une autre crise, dans le systé€me de santé lui-mé‚me ou dans d’autres secteurs aÌ€ cause des coupures imposées pour le financer?
Quelle est la meilleure façon de mesurer le couÌ‚t du sys- té€me de soins? Si on compare le couÌ‚t total des soins aÌ€ la taille de l’économie (PIB), les dépenses du Canada en santé sont parmi les plus élevées au monde. Elles sont passéesde7p.100duPIBen1975aÌ€9,8p.100duPIBen 2002 et, d’apré€s le Conference Board, auraient atteint 10 p. 100 en 2003, ce qui revient aÌ€ 3 839 $ par année pour chaque homme, femme et enfant au Canada.
Et les couÌ‚ts relatifs au PIB ne tien- nent mé‚me pas compte des couÌ‚ts afférents comme les déficits et dettes qu’accumulent les hoÌ‚pitaux et les con- seils de santé, ou le remplacement de l’équipement désuet et la rénovations des établissements qui se sont détéri- orés au cours de la dernié€re décennie ”” des couÌ‚ts qui impliquent, pour l’Ontario seulement, pré€s de 10 mil- liards de dollars. AÌ€ cela s’ajoute le fait que les revenus du gouvernement n’augmentent pas nécessairement de pair avec le PIB. Selon le Conference Board du Canada, la part des revenus du gouvernement par rapport au PIB serait appelée aÌ€ diminuer au cours des 20 prochaines années.
La seule façon suÌ‚re de mesurer la viabilité financié€re du systé€me est de comparer les couÌ‚ts liés aux soins de santé avec les revenus dont disposent les gouvernements et de regarder quelle part du gaÌ‚teau ceux-ci réservent aux soins de santé. Au Canada, ses couÌ‚ts augmentent plus vite que le revenu de n’importe lequel des gou- vernements. En Ontario, par exemple, au cours des cinq dernié€res années, les crédits accordés aÌ€ la santé ont aug- menté aÌ€ la cadence d’environ 8 p. 100 par année, comparativement aÌ€ 4 p. 100 environ pour les autres dépenses. Parce que les dépenses liées aÌ€ la santé augmentent plus vite que les revenus du gouvernement, elles s’ac- caparent une part de plus en plus importante des dépenses publiques. En 1994-1995, les soins de santé représentaient environ 32 p. 100 des dépenses du gouvernement de l’Ontario, mais en 2003-2004, ils en étaient aÌ€ 39 p. 100 ; si l’on fait abstraction des frais d’intéré‚ts, on peut dire que l’Ontario y consacre 46 p. 100 de ses dépenses de programmes.
Le problé€me de l’augmentation des couÌ‚ts liés aÌ€ la santé doit aussi é‚tre considéré sous l’angle démo- graphique. Selon l’EÌtude économique de l’OCDE de 2002-2003, « du point de vue budgétaire, le profil démo- graphique du Canada est actuelle- ment aussi favorable qu’il l’a été depuis une génération et plus favo- rable qu’il ne le sera au moins dans les cinquante prochaines années ». Les baby-boomers étant maintenant dans la quarantaine et la cinquantaine, « le nombre de contribuables par rapport au nombre de bénéficiaires de pen- sions ou de personnes sollicitant fortement le systé€me des soins de santé est proche de son apogée ». Lorsque, en 2012, les premiers baby- boomers auront 65 ans, beaucoup d’entre eux auront déjaÌ€ quitté la po- pulation active et les dépenses en matié€re de soins de santé aug- menteront, étant donné que plus de 50 p. 100 des besoins aÌ€ cet égard se manifestent apré€s 65 ans ; et cette tendance ira en s’accentuant jusqu’aÌ€ ce qu’ils aient tous atteint cet aÌ‚ge, en 2026. Or, si déjaÌ€ aujourd’hui, avec un profil démographique tré€s favorable, nous avons de la difficulté aÌ€ payer, comment nous proposons-nous de le faire quand les baby-boomers auront vieilli et qu’il faudra régler d’autres problé€mes urgents comme la rareté de la main-d’œuvre?
Les provinces ont adopté deux straté- gies pour faire face aÌ€ la situation. Leur premié€re stratégie a été d’exercer des compressions partout ailleurs. Ainsi, le Conference Board indique qu’entre 1999-2000 et 2001-2002, 59 p. 100 de toutes les nouvelles dépenses au niveau provincial ont été engagées en santé. Si la tendance continue, on prévoit qu’en 2020, les dépenses publiques en soins de santé dépasseront les autres dépenses aÌ€ raison de 2:1 et que les dépenses con- sacrées aux autres biens et services, en chiffres absolus par habitant, seront en deçaÌ€ des niveaux atteints avant la réces- sion de 1990-1991. Parmi les domaines sous-financés se retrouvent les pro- grammes sociaux, le financement des villes, l’environnement, les autoroutes et l’éducation.
Tandis que la part des dépenses en santé augmente par rap- port au PIB, la part dévolue aÌ€ l’éducation a diminué, de 8,1 p. 100 qu’elle était en 1970 aÌ€ 5 p. 100, selon les projections, en 2010. On voit l’EÌtat se soustraire aux couÌ‚ts de l’éducation et les faire passer aux étudiants en majorant les frais de scolarité et en multipliant les pré‚ts. On entend de plus en plus décrire l’éducation comme un bien privé, un investisse- ment bénéficiant avant tout aÌ€ l’indi- vidu. Mais l’éducation est aussi un bien public, surtout dans l’économie du XXIe sié€cle qui mise sur les con- naissances et qui va exiger, pour la plupart des nouveaux emplois, une forte scolarité et une formation spé- cialisée. Pendant ce temps, les capa- cités de lecture et d’écriture sont déficientes chez plus de 40 p. 100 des adultes au Canada, environ 70 p. 100 des autochtones ne terminent pas leurs études secondaires et, alors que 6 p. 100 seulement des emplois n’exi- gent pas de diploÌ‚me d’études se- condaires, 18 p. 100 des Canadiens ne franchiront jamais cette étape. S’il est vrai qu’une des caractéristiques fon- damentales du Canada est son sys- té€me universel de santé financé par les deniers publics, il en va de mé‚me pour l’égalité des chances fondée sur l’accé€s universel aÌ€ l’éducation, et celle-laÌ€ est actuellement en péril.
Le Premier ministre de l’Ontario Dalton McGuinty a décrit comme ceci la progression arithmétique des couÌ‚ts liés aux soins de santé et l’élimination progressive des autres priorités : « AÌ€ ce rythme, viendra le jour ouÌ€ le ministé€re de la Santé sera le seul ministé€re que nous ayons les moyens de nous offrir, et mé‚me alors, nous n’arriverons pas aÌ€ financer le ministé€re de la Santé. »
La seconde stratégie des provinces pour faire face aÌ€ l’escalade des couÌ‚ts des soins de santé a été d’exercer des pressions sur le gouvernement fédéral pour qu’il augmente les transferts aux provinces. Apré€s avoir réduit son financement dans les années 1990, le gouvernement fédéral a injecté 65 mil- liards de dollars en santé au cours des cinq dernié€res années, et ses dépenses au poste de la santé augmentent en moyenne de 6,65 p. 100 par année, ce qui dépasse la croissance aÌ€ la fois de l’économie et de ses propres revenus.
Malgré ce nouvel afflux d’argent, une récente étude menée par les éco- nomistes Paul Boothe et Mary Carson, intitulée « What Happened to Health Care Reform » (Le Sort des réformes en matié€re de santé) et publiée par l’Institut C.D. Howe, illustre, aÌ€ l’aide d’un exemple simple, les implications d’un déséquilibre entre la croissance des couÌ‚ts de santé et la croissance des revenus du gouvernement. En se fon- dant sur une approximation de la réa- lité canadienne actuelle ”” un systé€me de santé public d’une valeur de 80 mil- liards de dollars croissant au rythme moyen de 7 p. 100 par année et des revenus pour le gouvernement (y com- pris les transferts fédéraux) croissant au rythme de 5 p. 100 ””, les auteurs con- cluent aÌ€ un écart de 10 milliards de dol- lars dans le financement au bout de cinq ans. Cela équivaut aÌ€ un déficit de 330 $ par personne, ou de 1 320 $ pour une famille de quatre, et cette somme devra é‚tre récupérée en sabrant dans les programmes ou en augmentant les impoÌ‚ts. Et le problé€me empire de façon cumulative : la sixié€me année, l’écart se situe aÌ€ 12,9 milliards de dollars, et l’an- née suivante, aÌ€ 15,9 milliards.
Pour justifier leurs réclamations au fédéral, les provinces et territoires ont commandé une étude au Conference Board du Canada dont ils se sont servis pour prouver le déséquilibre entre les dépenses onéreuses qu’impliquent leurs propres champs de compétence comme la santé et la capacité fiscale dont jouit le gouvernement fédéral avec des sur- plus budgétaires en vue. L’étude en question repose toutefois sur des hypothé€ses discutables : elle assume qu’au cours des 17 prochaines années, il n’y aura, de la part du gouvernement fédéral, aucune nouvelle initiative encourant des dépenses et aucune réduction d’impoÌ‚ts, et que tous les sur- plus serviront aÌ€ réduire la dette. L’étude néglige en outre le fait que les provinces ont le pouvoir d’augmenter les impoÌ‚ts pour financer le régime de santé.
Dans son budget de 2004-2005, le gouvernement du Québec expose ses arguments pour motiver l’augmentation des transferts entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux, et fournit le détail des nouvelles sommes qui seront requi- ses entre 2004-2005 et 2009-2010. Une comparaison entre les sommes réclamées et les surplus fédéraux disponibles ”” selon l’étude du Conference Board commandée par les provinces ”” démontre que si le fédéral approuvait la proposition du Québec, il aurait accumulé, en 2009-2010, un déficit de plus de 24 milliards de dollars.
Avant de décider combien il peut investir dans les soins de santé, le gouvernement fédéral devra se rappeler les autres priorités fédérales qui dépen- dent des fonds publics. Le taux de pau- vreté demeure élevé au Canada par rapport aux autres pays de l’OCDE ; Ottawa doit investir davantage dans les programmes sociaux, d’autant que la pauvreté est souvent plus criante dans les provinces et territoires qui n’ont pas les moyens d’y faire face. Il faut aussi que le Canada mise en recherche et développement pour élaborer une stratégie d’innovation s’il veut exercer une concurrence dans l’économie du savoir, dont les infrastructures sont les laboratoires, les synchrotrons et autres installations nationales de recherche, tout comme les chemins de fer et les canaux étaient les fondements de l’économie au sié€cle dernier.
La perspective alarmante de pénuries en personnel qualifié va sol- liciter un investissement fédéral en for- mation et recyclage de la main-d’œuvre spécialisée, d’autant plus que l’immigration est appelée aÌ€ fournir une part importante de la solu- tion. L’environnement va aussi exiger du capital, la réalisation des accords de Kyoto étant estimée aÌ€ 8,1 milliards de dollars entre 2004 et 2015. Un vaste domaine, celui-ci de juridiction exclu- sivement fédérale, va requérir de nou- velles sommes considérables : il englobe la sécurité aux frontié€res, la défense et l’aide aÌ€ l’étranger. Enfin, toute discussion portant sur le déséquilibre fiscal doit tenir compte du fait que les municipalités constituent un troisié€me palier de gouvernement, nanti de lourdes responsabilités, mais limité dans ses outils de taxation. Investir dans le systé€me de santé ne devrait pas se faire au détriment de toutes ces autres priorités fédérales.
Pour éviter d’emboiÌ‚ter le pas aux provinces en exerçant des compres- sions, le gouvernement fédéral ne doit pas s’engager aÌ€ assumer une part fixe des couÌ‚ts liés aux soins de santé. Si le fédéral consentait aÌ€ défrayer 25 p. 100 des couÌ‚ts de santé des provinces, advenant des années difficiles, il serait forcé de sabrer dans d’autres priorités pour respecter ses engagements. Sans compter que, les gouvernements provinciaux étant chargés d’admi- nistrer le systé€me de santé, ce serait de la part d’Ottawa un bien mauvais exercice de politique publique que d’assumer un pourcentage fixe des couÌ‚ts sans avoir son mot aÌ€ dire dans la gestion du systé€me. Les inconvénients d’une formule fixe de partage des couÌ‚ts sont devenus apparents avec l’aide sociale dans les années 1980 quand, certaines provinces ayant aug- menté leurs prestations sociales de façon spectaculaire, le fédéral en a été réduit aÌ€ défrayer sa part des couÌ‚ts sans mé‚me pouvoir intervenir pour vérifier l’efficacité des programmes.
Au cas ouÌ€ le gouvernement fédéral consentirait aÌ€ une clause d’indexation pour son financement en santé, celle- ci ne doit pas dépasser le taux d’aug- mentation de ses revenus.
Quelle que soit la somme investie par Ottawa dans le systé€me de santé, la grande part du financement doit venir des provinces, qui ont également la responsabilité constitutionnelle d’ad- ministrer le systé€me et, partant, de faire face aux critiques aÌ€ court terme de l’électorat. Or, tandis que les provinces se démé€nent pour financer un systé€me déjaÌ€ lourdement grevé, Ottawa décré€te comment les fonds fédéraux devraient é‚tre dépensés et préconise l’élargisse- ment d’un systé€me déjaÌ€ surchargé en défrayant les soins prodigués aÌ€ la mai- son et les médicaments d’ordonnance. « Acheter des changements » est devenu le mot d’ordre, ce qui veut dire dépenser davantage sur des mesures de prévention et des réformes comme les soins de santé primaires. Néanmoins, les changements évoqués dans le débat jusqu’aÌ€ maintenant ne « changeront » pas la progression arithmétique d’un systé€me dont les couÌ‚ts augmentent plus rapidement que les recettes de l’EÌtat.
Beaucoup de Canadiens anglais proÌ‚nent un systé€me de soins de santé pan-canadien avec des normes nationales instituées par le gouverne- ment fédéral chargé de mettre en vigueur la Loi canadienne sur la santé. Néanmoins, le ministé€re québécois des Affaires internationales du gouverne- ment le plus fédéraliste que le Québec ait connu depuis bien des années a déclaré, en avril 2004, qu’il fallait qu’Ottawa reconnaisse que le Québec a entié€re juridiction sur la planification et la gestion de son systé€me de soins de santé et que, s’il consentait aÌ€ discuter d’objectifs communs, il n’était pas ques- tion d’aborder des normes nationales portant atteinte aÌ€ son autorité. Pour sa part, l’Alberta a fait savoir que si Ottawa voulait contester quelque changement que ce soit aÌ€ son systé€me de soins de santé en appliquant les sanctions finan- cié€res prévues par la Loi canadienne sur la santé, elle pourrait choisir tout simple- ment de refuser les subventions fédérales pour é‚tre libre de restructurer le systé€me aÌ€ sa guise. L’Alberta a la capacité fiscale de mettre sa menace aÌ€ exécution : alors que l’Ontario consacre annuellement 10 milliards de dollars au remboursement de l’intéré‚t sur sa dette nette, l’Alberta, elle, n’a aucune dette.
Comment le gouvernement fédéral pourrait-il imposer des normes nationales si la seconde province en importance en termes de po- pulation et la province la plus riche refusent toutes deux de s’y conformer? Une solution plausi- ble serait de suivre l’exemple de l’Union européenne ouÌ€ les normes de l’environnement et de la fiscalité sont fixées par les EÌtats membres.
Pendant que les deux paliers de gouvernement discutent de normes nationales et de l’envergure de la contribution fédérale, les gouvernements évitent de faire face aÌ€ la crise fiscale qui menace de faire éclater le systé€me et se donnent rarement la peine d’évaluer objectivement la qualité et l’ef- ficacité des soins de santé au Canada. Le Conference Board du Canada a récemment comparé les soins de santé dans 24 pays de l’OCDE. Il en est ressorti que le Canada, qui vient en troisié€me pour l’importance de ses dépenses en soins de santé, est l’un des pays ouÌ€ le temps d’attente est le plus long avant d’ac- céder aux soins de santé, et se situe au 13e rang en ce qui a trait aÌ€ l’état de santé de sa population.
L’étude du Conference Board donne quelques raisons pour lesquelles certains pays européens, comme la Sué€de, surclassent le Canada. Elle démontre qu’en dépensant plus d’ar- gent en soins de santé, on peut se retrouver avec une population moins en santé aÌ€ cause des compromis engen- drés par ce choix, qui empé‚chent de financer d’autres programmes égale- ment prioritaires pour la santé. Selon l’étude en question, la santé d’une per- sonne dépend pour 25 p. 100 seule- ment du systé€me de soins de santé, tandis que 50 p. 100 sont attribuables aÌ€ sa condition de vie et aÌ€ des facteurs tels son niveau de revenu, son niveau de scolarité et son environnement. La Sué€de, dont le systé€me de soins est le moins dispendieux de tous les pays de l’OCDE, se classe au second rang pour l’état de santé de sa population, avec un niveau de pauvreté tré€s bas. AÌ€ l’op- posé, dans une récente étude compara- tive portant sur 20 pays de l’OCDE, le Canada s’est classé lamentable 13e en termes de niveau de pauvreté, facteur de santé pourtant déterminant. Au Canada, les plus démunis, lorsqu’ils tombent malades, ont droit aÌ€ un traite- ment égal et aÌ€ un accé€s complet au sys- té€me de soins, mais cela ne soulage pas leur pauvreté. Consacrer davantage de ressources aÌ€ la lutte contre la pauvreté ”” en investissant dans l’éducation des jeunes enfants, dans le logement et dans de meilleurs programmes de for- mation, par exemple ”” et investir davantage dans des programmes de prévention, cela pourrait donner des Canadiens en meilleure santé et réduire aÌ€ long terme les couÌ‚ts liés aÌ€ l’assurance-maladie.
Il faut avoir l’esprit ouvert quand vient le temps d’évaluer les moyens de changer le systé€me canadien, si l’on veut aÌ€ la fois améliorer la qualité des soins et resserrer l’écart entre les couÌ‚ts croissants de ces soins et les revenus de l’EÌtat. Ce genre de débat doit aller au-delaÌ€ d’une banale com- paraison avec le systé€me américain, l’un des plus onéreux et des moins équitables parmi les pays développés, et au-delaÌ€ de la rhétorique courante qui se glisse trop souvent dans les discussions entourant les soins de santé au Canada. Les défenseurs du statu quo ont merveilleusement réussi aÌ€ répandre l’idée selon laquelle certaines innovations pro- posées auraient pour effet de transformer le systé€me cana- dien en systé€me de type améri- cain privatisé aÌ€ deux vitesses et saperaient les principes fon- damentaux du régime d’assur- ance-maladie. Pourtant, si l’on veut préserver les objectifs fondamentaux du régime d’assurance-maladie, il va bien falloir changer le systé€me pour l’adapter aux nouvelles circonstances.
Lorsque Tommy Douglas a intro- duit le régime d’assurance- maladie en Saskatchewan, il souhaitait que les gens aient accé€s aux soins requis, peu importe leur capacité aÌ€ payer : voilaÌ€ le principe fondamental qu’il faut préserver. Mais les choses ont beaucoup changé depuis les années 1960. Prenons, par exemple, le régime d’assurance-maladie qui a été créé aÌ€ titre d’assurance sociale. Comme le décrivaient dernié€rement Keith Banting et Robin Boadway, « dans une société humanitaire, le principe est que les gens soient com- pensés pour la différence dans les risques qu’ils encourent d’é‚tre malades en raison de motifs qui échappent aÌ€ leur controÌ‚le ». Alors qu’en est-il de la situation actuelle ouÌ€ souvent les pro- blé€mes de santé non seulement n’échappent pas au controÌ‚le du béné- ficiaire, mais résultent du style de vie qu’il a choisi? Mé‚me s’il est claire- ment démontré que certains styles de vie nuisent aÌ€ la santé, il y a des gens qui persistent aÌ€ y adhérer, et notre sys- té€me de soins de santé ne prévoit aucune mesure incitative pour les encourager aÌ€ faire de meilleurs choix.
Outre les changements auxquels souscrivent tous les gouvernements au Canada ”” davantage de prévention, d’imputabilité et de transparence, et réforme des soins de santé primaires ””, d’autres changements s’imposent si l’on veut avoir un systé€me abordable et effi- cace. Les gouvernements doivent tenir compte des pressions qu’exercent les progré€s de la technologie ”” les nou- veautés en traitements, en équipements, en procédures et en médicaments ”” sur la demande toujours croissante pour des soins de santé. Définir les paramé€tres de la demande va exiger une discussion entre le fédéral et les provinces et terri- toires concernant ce qui doit é‚tre prévu par la Loi canadienne sur la santé et ce qui ne doit pas l’é‚tre.
L’une des raisons aux longues listes d’attente et autres formes de rationnement dans le systé€me cana- dien, c’est l’aspect illimité des paramé€tres de la demande. Si la Sué€de n’a pour ainsi dire pas de listes d’at- tente, c’est en partie parce qu’elle traite la demande différemment et qu’elle s’attend aÌ€ ce que les patients assument plus de responsabilité dans leurs choix de soins de santé. Les politiques suédoises peuvent-elles nous apprendre quelque chose? Si la Sué€de est en mesure d’avoir des paramé€tres pour la demande, c’est qu’aÌ€ l’instar de pratiquement tous les pays d’Europe de l’Ouest, elle bénéfi- cie d’un systé€me privé parallé€le. Et, comme dans beaucoup d’autres pays européens, ce systé€me privé demeure marginal et ne remplace ni ne men- ace le systé€me public.
Bien qu’en théorie le Canada ait un systé€me de santé aÌ€ une vitesse ouÌ€ cha- cun doit se résigner aÌ€ attendre son tour, peut-on dire que cela reflé€te la réalité? Croit-on vraiment que les Canadiens fortunés attendent leur tour pour recevoir un traitement au lieu d’aller ailleurs et s’offrir ce qu’il y a de mieux comme soins quand ils en ont besoin? AÌ€ l’intérieur mé‚me du pays, combien de Canadiens moyens, en Saskatchewan par exemple, n’hésitent pas aÌ€ aller dans une autre province comme l’Alberta pour obtenir, moyennant rétribution, un diagnostic immédiat graÌ‚ce aÌ€ un équipement du tout dernier cri?
Certes, il faut changer le systé€me, mais avec le vieillissement de la popu- lation et l’arrivée incessante de nou- velles technologies, les couÌ‚ts vont continuer aÌ€ grimper. Mé‚me si le gou- vernement fédéral appliquait 100 p. 100 de ses surplus aux soins de santé, cela ne résoudra pas les problé€mes fis- caux du systé€me tant et aussi longtemps que les couÌ‚ts augmenteront plus rapidement que les revenus du gouvernement. Malgré des subventions accrues de la part du fédéral, les provinces vont devoir penser aÌ€ de nou- veaux moyens de financer convenable- ment le systé€me tout en s’assurant qu’il reste suffisamment de fonds publics pour leurs autres priorités.
Tommy Douglas, persuadé que les gens devaient contribuer directe- ment aux soins de santé, institua une cotisation aÌ€ l’as- surance-maladie. De récents rapports sur les soins de santé ”” notamment le rap- port de la commission séna- toriale présidée par le sénateur Michael Kirby et le rapport Mazankowski com- mandé par le gouvernement de l’Alberta ””, apré€s avoir examiné les options, ont conclu que si l’on veut con- server le systé€me canadien de soins de santé, il va falloir trouver de nouveaux moyens de le financer. La Commission sénatoriale, dans son rapport, « rejette catégoriquement le point de vue selon lequel les problé€mes du systé€me canadien de soins de santé peuvent é‚tre résolus sans qu’il en couÌ‚te rien aux Canadiens ».
En fait, on voit déjaÌ€ les provinces augmenter leurs taxes, introduire des cotisations ou exiger des frais pour faire face aÌ€ l’accélération des couÌ‚ts en matié€re de soins. Si les Canadiens doivent s’at- tendre aÌ€ payer davantage pour leurs soins de santé, quel est le meilleur moyen de s’y prendre, tout en préservant les objectifs de l’assurance-maladie?
Pour é‚tre efficace, toute nouvelle mesure provinciale visant aÌ€ générer des revenus doit avoir un certain nom- bre de caractéristiques fondamentales. Premié€rement, la taxe ou la cotisation doit augmenter de pair avec le couÌ‚t des soins dispensés par le systé€me. AÌ€ court terme, une mesure aÌ€ taux fixe peut réussir aÌ€ défrayer les couÌ‚ts liés aux soins; mais, aÌ€ long terme, aÌ€ mesure que ces couÌ‚ts augmentent aÌ€ une cadence supérieure aux revenus du gouverne- ment, d’autres priorités vont devoir é‚tre sacrifiées pour faire face aux dépenses en santé.
Deuxié€mement, toute mesure visant aÌ€ générer des revenus doit corre- spondre au revenu du contribuable et aÌ€ sa capacité de payer. Les montants perçus ne doivent pas non plus dépass- er un certain pourcentage du revenu, car il faut empé‚cher qu’une personne ne se retrouve en difficulté financié€re aÌ€ cause des soins qu’elle reçoit.
Troisié€mement, la nouvelle mesure génératrice de revenus ne doit pas é‚tre imposable au point de service. La Loi canadienne sur la santé interdit expressé- ment le recours au ticket modérateur pour le légitime motif que faire payer les gens sur place pour des services de santé pourrait en dissuader certains de réclamer l’aide médicale dont ils ont besoin. On peut songer plutoÌ‚t aÌ€ une somme évaluée sur une base annuelle, par exemple au moment de remplir le formu- laire d’impoÌ‚t.
Enfin, mé‚me si les frais ne sont pas perçus au point de service, la somme versée par les contribuables pour leurs soins de santé devrait é‚tre propor- tionnelle aÌ€ leur utilisation du systé€me, avec un maximum assorti au revenu et des dispositions pour assurer que les béné- ficiaires aux prises avec d’importantes dépenses en soins de santé soient aÌ€ l’abri des difficultés financié€res. AÌ€ l’heure actuelle, les Canadiens n’ont aucune idée des couÌ‚ts qu’entraiÌ‚ne leur systé€me de soins, et ne savent mé‚me pas quelle différence représente, par exemple, le fait de se rendre aÌ€ la salle d’urgence d’un hoÌ‚pital plutoÌ‚t qu’aÌ€ une clinique médicale. Il est raisonnable de s’attendre aÌ€ ce que les Canadiens assu- ment leur part de responsabilité en faisant des choix de santé judicieux et qu’ils reçoivent pour cela des incitatifs financiers. Par exemple, si on se servait de l’impoÌ‚t sur le revenu, il pourrait y avoir des crédits d’impoÌ‚t pour récom- penser des choix santé, comme le fait de s’inscrire aÌ€ un programme pour cesser de fumer ou perdre du poids.
Il y a aussi des raisons de démo- graphie et de politique publique pour rattacher la somme versée par l’indi- vidu aÌ€ son utilisation du systé€me. AÌ€ mesure que les baby-boomers pren- nent de l’aÌ‚ge et ont davantage recours au systé€me, il faut pouvoir puiser dans leurs revenus pour financer le couÌ‚t croissant des soins. Autrement, on devra obliger les jeunes contribuables aÌ€ payer de plus en plus cher pour des soins que reçoivent en majorité des personnes aÌ‚gées.
Ce qui est en jeu, c’est l’équité intergénérationnelle. Ces mé‚mes jeunes gens sont déjaÌ€ astreints aÌ€ payer l’intéré‚t sur une dette accumulée pour des services dont eux-mé‚mes n’ont pas bénéficié; ils sont appelés aÌ€ assumer une part grandissante du prix de leur éducation et un grand nombre d’entre eux vont avoir contracté de gros emprunts pour pouvoir terminer leurs études. Est-il juste que les baby- boomers ”” dont je fais partie ”” alour- dissent encore plus le fardeau des jeunes contribuables en y ajoutant le couÌ‚t de leurs soins de santé?
Justice mise aÌ€ part, la pénurie imminente en travailleurs scolarisés et spécialisés va limiter la capacité des provinces aÌ€ compter sur des mesures fiscales générales pour financer les soins de santé. Au cours de la prochaine décennie, les provinces vont se livrer concurrence pour attirer les travailleurs scolarisés et spécialisés, et leur taÌ‚che sera d’au- tant plus difficile s’il faut barder les jeunes de taxes afin de financer un systé€me de soins de santé dont se ser- vent surtout les vieux.
Préserver les objectifs de base du régime d’assurance-maladie implique d’énormes changements. L’une des plus grandes menaces au régime vient de ceux qui veulent aÌ€ tout prix préserver le statu quo et qui préten- dent défendre ainsi la vision de Tommy Douglas. Récemment aÌ€ Saskatoon, ouÌ€ je donnais mon discours sur l’arithmé- tique et le systé€me de santé, j’ai rencontré un monsieur d’un cer- tain aÌ‚ge qui faisait partie du ca- binet Douglas au moment de la création du régime d’assurance- maladie, et voici ce qu’il m’a confié :« Tommy serait cata- strophé de voir les couÌ‚ts actuels du régime de soins de santé. Il ne pouvait pas prévoir toute cette nouvelle technologie et toutes ces nouvelles demandes, et l’effet qu’elles produiraient sur les couÌ‚ts de la santé. Il serait particulié€rement bouleversé d’apprendre que les soins de santé sont en train de prendre l’argent qui devrait aller aÌ€ l’édu- cation. Cela n’a jamais fait partie de son plan ».
Trop souvent en politique, on risque de détruire ce aÌ€ quoi on tient le plus en pensant qu’il faut le conserver tel quel, aÌ€ tout prix, alors que sa préservation imposerait au con- traire des changements dramatiques. Protéger un enfant, n’est-ce pas l’en- courager aÌ€ grandir et aÌ€ s’adapter au monde dans lequel il va devoir évoluer? Si nous voulons sauver le systé€me canadien de soins de santé, il va falloir que nous le changions, et plus toÌ‚t se fera le virage, plus calme sera le voyage.