Depuis quelques années, on assiste aÌ€ un engouement marqué de la part des consommateurs des pays économiquement développés pour les produits équitables. AÌ€ titre d’illustration, une étude publiée en 2003 par l’Union des consommateurs révélait que le marché cana- dien des produits équitables a augmenté de 100 p. 100 par année depuis 1998. Or, la popularité grandissante de ces produits pourrait conduire aÌ€ certains abus. En effet, l’appaÌ‚t du gain potentiel lié aÌ€ la plus-value qu’acquiert un produit qualifié d’équitable pourrait amener certains commerçants aÌ€ en faire usage de façon peu scrupuleuse afin de profiter de l’intéré‚t d’une partie de la population pré‚te aÌ€ débourser un peu plus pour s’assurer une consommation plus équitable.

Face aÌ€ ce constat, il y a lieu de se demander si les con- sommateurs sont actuellement bien protégés contre ces abus éventuels. En d’autres mots, les consommateurs sont- ils assurés du respect des valeurs généralement associées au commerce équitable lorsqu’ils aché€tent un produit portant la mention équitable? AÌ€ défaut de quoi, un encadrement de ces pratiques serait-il approprié?

L’existence du commerce équitable n’est pas un phénomé€ne nouveau, bien que l’engouement du grand pu- blic aÌ€ son égard et la présence de ses produits sur les tablettes des supermarchés soient relativement récents.

AÌ€ l’origine, le commerce équitable voulait instaurer des structures alterna- tives au systé€me commercial traditionnel en place et ce, sur des bases d’équité et de solidarité. Depuis lors, afin de réaliser cet objectif, les divers acteurs de la chaiÌ‚ne de commercialisation des produits équitables tentent d’assurer un prix juste et relativement stable aux producteurs, d’intégrer ces derniers dans la gestion de la commercialisation de leurs pro- duits, d’améliorer leurs condi- tions de travail et de protéger leur environnement. Le commerce équitable peut donc é‚tre perçu comme un moyen d’intégrer les trois sphé€res du développement durable, soit les sphé€res économique, sociale et environ- nementale, aux relations com- merciales entre le Nord et le Sud.

Le premier systé€me générique de normalisation du commerce équitable est apparu en Hollande, en 1988, sous le label Max Havelaar. Il s’est ultérieurement étendu aÌ€ plusieurs autres pays d’Europe de mé‚me qu’en Amérique du Nord, ouÌ€ l’on assista aÌ€ l’apparition d’autres labels comme celui de Transfair Canada. Au fil des années, en raison de l’intéré‚t grandissant des consommateurs envers ce type de produits, différents protagonistes impliqués dans la com- mercialisation des produits dits équita- bles ont proposé plusieurs définitions du commerce équitable. Certaines de ces définitions inté€grent les principes précédemment mentionnés, alors que d’autres s’en écartent considérablement.

Ces différences majeures entre les diverses définitions et les crité€res utilisés par les entreprises et organisations qui se vouent au commerce équitable sont peu bénéfiques pour l’avancée de ce type de commerce sur les marchés mondiaux puisqu’elles entraiÌ‚nent notamment de la confusion chez les consommateurs.

Cette difficulté d’obtenir un con- sensus quant aÌ€ la signification précise aÌ€ donner au terme équitable ainsi que celle liée aÌ€ l’établissement de crité€res communs pour circonscrire la façon de faire du commerce équitable s’explique par plusieurs raisons. D’une part, le caracté€re subjectif du mot équitable y est pour beaucoup. En effet, le terme équitable provient du mot équité, lequel est défini comme étant « la vertu de celui qui possé€de un sens naturel de la justice [et] respecte les droits de chacun ». AÌ€ la lumié€re de cette définition, l’on constate que le terme équitable peut donc é‚tre source d’interprétations multiples, tout dépendant de l’organisme qui désire en faire l’utilisation. Étant un terme large et facilement malléable, les acteurs du commerce équitable peu- vent donc attribuer différents sens aÌ€ cette expression selon leurs intéré‚ts et aÌ€ leur bénéfice.

Par ailleurs, la difficulté d’établir une distinction entre les produits équitables, éthiques, écologiques et charitables rend également l’exercice de définition plus complexe. Si l’on se réfé€re aux principes fondamentaux du commerce équitable, lesquels furent repris dans la définition donnée par la FINE, un organisme international réu- nissant les quatre plus grandes organi- sations de commerce équitable au monde (FLO, IFAT, News et EFTA), qui exige la prise en compte des trois sphé€res du développement durable, les produits éthiques, écologiques et cha- ritables ne pourraient é‚tre considérés comme des produits équitables.

Tristan Lecomte, auteur de l’ouvrage Le pari du commerce équitable, explique bien la distinction aÌ€ faire entre le com- merce éthique et le commerce équitable : « Le commerce éthique con- siste aÌ€ s’assurer que les conditions de production d’une fabrique sont décentes pour les travailleurs, qu’il n’y a pas de travail forcé ou d’exploitation du travail d’en- fants. Il porte sur des crité€res so- ciaux et non des crité€res de développement. » Il précise que les deux démarches ne sont pas opposées mais complémentaires, c’est-aÌ€-dire que dans le cas du commerce équitable, on aide les petits producteurs aÌ€ démarrer leurs activités et facilite l’accé€s au marché international alors que le commerce éthique vise plutoÌ‚t les grands centres de production déjaÌ€ développés. De plus, soulignons que la prise en considération de la protection de l’environnement est souvent absente du commerce éthique contrairement au commerce équitable.

La distinction entre les produits équitables et les produits détenteurs d’un écolabel s’impose également. En effet, la prise en compte de l’aspect social du développement durable, qui est au cœur de la philosophie du com- merce équitable, ne se retrouve pas dans le cadre des crité€res d’étiquetage des produits écologiques, ces derniers n’évaluant que leurs effets sur l’envi- ronnement et non, par exemple, le respect des normes de travail décentes.

Le commerce équitable doit finale- ment é‚tre distingué de ce que l’on peut qualifier d’actions charitables. Le don de charité ne vise pas, contrairement au commerce équitable, aÌ€ assurer un développement qui soit durable car il consiste simplement aÌ€ verser des sommes d’argent aux organisations communautaires sans se préoccuper de la façon dont elles seront investies. Ce type de processus ponctuel n’amé€ne pas de solution durable parce que, une fois que l’organisme charitable cesse de ver- ser des fonds, le processus de production risque de s’écrouler. Pour é‚tre fait de façon équitable, et donc durable, le com- merce doit viser aÌ€ permettre la gestion de la production par les producteurs eux- mé‚mes et aÌ€ garantir un prix stable. Le slogan « trade, no aid » associé au com- merce équitable illustre de façon non équivoque que ce dernier se distingue de l’action charitable.

AÌ€ la suite de l’essor considérable qu’a connu le commerce équitable au cours des dernié€res années, de nom- breuses entreprises canadiennes ont commencé aÌ€ faire usage de labels équitables pour commercialiser leurs produits. Certaines ont fait certifier leurs produits par des organismes cer- tificateurs indépendants dont les crité€res d’attribution sont reconnus internationalement, comme Transfair Canada par exemple. Cependant, étant donné qu’au Canada le commerce équitable n’est que tré€s peu encadré, qu’il ne fait l’objet d’aucune restriction concernant l’utilisation d’appellation claire et vérifiable et que la certification des produits équitables est volontaire, bon nombre d’entreprises optent plutoÌ‚t pour une procédure d’auto déclaration. Ces dernié€res se fixent donc des normes « maison » qui, selon leur propre inter- prétation, seraient conformes aÌ€ l’objec- tif du commerce équitable. Dans ce contexte, on peut certes se demander si le commerce équitable n’est pas qu’un simple outil de marketing pour cer- taines entreprises.

Devant cette panoplie de labels se revendiquant tous du qualificatif équitable et en l’absence d’un procédé permettant d’en vérifier l’authenticité, le consommateur peut difficilement s’assurer que ces produits qualifiés d’équitables le sont réellement. Ce manque de transparence et d’imputabi- lité risque de miner la confiance des consommateurs envers les produits dits équitables. Cette confusion entraiÌ‚ne de plus une division artificielle des parts du marché du commerce équitable. En effet, si une certaine proportion des con- sommateurs adhérant aÌ€ l’idéologie du commerce équitable et acceptant d’en payer la plus-value se retrouvent aÌ€ acheter, en réalité, un produit qui n’a d’équitable que le mot figurant sur son emballage, c’est le marché des produits équitables en entier qui en souffre, voyant sa clienté€le ainsi diluée au profit de produits qui le sont plus ou moins.

Le gouvernement fédéral ayant le pouvoir constitutionnel de légifér- er en matié€re de commerce inter- provincial et international, il semble pertinent de privilégier une approche uniforme aÌ€ l’ensemble du pays plutoÌ‚t que d’instaurer des régimes de certifi- cation distincts dans chaque province. Or, bien qu’aucune réglementation spécifique n’ait été adoptée au Canada pour encadrer le commerce équitable et que seules des normes et des struc- tures d’autorégulation aient été mises en place par les entreprises elles- mé‚mes, certains cadres normatifs exis- tants pourraient peut-é‚tre favoriser la protection du commerce équitable et des consommateurs contre les abus.

Le commerce équitable semble pou- voir entrer dans le champ d’application de plusieurs lois et ré€glements fédéraux garantissant aux citoyens le droit aÌ€ l’in- formation et le droit d’intenter des recours en justice. Pensons notamment aÌ€ la Loi sur les marques de commerce, la Loi sur les aliments et drogues, la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consomma- tion et la Loi canadienne sur la concurrence. Par contre, ces lois visent essentielle- ment aÌ€ éviter les déclarations fausses ou trompeuses par rapport aÌ€ un produit, ce qui, en l’espé€ce, s’avé€re insuf- fisant vu l’absence de définition légale du commerce équitable. Si ces réglementations peuvent se révéler utiles pour condamner les pratiques exclusivement mercantiles du mot équitable, elles n’offrent pas de solution efficace pour les nombreuses pratiques, tels le commerce éthique et les dons de charité, qui tout en s’apparentant au commerce équitable, n’en respectent pas certaines prémisses de base.

The inner workings of government
Keep track of who’s doing what to get federal policy made. In The Functionary.
The Functionary
Our newsletter about the public service. Nominated for a Digital Publishing Award.

Par ailleurs, la valeur coercitive de ces lois est, pour la plupart, limitée par le fait que la charge de dénoncer les pra- tiques frauduleuses revient exclusive- ment aux compétiteurs. Si cela a l’avantage de fournir un outil juridique aux commerçants considérant que des compétiteurs utilisent frauduleusement le qualificatif équitable, seule une vérifi- cation systématique des produits par des organismes indépendants pourrait assurer aux consommateurs la véracité des allégations et le respect des principes du commerce équitable. Bien que cette remarque ne s’applique pas aÌ€ la Loi sur les aliments et drogues, qui, elle prévoit une vérification par un organisme indépendant, cette avenue n’est gué€re plus prometteuse car cette loi s’applique exclusivement aux aliments, alors que le commerce équitable tend désormais aÌ€ s’élargir pour inclure, notamment, des produits d’artisanat et des vé‚tements.

S’il apparaiÌ‚t possible d’entériner une définition du commerce équitable par ré€glement en vertu de ces lois, il semble que ce ne soit pas la solution aÌ€ privilégier. Étant donné la portée limitée de leur application et le caracté€re subjec- tif du qualificatif équitable, la création d’un régime juridique de certification posant une définition assortie de crité€res spécifiques assurant le respect de principes prédéfinis serait plus adéquate. La mise en place d’un tel régime permettrait de surcroiÌ‚t la créa- tion d’un organisme indépendant assu- rant l’élaboration de cahiers de charges aÌ€ respecter par les intervenants dans la chaiÌ‚ne de commercialisation de pro- duits équitables ainsi que la vérification des pratiques de tous ceux se prévalant de ce qualificatif pour leurs produits.

Bien que son application soit limitée aÌ€ la province de Québec, de mé‚me qu’aux aliments et aux produits agricoles, la Loi sur les appellations réservées est un exemple intéressant dont on pourrait s’inspirer en vue d’éla- borer un régime de certification du commerce équitable au Canada.

Le régime québécois établi sous la Loi sur les appellations réservées vise aÌ€ encadrer la reconnaissance d’appella- tions spécifiquement attribuées aÌ€ cer- tains produits agricoles et alimentaires aÌ€ titre d’attestation de leur mode de pro- duction, de leur région de production ou encore de leur spécificité. Ces appel- lations réservées permettent de limiter l’utilisation de certains qualificatifs aux seuls produits qui respectent un sys- té€me de certification répondant aÌ€ des crité€res stricts et prédéfinis.

Au Québec, en vertu de cette loi, une seule appellation a été réservée aÌ€ l’heure actuelle, soit l’appellation biologique. La réservation de l’appella- tion équitable aux seuls produits répondant aÌ€ des crité€res objectifs préa- lablement déterminés et prévus par la loi permettrait d’assurer le respect des principes fondamentaux du commerce équitable. Le régime aurait par contre intéré‚t aÌ€ s’appliquer aÌ€ toute catégorie de produits plutoÌ‚t que de se limiter aux produits alimentaires afin de pou- voir couvrir l’ensemble des produits équitables existant sur le marché.

Contrairement aux législations existantes mentionnées précédem- ment, l’élaboration d’un tel régime de certification au niveau fédéral permet- trait de mettre en place un organe qui serait chargé de surveiller l’emploi du qualificatif équitable.

Au Québec, l’organisme chapeau- tant le régime est le Conseil des appel- lations agroalimentaires du Québec. Il a pour mission de s’assurer que les organismes de certification respectent les exigences de la certification et que ces derniers exercent un controÌ‚le adéquat sur les activités de leurs mem- bres et sur la vérification des produits certifiés. Ces mécanismes de vérifica- tion assurés par des organismes totale- ment indépendants de ceux qui interviennent dans la chaiÌ‚ne de com- mercialisation des produits équitables et appliquant des crité€res rigoureux permettraient de protéger la confiance des consommateurs canadiens envers les produits équitables.

L’adoption d’un régime de certifi- cation obligatoire permettrait non seulement d’assurer que tout produit se vendant au pays et portant l’appel- lation équitable est soumis aÌ€ un processus de certification fiable, mais également d’imposer des sanctions aÌ€ quiconque tenterait d’utiliser frau- duleusement l’appellation en ques- tion. AÌ€ titre indicatif, dans le cadre de la Loi sur les appellations réservées, une utilisation de l’appellation réservée sur un produit non certifié rend son auteur passible d’une amende de 2 000$ aÌ€ 20000$ et pouvant aller jusqu’aÌ€ 60 000 $ en cas de récidive. La présence de sanctions permettrait de réduire considérablement le nombre d’entreprises se servant de l’appella- tion équitable comme simple outil de marketing au détriment de l’applica- tion des valeurs fondamentales sous- jacentes au commerce équitable.

M algré les bénéfices escomptés de la création d’un régime d’appel- lation réservée, il importe de garder aÌ€ l’esprit certains effets pervers suscepti- bles d’en découler.

Ainsi, le fait de circonscrire la défi- nition du mot équitable par la législa- tion peut, incidemment, engendrer l’exclusion de certaines initiatives qui, bien que ne répondant pas aÌ€ tous les crité€res leur conférant un statut équitable, peuvent néanmoins cons- tituer des initiatives commerciales louables. Tel serait le cas, par exemple, d’un importateur de café contribuant aÌ€ offrir une aide médicale aÌ€ des produc- teurs de café cubains alors que la présence marquée du gouvernement cubain dans le processus de commercia- lisation du café empé‚che ces produc- teurs de faire partie des réseaux conventionnels de commerce équitable.

Cette contrepartie semble toutefois raisonnable afin de permettre d’enrayer la confusion aÌ€ l’égard des produits qui s’affichent équitables. D’autant plus que rien n’empé‚cherait une entreprise d’em- ployer une autre appellation aÌ€ connota- tion sociale, comme « solidaire » ou café « humanitaire », de mé‚me que d’expli- quer sur l’emballage aÌ€ quoi cela corre- spond exactement dans les faits. Le produit pourrait ainsi garder une place dans le marché des consommateurs aver- tis et conscientisés aÌ€ cette problématique, sans pour autant contribuer aÌ€ une confu- sion comme celle qui ré€gne présente- ment et qui risque fort de miner la crédibilité du commerce équitable.

L’attribution d’une appellation réservée aÌ€ l’expression équitable, en ce qu’elle impose de faire un choix quant aÌ€ une définition spécifique du terme équitable, pourrait également é‚tre la source d’un nivellement vers le bas des crité€res. Il sera en effet difficile de définir cette notion et de circonscrire les crité€res qui devront é‚tre rencontrés tout au long de la chaiÌ‚ne de fabrication et de com- mercialisation d’un produit pour qu’il soit reconnu comme étant équitable. Le risque d’abaisser le niveau des crité€res aÌ€ la suite d’une manifestation probable de mécontentement de la part de ceux qui appliquent des normes moins contraignantes est réel. Bien que non négligeable, cette crainte ne saurait justifier le statu quo.

La situation actuelle est problématique et risque de mener, aÌ€ plus ou moins long terme, aÌ€ une perte de confiance des consomma- teurs envers les déclarations équitables de certains pro- duits. La création d’un régime aÌ€ l’image de la Loi sur les appellations réservées, appliqué aÌ€ l’utilisa- tion du terme équitable, procurerait cer- tainement des avantages notoires, mais elle impliquerait également certaines dif- ficultés. Afin de permettre au systé€me de commerce équitable de remplir adéquate- ment les objectifs qu’il s’est fixés, il sem- ble donc qu’il faudra, au surplus, explorer d’autres façons de procéder.

En cas d’inaction ou de temporisation au niveau législatif, une cam- pagne publicitaire sur la signification et les implications des labels de certifi- cation reposant sur les crité€res garan- tissant le respect de l’idéologie du commerce équitable, tels que ceux de Transfair Canada, serait probablement la meilleure mesure aÌ€ privilégier. Il semble évident toutefois que, mé‚me en cas d’instauration d’une appellation réservée équitable, l’information du public devrait demeurer une priorité. 

You are welcome to republish this Policy Options article online or in print periodicals, under a Creative Commons/No Derivatives licence.

Creative Commons License