À chaque fois que le Parti québécois perd le pouvoir, il vit une crise existentielle. C’est sans doute le propre de tout parti politique, qui se retrouve dans l’opposition après avoir détenu le pouvoir durant un certain nombre d’années, de s’interroger sur son avenir, de remettre en question certaines pratiques, parfois de revoir le fonctionnement interne du parti et, au besoin, de corriger le programme. Mais, dans le cas du Parti québécois, la crise existentielle est toujours plus profonde puisqu’elle touche à la raison d’être du parti ― réaliser l’indépendance du Québec ― et qu’elle mobilise les militants et les militantes qui, il faut le reconnaître, sont profondément engagés dans la défense de la souveraineté. D’un côté, un idéal à atteindre qui est toujours repoussé plus loin par suite de l’échec de deux référendums et, de l’autre, des militants qui poussent à la roue et qui voudraient aller plus vite qu’une bonne partie de la population québécoise et même plus vite que leurs dirigeants politiques.

Après 1985, à la suite de la victoire des libéraux provinciaux, le PQ a ainsi remis en question les avantages du « beau risque » mis de l’avant par René Lévesque à la suite de la victoire des conservateurs fédéraux dirigés par Brian Mulroney. Il s’est aussi interrogé sur la volonté d’« affirmation nationale » incarnée par son chef, Pierre Marc Johnson, ce qui a conduit au remplacement de ce dernier par Jacques Parizeau.

Depuis avril 2003, à nouveau dans l’opposition, le PQ se questionne encore sur son avenir. Ce questionnement suit une triple orientation. La souveraineté doit-elle toujours être assortie d’une association économique et même d’une forme d’association politique avec le reste du Canada ? Doit-on encore tenir un référendum pour consulter la population québécoise sur ce sujet ou considérer qu’une élection tiendra lieu de référendum et permettra au PQ d’enclencher le processus de l’indépendance ? L’indépendance ou la souveraineté du Québec est-elle encore pertinente à l’heure de la mondialisation ?

D’entrée de jeu, il importe de souligner que, dans l’esprit de René Lévesque au moment où il mettait sur pied le Mouvement souveraineté-association, la souveraineté politique du Québec devait être assortie d’une association économique avec le Canada. Cette option va susciter de nombreux débats au sein du nouveau parti fondé en 1968 : l’association économique est-elle indissociable de la souveraineté politique ? Si c’est le cas, ne donne-t-elle pas un pouvoir de chantage énorme au reste du Canada ?

Dans son premier programme, adopté en octobre 1968, le PQ indiquait sa volonté de négocier, en même temps que les modalités de son accession à la souveraineté, des accords d’association économique avec le Canada, soit les éléments essentiels d’un marché commun et d’une union monétaire. Au moment du référendum de 1980, le gouvernement du Parti québécois a présenté un projet d’entente Québec-Canada. La souveraineté revendiquée pour le Québec s’accompagnait d’un traité visant à préserver l’espace économique canadien de façon à assurer la libre circulation des biens et des personnes, de même que d’une union monétaire. Peu avant le référendum d’octobre 1995, était ratifiée l’entente du 12 juin entre le PQ, le Bloc québécois et l’Action démocratique du Québec (ADQ). Cette entente non seulement parlait d’accession à la souveraineté, mais aussi et surtout s’arrêtait à une proposition de traité de partenariat économique et politique. Elle élargissait grandement les termes d’un traité économique et innovait dans le domaine des institutions communes, entre autres par la création d’une assemblée parlementaire formée de députés québécois et canadiens.

Tous les sondages montrent qu’une question sur la seule souveraineté politique recueille toujours moins d’opinions favorables qu’une question sur la souveraineté-association. Le Parti québécois peut difficilement se passer de ces appuis s’il veut faire la souveraineté.

Même si l’association économique continue de susciter des débats, il apparaît qu’une majorité de militants se rallie aujourd’hui à cette formule. Cet appui repose sur un double constat. D’une part, tous les sondages montrent qu’une question sur la seule souveraineté politique recueille toujours moins d’opinions favorables qu’une question sur la souveraineté-association. Le Parti québécois peut difficilement se passer de ces appuis s’il veut faire la souveraineté. D’autre part, à l’heure de la mondialisation des marchés, un Québec souverain doit à tout prix s’intégrer à de grands ensembles économiques. Et puisque la grande majorité de ses exportations est destinée au marché américain, il semble impératif qu’il négocie son adhésion à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et obtienne l’accord des actuels participants à ce traité.

Un autre point de discorde ― que l’on croyait réglé depuis longtemps ― a resurgi parmi les militants concernant le processus d’accession à la souveraineté : une élection référendaire suffit- elle pour déclencher le processus ou un référendum consultatif s’impose-t-il ?

Les premiers programmes du parti ne mentionnent pas l’étape référendaire : l’élection du Parti québécois signifie que le gouvernement a le mandat d’enclencher, avec l’accord de l’Assemblée nationale du Québec, le processus d’accession à la souveraineté, tout en négociant avec le Canada le partage des avoirs et des dettes ainsi que la création d’un marché commun et d’une communauté monétaire (Programmes du Parti québécois, 1970 et 1973).

Déjà évoquée au cours de la campagne électorale de 1973, l’étape référendaire sera plus clairement affirmée durant la campagne électorale de 1976 : d’abord l’élection du Parti québécois, ensuite un référendum sur la souveraineté-association. La plateforme électorale de 1994, à la veille des élections où les sondages indiquaient nettement que le PQ avait des chances de l’emporter, fait clairement état de la démarche préconisée par le parti. « L’accession du Québec à la souveraineté, y lit-on, ne peut se faire que par la volonté de ses citoyens s’exprimant dans un référendum tenu sur cette question. » Le programme de 1996 va dans le même sens, alors que la plateforme électorale de 1998 introduit un concept nouveau, celui des « conditions gagnantes » sur lequel je reviendrai plus loin.

Cet autre débat existentiel sur la tenue d’un référendum suscite encore des discussions au sein du Parti québécois. En retenant l’idée d’une élection référendaire, le PQ reviendrait à la position défendue au cours de ses premières années d’existence, mais il se couperait aussi d’une partie de l’électorat qui pourrait souhaiter remplacer le Parti libéral au pouvoir par le PQ, mais qui se refuserait à le faire (en se réfugiant dans l’abstention ou en votant pour l’ADQ) à cause de ce changement important. Tenir un référendum sur la souveraineté-association comme en 1980 ou sur la souveraineté-partenariat comme en 1995 est une démarche éminemment démocratique, puisqu’elle accorde au peuple québécois, source ultime de la souveraineté, l’occasion de se prononcer sur cette question. Vouloir faire l’économie de cette consultation, c’est risquer de confiner le parti à l’opposition.

Avant de s’interroger sur la pertinence de la souveraineté et de l’appui de la population québécoise à cette option, il convient de s’arrêter aux facteurs qui ont contribué à la défaite du Parti québécois lors des élections d’avril 2003 afin de voir si ce fut avant tout un vote contre la souveraineté.

En premier lieu, on peut noter que la population souhaitait un changement à la tête de l’État québécois. Cette volonté de changement de gouvernement, après neuf ans de règne péquiste, était perceptible dans les sondages depuis plusieurs mois. C’est d’abord l’ADQ qui en a bénéficié (été-automne 2002), puis le PQ (printemps 2003) mais c’est finalement le Parti libéral qui a profité de ce désir de changement et remporté les élections (mouvement à la hausse qui s’est amorcé surtout après le débat des chefs).

Le faible taux de participation est un second facteur ayant joué dans cette élection. Le Parti québécois apparaît comme le grand perdant de cette désaffection puisque près d’un demi-million d’électeurs ont déserté ce parti, soit pour se réfugier dans l’abstention en estimant que le PQ ne méritait plus leur vote, soit pour grossir les rangs de l’ADQ qui n’avait pourtant plus de chance de former le gouvernement, comme le montraient les sondages au cours de la campagne électorale.

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Du côté du vote francophone, un autre facteur a contribué à la défaite du PQ. Dans les régions de Québec, de Trois-Rivières, de Saguenay et au sud de Montréal (toutes affectées par les fusions municipales forcées), Pierre Drouilly (dans L’annuaire du Québec 2004, p. 611-612) a identifié 16 circonscriptions, à forte majorité francophone, toutes péquistes en 1998, où le PQ a perdu un grand nombre de voix. La division du vote entre les trois grands partis, combinée à une abstention marquée des péquistes, va contribuer à la victoire de 14 candidats libéraux sur 16 et d’un adéquiste. Pierre Drouilly note également que les électeurs non-francophones continuent de s’opposer massivement au Parti québécois et à l’option souverainiste.

À l’exception de ce vote des non-francophones, il est difficile de conclure que l’élection de 2003 traduisait une réelle volonté de l’électorat de voter contre la souveraineté. Il a plutôt voulu punir le Parti québécois. Les électeurs insatisfaits du gouvernement péquiste se sont abstenus de voter, pour la moitié d’entre eux, ou ont appuyé l’ADQ, pour le tiers d’entre eux environ. Très peu sont donc passés au Parti libéral, le parti qui incarnait et qui incarne encore nettement l’option fédéraliste au Québec.

Le PQ a-t-il encore un avenir au Québec comme parti souverainiste ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord s’interroger sur les appuis à la souveraineté au sein de la population québécoise. Par-delà les hauts et les bas liés à certains événements conjoncturels, il importe de dégager les tendances lourdes qui ressortent des multiples sondages sur cette question.

Après le sommet de 58 p. 100 atteint en 1990 à la suite de l’échec de l’Accord du lac Meech et même de 70 p. 100 à la souveraineté-association en novembre 1990, cet appui commence à s’estomper dès l’année suivante pour se situer autour de 40 p. 100 en moyenne en 1994 et au début de 1995, comme le montrent Denis Monière et Jean-Herman Guay dans La bataille du Québec (1996). La moyenne des 15 sondages publiés peu avant le référendum d’octobre 1995 est de 45 p. 100 pour le Oui si l’on tient compte d’une méthode dite « réaliste » de répartition des discrets (soit trois quarts pour le Non et un quart pour le Oui). Après le référendum, cet appui grimpe à 51 à 52 p. 100 pour redescendre à 46 p. 100 en 1997. Par la suite, les sondages aussi bien de la firme Léger Marketing que de la firme CROP montrent que l’appui à la souveraineté-partenariat se maintient habituellement entre 40 p. 100 et 45 p. 100 de l’électorat, et le plus souvent autour de 42 à 44 p. 100. Cet appui a grimpé momentanément à 47 p. 100 en octobre 2003 et à 49 p. 100 en novembre 2004 (CRIC, 2004). Notons que les résultats sont plus favorables à l’option souverainiste depuis que le PQ est dans l’opposition comme si les Québécois voulaient se donner une police d’assurance, tout en étant certains qu’il n’y aura pas de référendum à court terme.

De tels résultats n’assurent pas encore la victoire du Oui au moment d’un référendum. C’est donc dire que la première et la plus fondamentale des conditions gagnantes ne serait pas remplie. Si un référendum était tenu dans de telles conditions, il serait sans doute perdu : les Québécois et les Québécoises se diraient alors Non pour la troisième (et probablement dernière) fois. Un tel résultat affaiblirait encore davantage la position du Québec au sein de la fédération canadienne et provoquerait de fortes tensions dans le mouvement souverainiste et, fort probablement, de fortes tensions au sein même du Parti québécois.

Par contre, si le Parti québécois réussit à mobiliser cet électorat qui appuie fidèlement la souveraineté-partenariat, il peut facilement l’emporter au cours d’une prochaine élection, à la condition que l’ADQ conserve ou même augmente ses appuis, sans trop gruger sur la clientèle du PQ.

Mais cet éventuel succès électoral du PQ demeure relié au respect de deux conditions. Il faut d’abord que le Parti québécois maintienne l’option de la souveraineté-association ou de la souveraineté-partenariat (c’est là le libellé des questions posées dans les sondages depuis une vingtaine d’années) puisque les appuis à l’indépendance sans association ou sans partenariat sont toujours moindres. Il faut ensuite que le PQ continue de dissocier élection et référendum : à aucune élection depuis 1970, le PQ n’a obtenu la moitié des voix de l’électorat. Le moment où il s’est approché le plus de cette barre fatidique, c’est au référendum d’octobre 1995 avec 49,4 p. 100 des voix. Enclencher le processus de la souveraineté politique sans une majorité absolue de voix au cours d’une élection ne peut que conduire à de nombreux conflits à l’intérieur du Québec et au sein du Canada.

Bref, rien n’indique dans les tendances lourdes dégagées des sondages antérieurs que le Parti québécois pourrait l’emporter en prônant uniquement l’indépendance du Québec sans une forme d’association économique avec le Canada et, depuis l’ALENA, avec ses autres partenaires que sont les États-Unis et le Mexique (et éventuellement l’Europe). Rien n’indique non plus que le PQ, sans référendum sur la souveraineté-association ou partenariat, aurait la légitimité nécessaire, aussi bien sur le plan intérieur qu’au niveau extérieur, pour proclamer la souveraineté du Québec à la suite d’une élection dont il sortirait victorieux. Cette légitimité serait encore plus entachée dans le cadre d’une élection triangulaire où les trois principaux partis actuels se partageraient les voix de l’électorat. Une radicalisation de l’option souverainiste, quelle qu’en soit la forme (souveraineté sans association, élection référendaire), apparaît donc vouée à l’échec : échec en termes de suffrages nécessaires, échec en termes de légitimité.

Depuis sa fondation, le PQ s’est positionné à gauche du PLQ et, plus récemment, de l’ADQ. À l’heure où on est en train de redéfinir les grands paramètres de la social-démocratie et du rôle de l’État dans le contexte de la mondialisation, cette option constitue-t-elle un obstacle supplémentaire pour le PQ ? C’est peu probable. Rien n’indique encore que la prééminence de l’État sur la scène internationale soit véritablement remise en cause, même et surtout dans un contexte de mondialisation où se dessinent de grands ensembles. En outre, l’existence d’acteurs transnationaux comme les ONG, les entreprises multinationales, les grandes organisations criminelles, ne rend pas pour autant caduque l’existence de l’État. On pourrait même avancer le contraire : l’État cherche à s’adapter à ces nouvelles réalités, sinon à se renforcer dans certains domaines comme celui de la sécurité ou celui de la réglementation de nouveaux secteurs d’activité.

D’un autre côté, les thèses du déclin de l’État-providence sont de plus en plus contestées et contestables. Certes, les expériences de Reagan et de Thatcher ainsi que les problèmes financiers importants des États au cours des années 1990 ont laissé croire que, un peu partout dans le monde occidental, l’État-providence était nettement en déclin. Il est vrai que les États se sont souvent délestés d’entreprises et de secteurs à vocation économique (privatisations, partenariats). Si depuis une vingtaine d’années, leur vocation sociale a parfois été redéfinie, elle n’a pas foncièrement décliné. Au Québec, par exemple, des investissements massifs sont toujours consentis en santé, éducation, bien-être social, en dépit de coupures importantes à certaines époques. Bien plus, de nouveaux programmes sociaux ont été mis en place comme ceux des garderies et de l’assurance-médicament.

Ainsi les fondements mêmes de l’option péquiste, soit la souveraineté de l’État québécois et le maintien des fondements de l’État-providence selon une orientation social-démocrate, semblent résister à toutes les thèses qui annoncent, sinon leur mort à plus ou moins longue échéance, du moins leur déclin irréversible.

Ainsi les fondements mêmes de l’option péquiste, soit la souveraineté de l’État québécois et le maintien des fondements de l’État-providence selon une orientation social-démocrate, semblent résister à toutes les thèses qui annoncent, sinon leur mort à plus ou moins longue échéance, du moins leur déclin irréversible.

Certes, le PQ est appelé à redéfinir et à mieux adapter à des réalités nouvelles (dont l’impasse financière de l’État québécois n’est pas la moindre) ce qui constitue l’essence même de son option, surtout au moment où des forces politiques en émergence telles que l’Union des forces progressistes et Option citoyenne tentent d’occuper la gauche de l’échiquier politique québécois et ainsi de gruger sur une partie de l’électorat péquiste. La montée de ces forces peut être plus dommageable au PQ que le contexte de la mondialisation ou les idées de remise en cause de l’État. Il lui appartient de montrer que, dans le monde contemporain, la souveraineté de l’État (assortie d’un partenariat) et la social-démocratie (adaptée aux réalités modernes en tenant compte des difficultés financières de l’État) ne sont pas des concepts surannés et qu’il incarne, mieux que tout autre parti, cette double orientation.

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