L’impact de la réélection de George W. Bush sur l’avenir des relations canado-américaines demeure pour plusieurs observateurs une question préoccu- pante. Certains enjeux nationaux, dont celui du bouclier antimissile ”” 53 p. 100 des Canadiens s’y opposeraient selon le sondage Ekos-Time Magazine mené du 13 au 17 octobre 2004 (N = 1237) ””, et d’autres dossiers plus régionaux, comme ceux du bois d’œuvre ou de l’ouverture de la frontié€re au bœuf de l’Ouest, vont certainement demeurer au centre des débats publics.
L’évolution et la santé de nos relations avec les EÌtats- Unis, surtout sur le plan commercial, dépendent large- ment de notre capacité de se faire des alliés, que ce soit au Congré€s ou aupré€s de la classe politique de divers EÌtats limitrophes. AÌ€ ce sujet, il faut souligner, et nos entrepre- neurs tout comme nos politiciens doivent en é‚tre cons- cients, que ce qui importe n’est pas tant que nous soyons convaincus de la valeur de nos arguments mais bien plus que les Américains partagent notre point de vue. Or, si la sécurité intérieure américaine continue d’é‚tre au centre des préoccupations de la Maison-Blanche, l’étanchéité des frontié€res risque de s’accroiÌ‚tre avec les conséquences néfastes que cela entraiÌ‚ne sur les échanges commerciaux entre nos deux pays.
Pour le Québec, les liens avec les EÌtats de la Nouvelle- Angleterre, avec l’EÌtat de New York en particulier, sont certainement tout aussi importants que la qualité des rap- ports qu’il pourrait entretenir avec les membres du Congré€s américain. Le fait que les électeurs de la Floride aient rejeté la proposition de réaliser un projet de train aÌ€ haute vitesse a un effet direct sur le carnet de commandes de Bombardier et sur les emplois. Pour les citoyens de la Colombie-Britannique ou de l’Alberta, les perspectives sont différentes, dans la mesure ouÌ€ les contacts avec les politiciens américains des EÌtats de Washington, de l’Idaho et du Montana, et le fait qu’ils partagent plusieurs valeurs communes, facilitent le dialogue transfrontalier. La défaite du leader de la minorité démocrate au Sénat, Tom Daschle, du Dakota du Sud, fut ainsi probablement reçue comme une bonne nouvelle par de nombreux fer- miers des Prairies canadiennes puisqu’il s’opposait aÌ€ l’ouverture de la frontié€re aux produits du bœuf canadien. Les démocrates étaient perçus comme davantage protection- nistes que les républicains.
En matié€re de politique étrangé€re, la possibilité d’un ré€glement rapide du conflit irakien ou d’une transition démocratique har- monieuse s’est en bonne partie estompée avec la réélection de George W. Bush. Le climat de suspi- cion actuel autour de la volonté réelle de Washington de régler ces conflits risque par con- séquent de se maintenir.
Depuis la guerre en Irak, les maisons de sondage au Canada sem- blent avoir beaucoup de difficultés aÌ€ comprendre l’ethos des Québécois face aux EÌtats-Unis. Selon un sondage Léger Marketing mené du 22 au 26 janvier 2003 (N = 1502), les Québécois furent clairement, de tous les citoyens cana- diens, ceux qui manifesté€rent la plus vive opposition aÌ€ cette guerre. Alors que dans l’ensemble canadien, inclu- ant le Québec, la population était partagée quant aÌ€ une intervention en Irak (44 p. 100 étaient favorables et 43 p. 100 étaient contre), au Québec 62 p. 100 s’opposaient aÌ€ une participa- tion du Canada aÌ€ cette guerre. Apré€s le déclenchement des hostilités, les Canadiens se sont ralliés graduelle- ment aÌ€ la position québécoise et aÌ€ la décision du gouvernement canadien, au fur et aÌ€ mesure qu’ils ont compris et vu que ce conflit allait perdurer et que les pertes américaines ne cessaient d’augmenter. Ils estiment d’ailleurs aujourd’hui aÌ€ quelque 67 p. 100 que ce conflit a eu des effets négatifs sur nos relations avec les EÌtats-Unis.
Depuis le déclenchement des hos- tilités en Irak, l’opinion des Canadiens et des Québécois aÌ€ l’en- droit de l’administration Bush s’ins- crit sous le signe de la méfiance, surtout en ce qui concerne sa vision des questions internationales. D’ailleurs, selon le sondage omnibus de Léger Marketing d’aouÌ‚t 2004 (N = 1502), 61 p. 100 des Canadiens et 72 p. 100 des Québécois favorisaient l’élection de John Kerry ; le sondage Ekos-Time Magazine présente des résultats semblables. Seulement 6 p. 100 des Québécois auraient voté pour George W. Bush ; l’appui le plus élevé au candidat républicain se situait dans les Prairies avec 33 p. 100.
Il y a plusieurs raisons pouvant expliquer les variations concernant l’appui aux candidats démocrate et républicain au Québec. D’abord, le fait que John Kerry soit un politicien de l’est des EÌtats-Unis n’est certes pas étranger au fait que les Québécois aient vu en lui un homme plus proche des valeurs libérales partagées par l’ensemble des Québécois. AÌ€ cet égard, il est intéressant de noter que l’appui au candidat démocrate faisait l’unanimité tant chez les partisans du Parti libéral du Québec que chez ceux du Parti québécois. D’ailleurs, l’oppo- sition des Québécois aÌ€ la guerre en Irak a également transcendé la ligne de parti et a eu une incidence directe sur l’évaluation de la politique étrangé€re américaine. D’une manié€re générale, les politiques du Parti démocrate sont et demeurent claire- ment au diapason des valeurs de la société québécoise.
Dans le sondage omnibus d’aouÌ‚t 2004 mené au Québec et dans les provinces cana- diennes par la maison Léger Marketing (voir le tableau 1), l’ensemble des répon- dants estimait aÌ€ 44 p. 100 que la réélection de George W. Bush aurait un impact négatif sur les relatives canado-américaines ; 28 p. 100 esti- maient que cela n’aurait aucun impact. Seulement 13 p. 100 jugeaient que cela aurait un effet positif.
Il est toutefois intéressant de noter que ce sont surtout les répon- dants de la Colombie-Britannique et de l’Ontario qui escomptaient un impact négatif, avec, respectivement, 53 p. 100 et 46 p. 100 des répondants qui étaient de cet avis. En contrepar- tie, ce sont les répondants des Prairies qui étaient les moins pessimistes aÌ€ 29 p. 100. De leur coÌ‚té, les Québécois étaient ceux qui croyaient le plus que cela n’aurait aucun impact (41 p. 100), alors que 41 p. 100 appréhendaient des effets négatifs. AÌ€ peine 6 p. 100 d’entre eux voyaient dans le retour de George W. Bush aÌ€ la Maison-Blanche un signe positif.
Mais l’inquiétude réelle des Québécois et des Canadiens est encore plus manifeste face aÌ€ la sécurité et aÌ€ la paix dans le monde ; 59 p.100 des répondants estimaient que la réélec- tion de George W. Bush aurait un impact négatif aÌ€ ce chapitre. Ce senti- ment était particulié€rement répandu au Québec (68 p. 100) et en Colombie- Britannique (64 p. 100). Encore une fois, ce sont les citoyens des Prairies qui étaient les moins « inquiets » aÌ€ 42 p. 100, 30 p. 100 d’entre eux voyant d’un bon œil le retour de George W. Bush aÌ€ la présidence des EÌtats-Unis.
Il serait toutefois erroné de conclure, aÌ€ la lumié€re de ces chiffres, que le fort sentiment anti-Bush est un reflet d’un sentiment anti-américain au Québec, ou ailleurs au Canada. La décision de Washington d’intervenir en Irak a certes fortement divisé l’opinion publique, tant entre les citoyens du Québec et ceux du Canada qu’entre les EÌtats-Unis et l’opi- nion internationale, tout comme elle a profondément marqué notre attitude quant aÌ€ notre capacité de mener une poli- tique étrangé€re axée sur la coopération internationale et le multilatéralisme. Mais selon un sondage Ekos-Time Magazine mené du 13 au 17 octobre 2004, les EÌtats- Unis demeurent malgré tout notre meilleur ami pour une vaste majorité de Québécois et de Canadiens (67 p. 100).
Alors que les Québécois étaient largement favorables au libre-échange Canada/EÌtats-Unis aÌ€ la fin des années 1980, ils sont aujourd’hui fortement préoccupés par les effets de cette guerre sur leur économie. L’administration Bush n’a pas fini de demander de l’ar- gent supplémentaire au Congré€s pour la financer, ce qui, en conjonction avec les baisses d’impoÌ‚ts déjaÌ€ votées et celles qui suivront probablement, propulsera le déficit budgétaire américain vers des sommets inégalés. Ajoutons aÌ€ cela le déficit de la balance commerciale, qui bat des records d’un trimestre aÌ€ l’autre, et le déclin du dollar américain par rap- port aux principales devises mondiales, et la table est mise pour une hausse de l’inflation et des taux d’intéré‚ts qui aura toÌ‚t fait de se répercuter chez nous et de ralentir la croissance.
Finalement, le succé€s de nos rela- tions bilatérales avec les EÌtats-Unis demeurera tributaire de la capacité et de volonté de l’administration Bush de vouloir véritablement régler certains li- tiges commerciaux. Le Québec et le Canada sont peut-é‚tre en train de payer pour leur refus de participer aÌ€ la guerre en Irak, mais nos diplomates devront faire comprendre aÌ€ nos amis américains que, sans la résolution de nos différends, on risque tous d’y perdre davantage.