Les jeunes font aujourd’hui des choses qui ne se faisaient pas au Québec il y a 20, ou mé‚me 10 ans. Ils travaillent sur des molécules ou sur des concepts dont leurs aiÌ‚nés ne soupçonnaient pas l’existence. Ils explorent des champs du savoir qui n’existaient mé‚me pas quand je suis entré aÌ€ l’université dans les années 1960.
En un mot, ils innovent. Et le XXIe sié€cle sera le sié€cle de l’innovation.
Que faire pour que le Québec soit de ce sié€cle et non du sié€cle précédent? Quels gestes accomplir aujourd’hui pour construire la société québécoise de demain? Quelles portes ouvrir et surtout quelles clés se don- ner? Ces questions devraient inter- peller tous les Québécois et les Québécoises. Elles devraient nous interpeller tous car elles déterminent notre avenir collectif.
Pourtant, il me semble qu’elles sont aÌ€ l’heure actuelle occultées du débat public. J’ai parfois l’impression, et je sais qu’elle est partagée par plusieurs d’entre vous, que le Québec est en panne de projets. Mieux gérer les urgences de nos hoÌ‚pitaux ou réduire les listes d’attente en chirurgie, c’est une nécessité, mais on ne peut en faire un projet de société. Moderniser l’EÌtat, c’est aussi une nécessité, ce n’est pas un projet de société. C’est de la saine gestion.
Une société qui se contente de gérer le quotidien est une société sans projet. Et une société sans projet est une société sans avenir.
Je voudrais profiter de cette tribune pour, tré€s modestement, vous soumet- tre une idée pour le Québec. Cette idée, elle tient en un mot : le savoir.
Nous vivons aujourd’hui dans un monde entié€rement structuré par la connaissance. Ce qui caractérise notre époque, c’est que nous avons systématisé la production et l’utilisa- tion du savoir aÌ€ des fins de développe- ment. Le savoir est devenu la matié€re premié€re de nos échanges. C’est notre or, notre pétrole aÌ€ nous. Il s’agit d’un changement de paradigme majeur. Un changement qui agit sur la struc- ture mé‚me de notre économie, sur son évolution et sur ses lieux de développement.
La raison est simple : plus le savoir connaiÌ‚t d’applications, plus il s’atomise et se diversifie pour répondre aÌ€ des besoins particuliers. Au temps d’Aristote, le savoir était un et se résumait aÌ€ la philosophie. Au temps de Bill Gates, il a mille et un visages.
C’est pourquoi tout ce qui touche aÌ€ la production, aÌ€ la diffusion et aÌ€ la valorisation du savoir constitue un enjeu crucial pour nos sociétés. Un enjeu qui déborde de beaucoup les li- mites de ce haut lieu de la connais- sance qu’est l’université. Un enjeu qui concerne l’ensemble du corps social, les PME comme les grandes entreprises, les services publics comme les entreprises privées, l’in- dustrie culturelle comme l’industrie manufacturié€re.
Qu’est-ce que le Québec a aÌ€ offrir aÌ€ cette nouvelle civilisation du savoir, qui forme l’horizon indépas- sable de notre temps?
Le Québec a beaucoup aÌ€ offrir. Mais son principal avantage stratégique, c’est sa créativité. La créa- tivité québécoise est pour moi un objet d’étonnement permanent. Sans doute parce que j’y vois le grand héritage des efforts que nous avons consentis depuis la Révolution tranquille pour devenir ce que nous sommes aujour- d’hui : une société ouverte, plurielle et, surtout, innovatrice.
Petite par son poids démo- graphique, distincte par sa langue et sa culture, notre société aurait pu rester captive de sa condition, elle s’en est au contraire servie comme d’un tremplin pour assurer sa croissance. Ce que je vais dire pourra paraiÌ‚tre bizarre aÌ€ cer- tains, mais le Québec est la seule com- munauté self-made man d’Amérique du Nord. Elle s’est faite elle-mé‚me.
Nos racines nous ont servis ”” et je ne parle pas seulement des racines canadiennes-françaises. Notre dif- férence, qu’on a longtemps perçue comme un handicap, est devenue un atout. Elle nous a contraints aÌ€ satis- faire nous-mé‚mes nos propres besoins. Bref, nous avons fait de nécessité vertu. Nous avons hissé la débrouillardise au rang de l’inventi- vité. Le contexte dans lequel nous évoluons depuis 40 ans nous a forcés aÌ€ é‚tre créatifs et innovateurs.
Cette créativité, elle représente aujourd’hui un actif majeur. C’est le pouvoir, non pas de faire les choses autrement ”” tout le monde peut faire les choses autrement avec un minimum d’ingéniosité. C’est le pouvoir de faire autre chose. Et ça, c’est une chance qui n’est pas donnée aÌ€ toutes les sociétés.
Dé€s qu’il est entré en contact avec la société du savoir, notre capital de créativité a produit des résultats éton- nants. Nos récentes success stories ont toutes en commun d’é‚tre filles de la créativité québécoise et de la société du savoir. Les mises en scé€ne de Robert Lepage comme le miracle informatique de Softimage. Les con- torsions des acrobates du Cirque du Soleil comme le génie aéronautique de Bombardier. Les films de Denys Arcand comme l’entrepreneurship des Paul Desmarais, Jean Coutu, Lino Saputo, Serge Godin, Robert A. Walsh, Guy Laliberté, Morris Goodman, Bernard Lamarre et combien d’autres.
Une telle performance est presque un cas d’école. Nous en avons nous- mé‚mes été les premiers étonnés. Nous avons été surpris de voir comment nous nous étions fabriqué des instru- ments de développement culturel, scientifique et économique qui non seulement nous ressemblent, mais qui trouvent aujourd’hui preneur partout dans le monde. Nous avons été émer- veillés de voir comment nous nous étions taillé collectivement une place enviable sur l’échiquier socioéco- nomique mondial.
Je crois fermement que le moment est venu de revenir de notre surprise et de nous demander comment perpétuer cette rencontre féconde entre la créati- vité québécoise et la société du savoir. Ce que je redoute par-dessus tout, c’est que nous ne tirions pas toutes les leçons de cet heureux concours de circonstances. Ce que je redoute, c’est que nos succé€s récents restent des cas isolés, que nous évoquerons avec nostalgie dans 50 ans.
Tabler sur notre créati- vité, miser sur le savoir. Telle est, je crois, la combinaison gagnante pour le Québec d’aujour- d’hui. Le savoir est le meilleur aliment de notre créativité, il accroiÌ‚t ses propriétés de manié€re exponentielle. Je suis con- vaincu qu’en raison de notre situation et du profil tout aÌ€ fait singulier que présente la société québécoise, tout investissement dans l’éducation et la recherche aura des retombées plus grandes ici qu’ailleurs.
Miser sur le savoir, qu’est-ce que ça signifie? Ça signifie faire du savoir le centre de tout ce que notre société entreprend. Le savoir doit é‚tre le prisme aÌ€ travers lequel nous regardons le monde. Il doit dicter toutes nos décisions, collectives et individuelles.
Nous savons tous que le savoir n’a pas toujours eu bonne presse dans le Québec francophone. Il a longtemps été perçu comme le pri- vilé€ge d’autrui et il a mé‚me été tenu en haute suspicion par nos propres élites. Dans les années 1950, un mi- nistre de l’Union nationale affirmait haut et fort que les Canadiens français avaient la vocation de l’igno- rance et que ce serait les trahir que de trop les instruire.
Nous n’en sommes plus laÌ€ heureusement. Aujourd’hui, on s’ap- proprie le savoir, on le développe, on le valorise aux quatre coins du Québec.
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Montréal, vous le savez bien, n’aspire qu’aÌ€ grimper dans la hiérarchie des grandes métropoles culturelles et technologiques du monde. Elle a tout pour y arriver. Elle a mé‚me un plan d’action qui ne demande qu’aÌ€ é‚tre réalisé. Montréal, ville de savoir, n’est pas un ré‚ve, mais une possibilité aÌ€ portée de projets.
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Québec, qui, il n’y a pas si longtemps, vivait presque exclu- sivement des activités gouverne- mentales, s’appuie de plus en plus pour assurer sa croissance sur des secteurs de haut savoir, comme l’optique photonique.
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La Beauce, qui l’euÌ‚t cru, envahit les marchés nord-américains et s’est développé une niche dans des domaines pourtant hautement concurrentiels. Comment expli- quer ce succé€s, si ce n’est par une fertilisation audacieuse des secteurs manufacturiers tradition- nels par des technologies et des savoirs de pointe?
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Sherbrooke est un modé€le de sy- nergie entreprises-universités. Elle est le centre de partenariats stratégiques tout aÌ€ fait inédits, qui sont cités en exemple partout dans le monde, et qui sont en train d’écrire l’une des plus belles pages du développement régional québécois.
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La Sagamie travaille en ce moment aÌ€ transformer les façons de faire en foresterie et dans l’industrie de l’aluminium, en puisant dans ce vivier de compétences scien- tifiques qu’est l’Université du Québec aÌ€ Chicoutimi.
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Saint-Hyacinthe est devenue un haut lieu de l’agroalimentaire au Canada graÌ‚ce aux institutions de recherche et de développement implantées dans la région, en par- ticulier la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. Les projets y foisonnent et certains n’attendent qu’un investissement pour démarrer.
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La ville de Laval, dont les indus- tries aÌ€ forte densité de savoir se sont considérablement développées depuis 10 ans, a pris symbo- liquement une option sur l’avenir en implantant en plein cœur de son nouveau centre-ville une « Cité du savoir ».
On pourrait multiplier sans fin les exemples de conversions récentes de nos villes et de nos régions aÌ€ la société du savoir. Ces expériences sont audacieuses, exaltantes, promet- teuses. Elles sont aussi fragiles et sont encore loin d’avoir donné tous leurs fruits, comme est venu nous le rappe- ler cruellement, pour la métropole, le récent Bulletin de santé de Montréal de la Chambre de commerce. VoilaÌ€ pourquoi il faut multiplier les foyers de développement afin d’ouvrir aÌ€ l’échelle de la province un vaste chantier du savoir. Il n’y a pas de pro- jet plus urgent pour le Québec. (…)
Dans les années 1960, le Québec lançait de grands projets hydroélec- triques en assumant pleinement et avec enthousiasme les couÌ‚ts qui leur étaient associés. Aujourd’hui, les grands chantiers sont ceux du savoir.
Tout comme le Québec du XXe sié€- cle disposait d’immenses réservoirs d’eau qu’il a su convertir en potentiel hydroélectrique, le Québec du XXIe dis- pose d’étonnants gisements de créa- tivité et d’imagination. Des ressources d’innovation, qui sont de plus en plus recherchées dans le monde d’aujourd’hui. Des ressources dont nous ne tirerons le plein bénéfice qu’en les arrimant aÌ€ une authentique culture du savoir.
Le gouvernement du québec doit non seulement prendre acte de cette nou- velle réalité, il doit aussi, et dans les plus brefs délais, définir avec les partenaires de la société québécoise les orientations, les objectifs et les instruments d’interven- tion en matié€re de savoir, de création et d’innovation. Nous ne partons pas de rien aÌ€ cet égard puisqu’un travail remar- quable a été fait aÌ€ la fin des années 1990 avec l’élaboration d’une politique québé- coise de la science et de l’innovation.
Ce plan d’action devrait é‚tre systé- matique et porter sur les trois grandes modalités du savoir de nos jours : sa diffusion, sa production et sa valorisation.
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La diffusion du savoir aÌ€ travers des réseaux officiels ou informels est cruciale pour la productivité d’une société. La circulation des connais- sances ouvre des perspectives nou- velles aux agents sociaux et économiques, de la petite entre- prise aux échelons les plus élevés du gouvernement. Elle leur apprend aÌ€ faire les choses de manié€re plus efficace et elle leur apprend des manié€res plus effi- caces de faire les choses. Bref, elle permet aÌ€ une société d’é‚tre plus allumée, plus ouverte aussi sur ce qui se fait aÌ€ l’extérieur. Sans mécanisme de diffusion des con- naissances, une société est con- damnée au déclin.
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Une société qui se contente d’as- similer le savoir des autres est une société qui stagne. Produire des connaissances, c’est s’assurer des positions de monopole dans un monde qui a de plus en plus besoin de découvertes et de savoirs nouveaux.
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Enfin, il ne suffit pas de produire des connaissances, il faut aussi les appliquer. Comme le disait Confucius, l’essence de la connais- sance est, une fois qu’on l’a acquise, de l’utiliser. Il existe des initiatives qui vont dans ce sens, mais il faut que l’ensemble de la communauté soit sensible aux enjeux liés aÌ€ l’application des con- naissances de pointe dans l’indus- trie, la petite comme la grande, et aussi dans toutes les autres organi- sations publiques et privées de notre société.
Dans le contexte actuel, marqué par la restriction des dépenses publiques et une évolution démographique défavo- rable, le Québec doit faire des choix dif- ficiles et cruciaux pour son avenir. Ces choix portent, entre autres, sur :
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les modalités d’un financement adéquat de nos universités ;
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la structure de notre enseignement postsecondaire et professionnel ;
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le financement public de la recherche, l’aide aÌ€ la recherche et au développement, ainsi que le soutien aux entreprises de haute technologie ;
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des investissements majeurs dans les centres hospitaliers universitaires ;
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la configuration et la disponibilité du capital de risque ;
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notre industrie culturelle, qui est un acteur économique de pre- mié€re importance.
C’est pourquoi nous avons besoin plus que jamais d’un projet de société audacieux. Un projet qui nous donnera une grille d’analyse cohérente et qui nous aidera non seulement aÌ€ faire les bons choix, mais aussi aÌ€ mobiliser tous les Québécois et les Québécoises. Don- nons-nous une chance. Soyons, dans les années qui viennent, des obsédés du savoir. L’avenir, il est laÌ€, et pas ailleurs. Il n’en tient qu’aÌ€ nous d’é‚tre de notre sié€cle, et non du sié€- cle dernier.