Plusieurs économistes, dont moi-même, pensons qu’il est temps d’élargir le mandat de la Banque du Canada pour y inclure la poursuite de l’emploi maximum ou du plein emploi. L’Australie, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande prévoient dans leur législation que le mandat de leur banque centrale est à la fois de s’assurer de la stabilité des prix et du plein emploi. C’est ce qu’on appelle dans le jargon des économistes le double mandat.

L’occasion se présente pour le Canada d’en faire autant. Lors du prochain discours du Trône, le gouvernement fédéral pourrait décider d’annoncer la révision de la Loi sur la Banque du Canada et l’adoption d’un double mandat. En effet, en 2021, le gouvernement doit renouveler son entente quinquennale avec la Banque du Canada. Depuis déjà près de 30 ans, le ministère des Finances et la Banque signent une entente qui prévoit des cibles spécifiques à atteindre en matière d’inflation. La cible est flexible, et l’objectif est une moyenne annuelle de 2 % d’augmentation de l’indice des prix à la consommation. La Banque a réussi son pari et l’inflation est bien maîtrisée. Mais la Banque pourrait faire plus pour maintenir la santé économique du Canada.

L’inflation n’est plus le problème qu’il a déjà été, et la plupart des experts s’entendent pour dire que la hausse galopante des prix ne pointe pas à l’horizon. De plus, la politique fiscale et budgétaire est actuellement plus efficace que la politique monétaire pour relancer l’économie. Toutefois, pour réussir, le gouvernement a besoin d’être appuyé par une politique monétaire qui privilégie la santé du marché du travail et ne cible pas uniquement l’inflation.

Le 10 mars dernier, j’ai déposé au Sénat une motion proposant que le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce étudie la nécessité de revoir la Loi sur la Banque du Canada afin notamment d’élargir son mandat et d’y ajouter la poursuite de l’emploi maximal ou du plein emploi productif. Cette position est partagée par plus de 60 économistes, qui ont demandé en mai 2018 au ministre des Finances de l’époque Bill Morneau de revoir la Loi.

Il est important de savoir que l’entente qui doit être renouvelée est une pratique et non une obligation législative. La Loi sur la Banque du Canada, qui a reçu la sanction royale en 1934, ne contient aucun article qui précise son mandat ni mentionne les ententes quinquennales à conclure avec le gouvernement. Peut-être est-il temps de moderniser la Loi et de la rendre plus conforme aux pratiques ?

Le 26 août dernier, la Banque du Canada a tenu une importante conférence sur la question du renouvellement du cadre de conduite de la politique monétaire menant à l’entente avec le gouvernement. L’adoption d’un double mandat a été abondamment discutée. Fait intéressant : en s’appuyant sur les analyses effectuées par la Banque, le professeur émérite Pierre Fortin ainsi que la première sous-gouverneure Carolyn A. Wilkins ont souligné que l’adoption d’un double mandat aurait permis d’atteindre les cibles d’inflation visées aussi bien que le mandat actuel. Monsieur Fortin a également précisé qu’aux États-Unis, où l’on poursuit un double mandat depuis le milieu des années 1970, le taux de chômage y a été généralement plus bas qu’au Canada. L’adoption d’un double mandat semble être une stratégie gagnante sur les deux fronts.

Un double mandat donnerait aussi l’assurance aux entreprises et aux acteurs économiques que la Banque poursuivra le bien-être de l’ensemble de la société, incluant le marché du travail.

En fait, un double mandat présente autant, sinon plus, d’options opérationnelles pour la Banque que le cadre actuel. Il l’inciterait à agir de manière pragmatique comme elle l’a fait ces dernières années. Il donnerait aussi l’assurance aux entreprises et aux acteurs économiques que la Banque poursuivra le bien-être de l’ensemble de la société, incluant le marché du travail.

Le gouvernement serait bien avisé d’annoncer dans son prochain discours du Trône une révision de la Loi et l’adoption d’un double mandat pour la Banque du Canada. Cela ne serait certainement pas une hérésie. Après tout, si le gouverneur de la Réserve fédérale américaine annonce en grande pompe, comme il l’a fait le 27 août dernier, que la politique monétaire américaine priorisera la santé du marché du travail pendant encore longtemps, la Banque du Canada pourrait bien en faire autant.

Photo : Le gouverneur de la Banque du Canada Tiff Macklem tient une conférence de presse à la Banque du Canada, le 10 septembre 2020. La Presse canadienne / Adrian Wyld.

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Diane Bellemare
Diane Bellemare is an economist and an independent senator from Quebec. She is the legislative deputy to the government representative in the Senate, and an ex-officio member of all committees.

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