Les électeurs québécois ont-ils changé aÌ€ ce point? Ont-ils vrai- ment abandonné le projet souverainiste et l’idée d’un modé€le québécois distinct, aÌ€ saveur social- démocrate?

Si on en juge par le succé€s du dis- cours de Mario Dumont, qui parle de « s’affirmer sans se séparer », d’évoluer vers un « systé€me de santé mixte » et de « faire le ménage » dans les finances publiques, il peut sembler que oui. Mais le débat sur ces orientations n’a pas véritablement eu lieu. Convaincus que l’Action démocratique était destinée aÌ€ l’opposition, les adversaires, les médias et les électeurs n’ont gué€re pré‚té atten- tion aux mesures proposées.

La clé de cette élection tient plutoÌ‚t aÌ€ l’impopularité du gouvernement sor- tant, conjuguée aÌ€ la difficulté pour André Boisclair de vendre l’idée d’un référendum aÌ€ tenir rapidement, quoi qu’il advienne, ainsi qu’aÌ€ la capacité de Mario Dumont de capitaliser sur les insatisfactions des citoyens sans trop s’engager sur le fond.

La montée de l’ADQ s’inscrit aussi dans un contexte plus global de désaf- fection envers la politique, comme l’indique un taux de participation encore décevant. Un sondage récent paru dans Le Monde indique que trois Français sur cinq (61 p.100) ne font con- fiance ni aÌ€ la droite ni aÌ€ la gauche pour gouverner le pays. Pourtant, eux-mé‚mes continuent en majorité (74 p. 100) de s’identifier aÌ€ droite ou aÌ€ gauche.

C’est que les marges de manœu- vres sont bien minces. Au Québec, l’État consacre presque trois quarts de ses ressources aÌ€ trois postes budgé- taires, la santé, l’éducation et le service de la dette, sans mé‚me réussir aÌ€ répon- dre aÌ€ la demande. Ceci laisse peu de place pour des projets de société.

Pour l’instant, les électeurs sem- blent donc plus désabusés et mé- fiants que véritablement mobilisés, dans un sens ou dans un autre. Mais l’échiquier politique a bel et bien changé, et un bloc électoral plus con- servateur pourrait se consolider gradu- ellement. On peut penser, par exemple, aÌ€ un scénario mettant en compétition trois grands partis régio- nalisés, un peu comme en Ontario. Le Parti libéral serait alors ancré dans ses chaÌ‚teaux forts actuels, le Parti québé- cois partirait de ses appuis aÌ€ Montréal et dans les régions aÌ€ plus forte présence syndicale, et l’ADQ, comme les conser- vateurs ontariens, miserait davantage sur les banlieues et les régions rurales.

Pour le Parti libéral, qui a des assises géographiques presque imprenables, se situe au centre et demeure plus pragma- tique qu’idéologique, un tel scénario laisse des possibilités. Il suffirait d’un revirement du sort pour l’un des concur- rents et d’un chef apprécié pour relancer le parti.

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Pour le Parti québécois, le défi apparaiÌ‚t nettement plus important. L’ADQ, en effet, menace directement le PQ sur le terrain de l’identité et de l’autonomie et ce, jusque dans des cir- conscriptions jusqu’ici considérées acquises. La montée de Mario Dumont met aussi en cause le parti dans ses ancrages idéologiques les plus fonda- mentaux, soit la qué‚te de la sou- veraineté et la défense d’une version québécoise de la social-démocratie.

Ceci étant dit, il serait incorrect de conclure que le Parti québécois est con- damné au déclin ou aÌ€ la marginalité, comme ce fut le cas par exemple pour le NPD ontarien, qui ne s’est jamais remis de son passage au pouvoir entre 1990 et 1995. Contrairement au parti de Bob Rae, qui n’a exercé le pouvoir qu’une fois et presque par accident, le Parti québécois a été un grand parti de gouvernement, qui a été 18 ans au pou- voir depuis 1976. Au Canada, dans les trente dernié€res années, seule la Saskatchewan a été gouvernée plus longtemps par un parti de centre-gauche. Le PQ demeure par ailleurs le seul véritable porteur d’un projet, la souveraineté, qui reçoit encore l’appui de plus de 40 p. 100 des Québécois.

Le défi pour le Parti québécois con- siste aÌ€ renouveler la synthé€se qu’il a su réaliser par le passé entre la défense de l’identité québécoise, la promotion de la souveraineté et la mise en œuvre de valeurs de solidarité sociale. Pour ce faire, il faudra penser la souveraineté comme un horizon qui n’impose pas nécessairement un référendum aÌ€ court terme et n’empé‚che pas non plus de concevoir des stratégies de change- ment dans le cadre de la fédération. En mé‚me temps, le Parti québécois devra définir une vision social-démocrate pertinente pour les années qui vien- nent. Dans un cas comme dans l’autre, ce ne sera pas facile.

Certains croient que la culture poli- tique québécoise n’est tout simple- ment plus ancrée au centre-gauche, et pensent donc que le PQ devrait rejoin- dre le PLQ et l’ADQ sur la droite. Les sondages sur les valeurs des Québécois tendent pourtant aÌ€ montrer le con- traire, comme un sondeur « lucide » s’en désespérait encore récemment. Mais ce penchant social-démocrate, ce biais aÌ€ gauche, ne se traduira pas automatiquement en votes.

La politique partisane, écrivait le politologue américain E. E. Schattschneider dans un ouvrage clas- sique, repose sur la mobilisation des inclinations. Pour réussir, il ne suffit pas de se coller aux autres partis en fonction de l’humeur du jour. Un parti doit littéralement construire son élec- torat, en le mobilisant sur la base des attitudes qui prévalent, mais aussi en mettant de l’avant des principes cohérents et porteurs pour l’avenir.

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