« Je crois qu’il est fondamental de reconnecter les Canadiens aux débats et aux décisions qui sont prises en leur nom. Cela commence en redonnant le pouvoir et le contrôle exercés par le Bureau du Premier ministre aux députés qui sont élus pour s’exprimer au nom de leurs communautés. »

Redonner le Parlement au peuple. (www.heurepaulmartin.ca)

Le nouveau premier ministre, monsieur Martin, a bien des projets : financer les villes et les universités, sortir le système de santé de la crise, augmenter l’aide étrangère, renforcer les forces armées, participer au bouclier anti-missile…Vaste programme ! aurait dit De Gaulle. Et qui semble indiquer qu’il a l’intention de rester au pouvoir fort longtemps. Mais le plus important de ses projets, celui auquel il doit accorder la priorité, est celui décrit sur son site Web, une véritable révolution tranquille qui doit permettre d’éliminer l’autre déficit, celui que monsieur Martin a lui-même appelé « le déficit démocratique ».

La chute marquée du taux de participation aux élections alimente la réflexion politique. En quelques années, on est passé des plus de 80 p. cent traditionnels a60 p. cent ou moins. Et la chute ne semble pas terminée. Le Canada évolue-il vers la pratique américaine ? Aux États-Unis, moins de la moitié de la population se donne la peine de voter, et moins du quart des électeurs suffisent pour choisir un président. Nous en sommes déjà aux élections des conseils scolaires.

On n’a guère proposé comme remède que des changements au mode de scrutin. Des formules diverses de vote proportionnel ou régional, de façon éviter les « distorsions » et permettre que les moindres différences d’opinions soient représentées au Parlement. Cette réforme est censée ramener les électeurs dans les bureaux de scrutin et combler le « déficit démocratique ». Mais il semble bien que les défenseurs de la proportionnelle ne fassent que profiter d’un phénomène nouveau pour avancer de vieilles revendications. L’abolition du scrutin majoritaire uninominal à un tour était déjà programme quand les participations électorales étaient encore très élevées. (Les proportionnalités n’ont d’ailleurs pas résolu la principale de leurs contradictions : qu’advient-il du respect des opinions et tendances minoritaires lors d’un référendum ?)

Or, ce n’est pas la proportionnelle qui viendra about du scepticisme des électeurs et leur redonnera confiance dans les institutions. En effet, quoi bon multiplier les partis dans un Parlement ou une Assemblée nationale si les députés continuent de n’être guère plus puissants que des eunuques dans un harem ? Pourquoi les citoyens se fatigueraient-ils pour choisir des représentants si ceux-ci sont mis en tutelle par le Premier ministre, surveillés par le mandarinat, menacés par les partis ? Bref, que des machines gagner les élections et estampiller les lois.

On dit que les électeurs sont cyniques. Ils ne sont pas cyniques, ils ne « bravent pas effrontément et brutalement les conventions sociales et les principes moraux ». Ils sont plutôt sceptiques devant le spectacle du cynisme.

Pourquoi s’intéresseraient-ils aides élus qui refusent le débat chaque fois qu’une grande question est soulevée, qui se lavent les mains laissant aux tribunaux le soin de trancher, qui se défaussent sur les traités internationaux, les organismes comme l’Organisation mondiale du Commerce, l’ONU, le libre-échange et autres traités ?

M’embéquant une loi est susceptible d’être invalidée par les tribunaux, on voudrait que le Parlement vote, pour exprimer la volonté de la nation. L’indépendance des tribunaux est une affaire cruciale, mais celle du Parlement aussi, pour ne rien dire de sa primauté.

Sur ce qui divise profondément la population et fait donc risquer la défaite, le parti au pouvoir s’arrange généralement pour évacuer le débat. Ainsi, le succès électoral n’est pas lié aux préférences des citoyens : il appartient alla meilleure organisation, celui qui remporte le « débat des chefs », souvent par pure chance, celui qui réussit à « planter » l’autre ! Et pour le reste, les sondages déterminent la largeur du corridor qui permet de garder le pouvoir. Parce qu’il faut, parait-il, un consensus.

Quelles grandes questions se décident aujourd’hui au Parlement ? Voila la raison majeure de la désaffection croissante des citoyens : le processus démocratique apparait comme une comédie.

Il y a d’autres raisons. Comme disait Félix Leclerc, le gent politique s’imagine qu’on ne la voit pas.

Le cirque n’a pas sa place dans les parlements. Les comportements y sont souvent scandaleux. La période des questions est une disgrâce, une situation que le style oratoire et grammatical très personnel de Jean Chrétien n’a rien fait pour arranger. Ce n’est pas toujours comme ça, dira-t-on avec raison, mais c’est ce que la télé nous montre et c’est ce qu’elle continuera de nous montrer, la télé, cette invention grâce laquelle les gens se croient informés. Elle ne montrera que cela, comme le savent tous les manifestants et organisateurs d’émeutes.

Des débats fondamentaux s’annoncent aux Communes si monsieur Martin donne suite a ses promesses ”” sur le

médical et hospitalier, sur les besoins des villes, sur l’éducation et la recherche, sur l’immigration et l’aide aux pays pauvres. Et surtout sur nos positions par rapport aux États-Unis et sur le système antimissile. Mais, allons-nous y porter attention ? Allons-nous prendre les députés au sérieux, qu’ils soient libéraux, conservateurs, socialistes ou indépendantistes québécois, s’ils n’ont d’autre rôle que celui de taper sur leur pupitre quand leurs leaders respectifs enguirlandent l’adversaire, et de voter ensuite pour leur parti comme un seul homme ?

Les actions que proposera le nouveau gouvernement auront d’autant plus l’assentiment des citoyens que la confiance dans le processus politique sera retrouvée. C’est pour cette raison que la réforme parlementaire doit avoir priorité sur les autres éléments du programme du nouveau premier ministre libéral.

Il est facile d’imaginer une série de gestes productifs pour lesquels il n’est pas besoin de refaire la Constitution, d’obtenir l’approbation de la Cour suprême, ou de grever les budgets, et que n’interdisent ni l’OMC, ni le traité de libre-échange.

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Pour bien montrer qu’une époque se termine, M. Martin doit faire adopter immédiatement le projet de nomination d’un commissaire al ‘éthique indépendant, projet que le Sénat nommé en grande partie par Jean Chrétien a subtilement envoyé sous le tapis en exigeant de contrôler, en ce qui le concerne, la nomination du commissaire. Imaginez : les bénéficiaires des nominations partisanes veulent choisir leur surveillant !

Monsieur Trudeau a rendu impossible la réforme ou la fermeture de ce musée qu’est le Sénat, mais cela n’implique pas qu’il n’y ait rien de possible. Ainsi, on pourrait interdire aux sénateurs de siéger aides conseils d’administration, tout comme on l’interdit décanaux membres de la chambre basse. Ils reçoivent des émoluments de 114 200$ par an, plus une allocation de dépenses et pension. Rien n’interdit non plus de les choisir désormais sur des listes présentées par les provinces. En suggérant aces dernières que l’on donnera préférence aqueux qui auront été élus.

Monsieur Martin a déjà promis de donner de vrais pouvoirs aux comités de la Chambre, de réduire le nombre de votes de confiance, pour permettre aux élus d’exprimer la volonté de leurs électeurs plutôt que celle de leur parti, de laisser les élus choisir eux-mêmes les membres des comités. Ce serait un début. Mais voici quelques autres possibilités :

  • Choisir un président de la Chambre avec l’émersion et la même rigueur que l’on mettra choisir le juge en chef de la Cour Suprême, quitte ale recruter hors de la Chambre si nécessaire, pour assurer son impartialité.
  • Obtenir l’assentiment de la Chambre, après examen et comparution en comité, pour toutes les nominations aides fonctions publiques importante : Cour suprême, tribunaux administratifs, sociétés d’État, commissaires l’immigration, aux réfugiés, aux libérations conditionnelles, aux Postes, au régime des rentes, toute cette armada de bateaux de sauvetage pour politiciens naufragés. On ferait d’une pierre deux coups : réduire le « cynisme » et améliorer de beaucoup la gestion publique.
  • Répudier la culture de l’hostilité et du mépris qui régné au Parlement, bons contre méchants, purs contre salauds, gauche contre droite. Cette tradition est en porte-à-faux avec notre culture du pluralisme, du relativisme, de l’inclusion. Les membres de l’Opposition sont nos représentants, nos hommes liges, tout autant que ceux du parti au pouvoir. Il faut les inclure, leur confier du travail, adopter celles de leurs idées qui sont utiles, au lieu de les rejeter d’office pour éviter de leur reconnaitre quelque vertu et de leur concéder quelque avantage politique.
  • Renommer la période des questions « période des réponses ». De cette façon, le climat souvent délétère qui régné aux Communes se dissiperait peut-être ! Il serait alors bien difficile pour les ministres d’arborer, en se rasseyant, un sourire d’autant plus satisfait qu’ils ont réussi âne pas donner de réponse ou insulter leur interlocuteur.

L’expansion de l’activité de l’État, la multiplication des lois et règlements, le développement des connaissances administratives et économiques, la puissance des bureaucraties permettent aux partis de perpétuer leur pouvoir longtemps après les défaites les plus cinglantes et de faire perdurer leurs politiques. Et surtout d’empêcher leurs successeurs de réaliser les leurs. On ligote le futur gouvernement avec des contraintes constitutionnelles, des majorités qualifiées, des contrats à long terme, des organismes inamovibles. Des auteurs comme Paul Krugman et John Kenneth Galbraith ont montré comment des réductions d’impôt abusives permettent aides partis de droite de mettre un nouveau gouvernement de centre gauche dans l’impossibilité de réaliser des promesses qui les ont fait élire.

On fait des nominations a la veille de quitter le pouvoir, souvent avec l’assentiment de l’Opposition, qui veut pouvoir profiter un jour du système. Il faudrait interdire ce genre de nominations dans les six mois qui précédent les élections ou la retraite d’un premier ministre. C’est le type d’abus qui donne mauvaise haleine a la politique. Et c’est à ceux qui s’y livrent que s’applique le qualificatif de « cynique » (« qui brave effrontément et brutalement les conventions sociales et les principes moraux »).

Évidemment, cela soulève une question importante : comment savoir que l’on n’est qu’a six mois des prochaines élections ? En réalisant une autre réforme attendue depuis longtemps : des élections à date fixe, tous les quatre ans, de façon ace que les partis d’opposition soient sur le même pied que le parti au pouvoir. Cela se pratique dans beaucoup de démocraties.

La libéralité des politiciens en matière de gestion des fonds publics est une autre source de scandale qu’il faudrait tarir. Le rapport annuel du vérificateur général devrait couvrir les gouvernements de honte : c’est devenu un folklore annuel. Pour s’assurer que les budgets et prévisions de dépenses soient crédibles et précis, et non pas des bidouillages destinés fabriquer des surprises agréables en fin d’année, ou affaire mal paraitre un successeur, pourquoi ne pas demander au vérificateur général d’en confirmer la validité, tout comme les sociétés privées, qui publient un audit annuel ? Et pour que les élus n’oublient pas de penser l’austérité qui est de mise quand ont géré l’argent des contribuables, peut-être faudrait-il limiter leurs émoluments au revenu familial moyen… ? On pourrait également songer rendre inapte assiéger tout député trouvé coupable de corruption ou en conflit d’intérêt, et interdire de répondre, devant les commissions d’enquête sur ces pratiques : je ne me souviens pas.

D’ailleurs, avons-nous besoin d’autant de députés ? Et doivent-ils passer autant de temps en palabres l’ombre de la Tour de la Paix ? Il fut une époque ovule député était le délégué de ses commettants auprès du pouvoir. Les fonctionnaires restaient dans la capitale, et les députés, le plus souvent dans leur circonscription. La situation s’est inversée : les fonctionnaires sont partout légion et les députés résident 10 mois par année dans la capitale, comme jadis les princes Versailles, ou on les retenait pour empêcher la Fronde.

Les moyens de communication d’aujourd’hui, principalement l’Internet, permettent de joindre et d’informer les députés ou qu’ils soient, dans une sorte de Parlement virtuel. Ils pourraient emmenotter distance, ce qui nous épargnerait les absences et les rites dépassés de la cloche et de l’obstruction parlementaire. Plus près de leurs électeurs, ils les représenteraient peut-être mieux, au lieu de suivre la ligne du parti ou de faire la politique des mandarins.

Pour éviter le carriérisme politique ”” ces règnes qui commencent à l’école et se terminent à la porte du cimetière ””, on pourrait également imposer une limite de deux mandats consécutifs à tous les députés. On attend d’eux qu’ils aient une certaine expérience de la vie civile, qu’ils sachent faire autre chose que de gagner des élections et soient capables de survivre sans la béquille de leur parti. La politique comme service civique, mission temporaire, et non comme moyen d’ascension sociale.

Cette réforme favoriserait aussi le renouvellement de la députation et sa représentativité, bien plus qu’un scrutin proportionnel ”” qui risque de donner encore plus de poids aux apparatchiks des partis. Aux ministres a qui certains se faisaient vaniteusement une gloire de présenter le philosophe Cioran, ce dernier souhaitait aimablement : « Ne restez pas ministre trop longtemps. »

Nul besoin non plus d’impossibles modifications à la Constitution ou d’une explosion budgétaire pour éviter l’ingérence dans les compétences des provinces, pour travailler avec elles et non pas contre elles. Bien sûr, il est plus facile de se faire élire contre les provinces (ou Ottawa) que contre la loyale opposition, mais, pour pasticher un slogan a la mode dans les grandes firmes transnationales, « Thion global, acte locale ». Chacun ses responsabilités dans une stratégie d’ensemble.

Les partis politiques se méfient de l’idéologie comme de la peste. Sans l’étiquette officielle, on ne saurait les distinguer les uns des autres. Pour garder le pouvoir, il faut ratisser large, c’est-à-dire gouverner au centre. On fait campagne en poésie, disait Mario Comoé, mais on gouverne en prose. On met donc au programme ce que les sondeurs suggèrent, on dit ce que les springers proposent.

L’absence d’orientation, d’idéologie ”” disons le mot ”” est le triomphe de la promotion, de la pub et des relations publiques sur la pensée, la recherche et l’action politiques. Avec les partis idéologiques d’antan, on savait si on achetait des souliers vernis ou des bottines. La marchandise a été remplacée par la technique de séduction. La politique devient un commerce. Le citoyen, lui, n’a plus qu’à devenir consommateur.

Freud disait que trois taches sont impossibles amener a bien : éduquer, gouverner, psychanalyser. Et si on essayait ?

 

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