Le 400e anniversaire de la fonda- tion de Québec et le Sommet de la Francophonie du mois d’octobre qui l’accompagnera seront l’occa- sion de conjuguer nos efforts pour donner aÌ€ la Francophonie un souffle nouveau, aÌ€ la hauteur des enjeux poli- tiques du sié€cle ouÌ€ nous entrons. CoÌ‚te aÌ€ coÌ‚te, nous avons œuvré aÌ€ la recon- naissance de la diversité culturelle pour donner aÌ€ la mondialisation un autre sens que le seul profit. Cette lutte qu’ensemble nous avons engagée, il nous faut la poursuivre, car de son issue, nous le savons bien, dépend la persistance des valeurs fondamentales de chaque société. Parallé€lement, il nous faut tout entreprendre pour éviter les ravages des replis identitaires et le heurt de civilisations. Fernand Braudel nous a enseigné la part de la langue dans la construction de notre identité.
Et il y aura, en 2050, 300 millions d’hommes et de femmes qui parlent français. Nous souhaitons qu’il y en ait davantage encore. Tous les francopho- nes sont de cultures, de continents dif- férents et, pourtant, ils ne s’opposent pas. Et c’est en cela que la francopho- nie peut devenir le modé€le d’un nouvel équilibre mondial. Parce que quatre sié€cles apré€s Champlain, face aux enjeux internationaux, la France et le Québec se retrouvent. Et le 400e ne doit pas é‚tre seulement une commé- moration, mais un nouvel élan pour le sié€cle qui vient.
Or je sais aussi que pour certaines élites, en France, promptes aÌ€ épouser les conformismes dominants, la fran- cophonie serait dépassée, hors de la modernité. Quel contresens ! Je crois, moi, aÌ€ la modernité de cet espace affinitaire dessiné par le partage d’une langue et la volonté de la défendre, de la promouvoir, dans le concert du monde. Je crois mé‚me que notre com- mune défense de la francophonie pré- figure les combats de demain pour une « mondialité » (comme le dit si bien EÌdouard Glissant) riche de sa diversité linguistique et culturelle, respectueuse de toutes les identités. Le français est, avec l’anglais, la seule langue parlée sur tous les continents : que de fené‚tres ouvertes sur le monde !
La langue n’est pas qu’un vernis ou une marchandise, elle est ce qui porte et structure la pensée. Et au risque de vous surprendre, je vous dirais que la monoculture appauvrit la pensée comme elle appauvrit les sols. Et c’est pourquoi je crois qu’il y a un lien d’ailleurs tré€s direct entre le com- bat culturel et le combat environ- nemental, c’est-aÌ€-dire entre la diversité culturelle et la biodiversité, toutes les deux étant en quelque sorte des sciences du vivant. Antonine Maillet raconte que, jusqu’aÌ€ Rabelais, la langue française avait un lexique de 100 000 mots. Brutalement, avec Racine, on est tombé aÌ€ 5 000 mots, ouÌ€ sont passés les autres? Elle répond, « au Québec et aux Antilles ». Et j’a- joute d’ailleurs, « en Afrique ». Et Antonine Maillet a dit cela mer- veilleusement ; au fond, ces mots qui sont partis, ils sont aussi souvent revenus et ils ont enluminé la langue française.
Vous avez, vous, l’ardeur et la lucidité qui, parfois, font défaut chez ceux qui n’ont pas eu aÌ€ défendre leur langue et leur culture. Vous avez, avant nous, pris des mesures dont, ensuite, nous nous sommes inspirés pour garantir aÌ€ la radio des quotas de chan- sons en langue française, par exemple. Et nous partageons cette forte convic- tion que la culture ne peut se réduire aÌ€ une marchandise comme les autres, pas plus que la langue, qu’elle justifie un soutien clairvoyant et tenace des pouvoirs publics si l’on ne veut pas du ré€gne sans partage des produits stan- dardisés et de la loi commerciale du plus fort. La vitalité culturelle québé- coise et canadienne, et le talent recon- nu aÌ€ l’échelle internationale d’un grand nombre de vos artistes, les réus- sites de vos industries culturelles témoignent que cette approche est la bonne, que le volontarisme a des résul- tats et que le monde y gagne en talents qui ont pu éclore et trouver leurs publics.
C’est en 1986 que naiÌ‚t la franco- phonie institutionnelle avec le premier sommet tenu aÌ€ Paris. Mais, ne l’oublions jamais, c’est la déclaration de Bamako qui fonde, en 2000, la dimension vraiment politique de la francophonie, c’est-aÌ€-dire le passage de la défense de la langue aÌ€ la défense des cultures, aÌ€ la défense des droits de l’homme, aÌ€ la défense des solidarités, aÌ€ celle du développement durable, aÌ€ la lutte contre la pauvreté et aÌ€ la lutte contre les écarts entre le Nord et le Sud. Et tout se tient dans le combat pour la diversité, pour l’égalité et pour la fraternité.
Une nouvelle étape est aÌ€ réussir ici en octobre 2008, lors du Sommet de la Francophonie, pour qu’il n’en sorte pas que des discours, mais qu’on y inté€gre bien les étapes anciennes et les nouvelles qui sont aÌ€ franchir. C’est une échéance capitale. C’est un des rares endroits ouÌ€ il y a encore un dialogue Nord-Sud. EÌtape capitale pour dévelop- per, pour communiquer, pour inven- ter, et pour tout faire pour protéger la plané€te, parce que c’est une condition de la paix. Et tré€s rarement, mé‚me pra- tiquement pas lors des précédents Sommets de la Francophonie, la ques- tion environnementale a été abordée, et je pense qu’il est temps de le faire. Chacun en est responsable aÌ€ son niveau ”” au niveau global, au niveau local ””, et moi je rejoins les deux préoccupations. C’est pourquoi aussi, en tant que présidente de la région Poitou-Charentes, j’ai signé hier, aÌ€ Montmagny, des accords de partena- riat sur les éco-industries. Et si chaque territoire fait cet effort, si chaque citoyen fait cet effort et se sent citoyen du monde, alors aÌ€ ce moment-laÌ€, c’est le domaine de prédilection ouÌ€ les com- portements individuels, les comporte- ments collectifs, les responsabilités politiques, l’engagement des territoires rejoignent l’épopée aÌ€ laquelle on nous appelle pour protéger la plané€te pour les générations futures.
On le voit bien, dans ce domaine, l’égalité démocratique, l’égalité sociale et l’égalité culturelle, ces trois fronts, sont aujourd’hui indissociables. Car le paradoxe bien connu maintenant de la mondialisation, c’est qu’en abolissant les distances physiques et en généra- lisant la concurrence de tous contre tous dans un univers ouÌ€ tout se sait, ouÌ€ tout se voit, ouÌ€ tout se compare, cette mon- dialisation révé€le ”” au sens quasi pho- tographique ”” et parfois avive les distances et les différences culturelles.
Comme l’analyse tré€s bien Dominique Wolton, la société de l’information n’est pas nécessairement une société de com- munication, de compréhension et de respect mutuel. Il y a du chemin aÌ€ faire pour que l’information soit synonyme de ces trois valeurs. La capacité aÌ€ com- muniquer, c’est-aÌ€-dire aÌ€ comprendre l’autre, donc la compréhension, le deux- ié€me pilier et le troisié€me, le respect mutuel. Entre le ré‚ve illusoire du village global et la désolation des confrontations et des incom- préhensions, il y a place pour l’utopie concré€te, celle que nous devons construire ensemble. L’utopie réaliste d’une pluralité juste et d’une solidarité vraie.
Il nous faut créer, et je souhaite, je le redis ici solennellement, que le sommet francophone d’oc- tobre 2008 aÌ€ Québec débouche sur des actions concré€tes. Par exemple :
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une université francophone avec des antennes dans les grandes ca- pitales de la francophonie, du nord au sud et d’est en ouest ;
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un EÌrasme francophone qui faciliterait entre nos pays la circu- lation des étudiants ;
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que les grandes entreprises fran- cophones mondialisées soient sen- sibilisées non seulement aux enjeux, mais aux atouts compéti- tifs d’une francophonie assumée ;
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et enfin la définition d’un contrat politique commun, du nord au sud et d’est en ouest, pour pro- téger l’environnement et les cul- tures, c’est-aÌ€-dire l’avenir tout simplement du vivant.
Sur un autre plan, je voudrais vous dire ici, vous le savez, que je suis partisane d’une relation équilibrée entre l’Europe et les EÌtats-Unis, ouÌ€ l’amitié n’exclut pas la franchise, la li- berté de jugement et, le cas échéant, les désaccords. Le Canada anglophone et le Québec ont l’expérience d’un voisi- nage au long cours sans inféodation. C’est laÌ€ un sujet sur lequel les échanges entre nous me paraissent extré‚mement fructueux. La vision de votre premier ministre, monsieur Jean Charest, pour que se nouent des accords entre l’Europe et le Canada, je la partage pleinement. Cela fait partie d’une stratégie cohérente avec la nécessaire organisation multipolaire du monde.
Nous avons les mé‚mes défis aÌ€ relever pour ouvrir nos pays sur le sié€cle qui vient. Nous devons intensi- fier tous les modes de création, d’imagination, intensifier la recherche, la capacité des esprits for- més depuis l’enfance pour nous don- ner enfin le moyen de maiÌ‚triser les secrets de la matié€re dont nous nous servirons pour élever la condition de l’homme. Nous avons besoin de mo- derniser nos appareils productifs, aÌ€ rendre nos économies plus compéti- tives, tout en assurant le progré€s social de chaque salarié et de chaque tra- vailleur. Nous avons un puissant intéré‚t aÌ€ développer davantage nos échanges. Sans doute, c’est évident, l’orientation principale et naturelle de ces échanges se fait-elle, pour le Canada, davantage vers les EÌtats-Unis d’Amérique, et, pour nous-mé‚mes, vers nos voisins de la Communauté européenne ; mais partant d’un niveau justement modeste, nous pou- vons faire, entre nous, beaucoup plus et beaucoup mieux, en particulier, graÌ‚ce aux coopérations décentralisées que j’évoquais tout aÌ€ l’heure. AÌ€ l’échange entre les entreprises, aÌ€ l’échange entre les jeunes et aux coopérations du domaine de la recherche, des savoirs et de l’économie de l’intelligence. Nous devons nous unir pour tracer des perspectives d’avenir dans ce monde multipolaire.
En particulier d’ailleurs au moment ouÌ€ les organismes de ce qu’on appelle, parfois un peu abusivement, en se payant avec des mots, « la gouvernance mondiale » ”” parce qu’elle n’est pas vraiment laÌ€ cette gouvernance mondiale ”” restent totalement aÌ€ construire, donc tous ces organismes qui peinent aÌ€ trou- ver un second souffle, aÌ€ s’ouvrir aux préoccupations du Sud et aux puissances émergentes, aÌ€ un moment ouÌ€ ils doivent rouver une légitimité et une efficacité en phase avec le monde d’aujourd’hui, ses attentes, ses rapports de forces et ses risques inédits. Dans ce domaine, j’y reviens, parce que le sujet est crucial, dans la lutte contre le réchauffement cli- matique, dans cette lutte, le monde a besoin du Canada, directement touché par la fonte de la banquise et engagé dans la « bataille de l’Arctique » qui s’an- nonce. Je sais que le Canada et la France n’ont pas encore fait le mé‚me choix face au protocole de Kyoto mais, depuis, la prise de conscience écologique s’est partout renforcée ; je sais que nous allons tous aller de l’avant. Pour moi qui attache une importance prioritaire aÌ€ l’ex- cellence et aÌ€ la sécurité environnemen- tales, ce voyage au Québec est aussi une occasion d’évoquer ces questions et de voir, sur place, des réalisations éco-indus- trielles exemplaires.
Cet article est tiré d’un discours prononcé à l’Université de Montréal le 19 septembre dernier à l’invi- tation du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM).