Avant le début de la campagne électorale, plusieurs doutaient des qualités de chef de François Legault. Force est d’admettre qu’il a su mener son parti, la Coalition avenir Québec (CAQ), au-delà même de ses espérances, à une très convaincante victoire. Cette victoire, qui représente un changement important, repose sur quelques dynamiques permettant d’en comprendre la teneur et la portée.

D’abord, c’est un fort vent de « dégagisme » qui s’est levé contre le Parti libéral du Québec (PLQ) ainsi que contre le Parti québécois (PQ). À l’instar de ce que l’on a vu se produire ailleurs, les électeurs québécois ont exprimé un vote de défiance contre les vieux partis. Ce phénomène qui frappe à des degrés variables l’ensemble des démocraties occidentales s’incarne dans la montée de formations qui sont perçues comme « jeunes » et qui remplacent les « vieux » partis politiques, en jouant plus ou moins ouvertement selon les cas la carte antisystème. Certes, le chef caquiste est un politicien de carrière, tout comme certains de ses députés d’ailleurs (Jean-François Simard, ex-ministre péquiste, et quelques adéquistes), mais, dans l’ensemble, la CAQ montrait une image suffisamment rajeunie pour représenter, aux yeux de l’électorat francophone, une solution de rechange aux libéraux.

Cependant, le chef caquiste ne pouvait se contenter de surfer sur la vague de changement. Dans le passé, la faiblesse de l’équipe de députés et de candidats des tiers partis a été le talon d’Achille de ce type de formations, comme la défunte Action démocratique du Québec (ADQ) qui, après l’élection de 2007, avait été incapable de démontrer aux électeurs qu’elle était en mesure d’exercer le pouvoir. Or, comme nous l’avons montré dans le chapitre quatre de notre ouvrage La Coalition avenir Québec : une idéologie à la recherche du pouvoir, les caquistes se sont minutieusement préparés afin d’offrir à l’électorat une brochette de candidats variés, dont un peu plus de la moitié étaient des femmes (51 %).

Une autre surprise des résultats, c’est l’importance du vote caquiste en région. On savait que la CAQ obtiendrait du succès à Québec et dans sa grande région. Ici, nul mystère, elle a récolté la presque totalité des députés dans une région où le parti qui forme le gouvernement rencontre généralement du succès. En revanche, on pouvait douter des chances de la CAQ de faire élire des candidats dans des régions dites éloignées comme l’Abitibi-Témiscamingue ou encore le Saguenay–Lac-Saint-Jean, lesquelles ont été réfractaires aux votes pour les tiers partis. Or, le 1er octobre dernier, les choses ont radicalement changé. La CAQ a arraché trois sièges dans la grande région saguenay-jeannoise, notamment dans Lac-Saint-Jean où le PQ dominait depuis 1976, sans oublier un balayage en Mauricie. Voilà qui témoigne d’un ancrage territorial important ainsi que de la fin de la polarisation souverainiste/fédéraliste dans l’ensemble du Québec.

Cette posture antisystème s’est estompée au profit de l’adoption d’un programme plus proche du centre droit, une approche modérée qui se compare mal avec celle de Doug Ford, par exemple.

Une partie du succès de la CAQ repose aussi sur son programme. À cet égard, la CAQ a entrepris de migrer vers le centre en laissant de côté le discours plus à droite qui a caractérisé les campagnes électorales de 2012 et de 2014. À ce moment, il y avait bien un courant de populisme protestataire à l’œuvre, avec la dénonciation de la corruption articulée à la nécessité de « faire le ménage ». Mais cette posture antisystème s’est estompée au profit de l’adoption d’un programme plus proche du centre droit, une approche modérée qui se compare mal avec celle de Doug Ford, par exemple. Ce dernier a rapidement salué l’arrivée de son homologue québécois, et il y a d’ailleurs une certaine méprise en la matière.

En effet, la CAQ ne propose pas un programme de restrictions budgétaires et ne remet pas en cause de manière radicale l’importance de l’État québécois, tout comme elle ne livre pas de discours antitaxe sur le carbone à l’instar du premier ministre ontarien et d’autres conservateurs comme Jason Kenney en Alberta. En fait, la CAQ désire utiliser les instruments propres à l’État québécois pour favoriser certains secteurs économiques. Comme on le précise sur le site du parti, on veut stimuler l’innovation et les investissements privés en donnant ce mandat à Investissement Québec. La CAQ entend ainsi se servir de l’État pour parvenir à soutenir le développement économique québécois et rattraper sa rivale ontarienne. Pragmatique et entrepreneuriale, la CAQ penche un peu plus à droite que les autres formations politiques lorsqu’elle propose de supprimer 5 000 postes dans la fonction publique québécoise, une proposition rappelant celle de la défunte ADQ. Mais cet objectif de réductions risque de décevoir ceux qui, en 2014, tenaient à la promesse caquiste d’abolir 22 000 postes.

Ce qui place la CAQ dans la grande famille de la droite canadienne, ce sont plutôt les questions identitaires. Dès le lendemain de l’élection, des observateurs étrangers ont interprété la victoire caquiste comme celle d’un énième parti populiste anti-immigration. La question est sensible et politiquement chargée. Ce qui a contribué à rendre les choses plus confuses, c’est que, au cours de la campagne électorale, François Legault n’est pas parvenu à expliquer clairement sa position et, surtout, ne semblait pas connaître les règles régissant l’immigration canadienne. De plus, le parti maintient qu’il veut diminuer de 20 % le nombre d’immigrants, tout comme il veut présenter un projet de loi affirmant sans ambages la laïcité de l’État en interdisant le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité. Voilà qui suscite déjà des inquiétudes.

La comparaison avec les populistes européens ou encore avec Marine Le Pen (Rassemblement national) est franchement exagérée.

On peut reprocher à François Legault d’avoir cherché à se faire du capital politique sur une sorte d’insécurité culturelle qui semble présente chez bien des francophones. Mais la comparaison avec les populistes européens ou encore avec Marine Le Pen (Rassemblement national) est franchement exagérée, car c’est faire fi, entre autres, des discours de Le Pen pour qui l’immigration est la source de tous les problèmes de la France, ce qui n’est pas le cas avec Legault.

Chose certaine, cette question pourrait se transformer en bombe politique et notamment entraîner une cassure entre Montréal et le reste du Québec. Montréal est en effet demeuré une terre hostile à la CAQ, avec seulement deux circonscriptions remportées dans l’île. Les analyses postélectorales devraient montrer que les discours sur les valeurs québécoises et la diminution du nombre des immigrants, tout comme la proposition d’abolir les commissions scolaires pour les transformer en centres de services, ont braqué l’électorat anglophone et celui des communautés ethnoculturelles, qui sont restés fidèles au PLQ.

La CAQ devrait tirer ici une leçon, celle que les nouveaux gouvernements qui arrivent au pouvoir doivent éviter que des fractures se produisent entre les régions et les grandes villes. Ce phénomène a frappé dans les premiers mois du gouvernement néodémocrate albertain de Rachel Notley. Trois ans plus tard, les cicatrices sont encore palpables entre le gouvernement néodémocrate et les régions.

Enfin, le passé souverainiste de François Legault est encore parfois évoqué, mais il est peu probable que nous assistions à une relance des débats constitutionnels quant à la place du Québec dans le Canada. Si le nouveau premier ministre a réitéré son intention pendant la campagne d’obtenir plus de pouvoirs en matière d’immigration, il ne s’est pas avancé à proposer un calendrier précis avec des demandes spécifiques formulées à l’endroit du gouvernement fédéral.

Justin Trudeau ne devrait pas avoir à craindre un premier ministre aussi turbulent que Doug Ford. François Legault paraît surtout préoccupé de rattraper l’Ontario, comme il n’a cessé de le répéter avant et pendant la campagne électorale. Revivifier la tradition entrepreneuriale québécoise dont il fait l’éloge dans son livre Cap sur un Québec gagnant constitue la pierre de touche de son gouvernement. Il reste maintenant à voir dans quelle mesure la CAQ pourra mettre en pratique ce grand rattrapage économique ou si elle se laissera distraire par les enjeux identitaires.

Cet article fait partie du dossier Élections Québec 2018.

Photo : Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, fait une allocution devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le vendredi 28 septembre 2018. La Presse canadienne / Ryan Remiorz


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Frédéric Boily
Frédéric Boily est professeur de science politique à l’Université de l’Alberta.

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