Au cours des derniers mois, plusieurs journalistes (pour ne citer que La Presse et le Globe and Mail) se sont prononcés sur le caractère unique de l’actuelle campagne présidentielle aux États-Unis. Ils n’ont pas tort. Tout d’abord, elle se déroule dans un climat de profonde division interne, tant dans le camp républicain que parmi les démocrates. Du côté républicain, la campagne en vue des primaires avait donné lieu à une course entre 17 candidats. Ceux-ci livraient souvent un message qui ne s’adressait qu’à un segment précis de l’électorat. Ted Cruz, par exemple, a tenté dans plusieurs États de séduire les électeurs évangéliques en adoptant un discours solidement ancré dans la religion. La joute électorale entre Hillary Clinton et Bernie Sanders pour l’investiture démocrate a illustré, de son côté, un schisme profond entre les générations et les sexes au sein de l’électorat démocrate. Malgré son retrait de la course à la mi-juillet 2016, une partie importante des partisans de Sanders n’était pas disposée à appuyer Clinton (un mouvement mieux connu sous le nom de « Bernie or bust »).

Ensuite, cette campagne est marquée par un haut degré d’insatisfaction et, dans certains cas, de frustration au sein de la population envers les élites politiques, médiatiques et institutionnelles. Plusieurs sondages récents ont démontré le peu de confiance qu’ont les citoyens dans le travail des élus, de même que dans les organes de presse. Plus globalement, selon une compilation de sondages, une majorité d’Américains sont insatisfaits de la direction de leur pays, un phénomène qui est loin d’être nouveau, comme le montre Gallup. Il est donc peu étonnant de constater la popularité et les succès électoraux relatifs de Donald Trump, le candidat républicain à la présidence, et ce, malgré un nombre non négligeable de déclarations controversées et de polémiques concernant notamment les différents groupes sociaux et ses activités financières.

Rappelons que Trump, homme d’affaires et ancienne vedette de téléréalité ayant une expérience politique limitée, a annoncé sa candidature à la présidence américaine le 16 juin 2015 dans l’un de ses édifices situés à New York, la Trump Tower. C’est dans un décor opulent qu’il a prononcé un discours résolument nationaliste, promettant notamment de redresser l’économie américaine et de s’attaquer aux problèmes liés à l’immigration illégale. À cette occasion, il a fait quelques déclarations chocs. Il a soutenu entre autres qu’un bon nombre d’immigrants du Mexiques étaient des importateurs de drogues, des criminels et des violeurs. Quoique mal reçu par certains, ce discours a eu un effet mobilisateur sur d’autres qui y ont vu un vent de renouveau sur la scène politique américaine. Au cours des mois suivant son entrée dans la course présidentielle, Trump a mis en œuvre un style de campagne atypique taillé sur mesure pour le contexte sociopolitique actuel aux États-Unis. Trois axes précis de cette approche qui a connu un succès relatif méritent d’être mis en lumière.

Premièrement, Donald Trump se distingue de la majorité de ses adversaires pendant la course à la nomination républicaine, ainsi que d’Hillary Clinton durant l’élection générale, par la simplicité — voire le caractère simpliste —, la clarté et la dimension relativement tangible de ses promesses électorales. Sur la question des flux d’immigrants illégaux provenant du Mexique et d’autres nations sud-américaines, il propose la construction d’un mur dont les coûts seraient assumés par l’État mexicain. Quant à la politique étrangère, il a d’abord suggéré la mise en place d’un moratoire sur l’acceptation de voyageurs musulmans pour ensuite prôner un système de filtrage « extrême » des immigrants musulmans issus de certains pays. Bien que leur pertinence et leur faisabilité aient été remises en question par plusieurs experts et commentateurs, ces promesses lui ont tout de même permis de se distinguer de ses rivaux et ainsi de gagner des appuis ou de les solidifier au sein de l’électorat. La plateforme électorale de la plupart de ses adversaires était plus nuancée et complexe, et pouvait, dans certains cas, être plus difficile à comprendre pour des électeurs moins familiarisés avec les différents enjeux. Par exemple, Clinton a proposé une série de mesures militaires et diplomatiques pour faire face au terrorisme international. Les adversaires de Trump ont en général misé sur des engagements plus larges et inclusifs leur permettant de séduire un segment théoriquement plus important de l’électorat, une approche connue sous le nom d’« ambiguïté stratégique ». Une telle ambiguïté donne aux candidats la possibilité de recadrer au besoin leurs promesses en cours de campagne, mais ne leur permet pas nécessairement d’atteindre le segment de la population sur lequel a misé Trump, un segment plus avide de déclarations chocs faciles à comprendre.

En deuxième lieu, Trump s’est distingué de ses adversaires tout au long de la campagne par la nature de son discours. Que ce soit lors d’entrevues, de débats des candidats ou de rassemblements partisans, il a utilisé un langage simple et familier ainsi qu’un ton assurément informel. La plupart de ses adversaires ont opté pour un discours plus conventionnel, caractérisé par une utilisation fréquente de la langue de bois. Tout d’abord, Trump a souvent tenté de miner la crédibilité de ses opposants politiques en les affublant de surnoms dénigrant certains aspects de leur physique, de leur héritage ou de leur personnalité, comme « low energy » (pour désigner Jeb Bush), « little Marco » (pour Marco Rubio) et « Pocahontas » (pour Elizabeth Warren). Il a également parsemé ses interventions d’expressions personnelles, comme « big league » (pour plus de détails, voir cet article) ou « your head will spin ». Cette approche lui a permis de s’humaniser aux yeux de certains électeurs, de les mobiliser et, plus important encore, de marquer la différence entre lui et ses opposants. De plus, elle pourrait avoir un effet négatif sur le vote de ses adversaires en démoralisant et démobilisant leurs partisans. Par exemple, en remettant constamment en question la crédibilité et l’honnêteté de Clinton, il pourrait inciter certains partisans démocrates à rester à la maison le jour du scrutin.

Finalement, le discours de Donald s’est révélé résolument anti-establishment tout au long de la campagne électorale. Si certains de ses adversaires se sont présentés aussi comme une solution de remplacement aux élites politiques en place — ce fut le cas pour Rand Paul et Ted Cruz —, Trump est allé beaucoup plus loin. Il n’a pas hésité à remettre en question les déclarations, les actions et, plus globalement, la légitimité des élus, des formations politiques ainsi que des institutions démocratiques en place. À plusieurs reprises, il a critiqué les membres du Parti républicain, particulièrement lorsque ceux-ci remettaient en question ses déclarations ou gestes. À la suite de la publication d’une vidéo dans laquelle il tient des propos très crus à l’égard des femmes, Trump s’en est pris personnellement à plusieurs politiciens qui ont retiré alors leur appui à sa candidature, dont le sénateur de l’Arizona John McCain. Il a également mis en cause l’impartialité et la crédibilité de bon nombre de médias dont il n’approuve pas la couverture de la campagne électorale, dont CNN et le New York Times, de même que l’intégrité même du système électoral américain.

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Soulignons que ces trois facettes de son approche de campagne sont particulièrement bien adaptées aux médias sociaux. La simplicité et le ton familier et informel de son message ont en effet permis à Trump d’utiliser de manière très efficace les médias sociaux afin de gagner des appuis et de mobiliser ses alliés. De plus, ses interventions dans les médias sociaux ont fait plusieurs fois les manchettes. La couverture médiatique de la campagne a été marquée par une attention sans pareil aux gazouillis du candidat républicain. Quel que soit le résultat de l’élection du 8 novembre, Trump aura introduit un style de campagne qui devrait remettre en question certaines facettes des stratégies de campagne traditionnelles. Alors que plusieurs chercheurs (entre autres Jayeon Lee et Young-shin Lim, et Sarah Oates et Wendy W. Moe) ont déjà commencé à se pencher sur la question, il est clair que de nombreuses études seront menées au cours des prochaines années pour essayer d’expliquer les succès électoraux relatifs de Trump. On peut se demander aussi si des politiciens canadiens ne se laisseraient pas tenter par des stratégies électorales similaires.

Photo : mikeledray / Shutterstock.com

Cet article fait partie du dossier L’élection présidentielle aux États-Unis.

 


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Vincent Raynauld
Vincent Raynauld is an associate professor in the Department of Communication Studies at Emerson College in Boston and an affiliate professor in the Département de lettres et communication sociale at l’Université du Québec à Trois-Rivières.

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