Dans son discours de Québec en décembre 2005, Stephen Harper dénonçait le pouvoir fédéral de dépenser, qu’il associait à un fédéralisme « dominateur », et il s’engageait à limiter l’usage de cet instrument, qui constituait une « menace sérieuse pour l’avenir de notre fédération ».

Harper avait bien raison. Ce que l’on appelle le pouvoir de dépenser, en effet, n’est attribué au gouvernement fédéral ni par les textes constitutionnels, ni par la jurisprudence. Il s’agit plutôt d’un argument qu’Ottawa invoque pour intervenir dans les champs de compétence des provinces, en prétendant qu’il peut accomplir en dépensant ce qu’il ne peut pas faire par la voie législative.

Les partisans d’un gouvernement central fort, nombreux au Canada anglais, apprécient cette manœuvre, qui permet de faire indirectement ce que la Constitution ne permet pas de faire directement. Mais poussée à sa limite, elle viderait de son sens la division des pouvoirs à la base de la fédération canadienne.

C’est pourquoi le gouvernement du Québec a toujours dénoncé ce « pouvoir », abondamment utilisé par Ottawa. En promettant de le limiter, Harper reconnaissait la légitimité de cette objection. Mais jusqu’ici, les propositions spécifiques de son gouvernement sont demeurées si minces qu’elles ne riment pratiquement à rien.

Dans le dernier discours du Trône, le gouvernement Harper suggérait de restreindre le pouvoir de dépenser dans le cas de « nouveaux programmes à frais partagés dans les compétences exclusives des provinces ». Or Ottawa a cessé d’introduire de tels programmes depuis déjà quelques années et il est hautement improbable qu’il recommence dans l’avenir. Au Québec, les réactions sont donc demeurées tièdes, et la question est plus ou moins disparue de l’ordre du jour.

Mais comment devrait-on procéder ? Au départ il faut admettre que le gouvernement du Québec a rarement été explicite sur la question, préférant en général dénoncer le pouvoir de dépenser plutôt que de définir une formule pour le circonscrire.

Cette retenue s’explique. En proposant des limites au pouvoir de dépenser, le gouvernement du Québec risquerait en effet de le reconnaître, ce qui le consoliderait encore un peu plus, légalement et politiquement.

L’Accord du lac Meech, par exemple, parlait d’un droit de retrait, mais se gardait bien de nommer expressément le pouvoir de dépenser. L’entente interprovinciale de Saskatoon sur l’union sociale, en 1998, introduisait un droit de retrait plus étendu, mais prenait aussi soin de ne pas mentionner directement le pouvoir de dépenser.

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En dépit de cette prudence, ces propositions de réformes perpétuaient l’ambiguïté quant à la légitimité du pouvoir de dépenser. Un droit de retrait, en effet, n’a de sens que si le gouvernement fédéral intervient dans un domaine de compétence provinciale.

Une autre avenue existe pourtant, qui est plus simple mais rarement discutée : éliminer carrément ce pouvoir, qui n’a jamais été attribué. Dans une analyse publiée en 1989 dans la Revue du Barreau canadien, Andrew Petter ― qui a par la suite été ministre dans le gouvernement de la Colombie-Britannique et est maintenant doyen de la Faculté de droit de l’Université de Victoria ― proposait d’interdire toutes dépenses fédérales dans les champs de compétence des provinces et de compenser cette interdiction par un réaménagement du partage des ressources fiscales entre les ordres de gouvernement et par une amélioration de la péréquation.

Petter reconnaissait que, dans certains cas, il serait difficile de tracer la frontière entre les compétences fédérales et provinciales. On peut penser aux mesures fiscales pour les familles, par exemple. Mais il concluait qu’il valait mieux discuter et négocier dans le respect de la division des pouvoirs que d’invoquer d’autorité un pouvoir fédéral de dépenser.

Une telle avenue, qui privilégie le respect des compétences et un meilleur partage des ressources, serait tout à fait cohérente avec les constats et les recommandations de la Commission Séguin sur le déséquilibre fiscal, même si celle-ci ne recommandait pas explicitement l’élimination du pouvoir de dépenser. Elle aurait aussi l’avantage de ne pas reconnaître indirectement un pouvoir fédéral de dépenser. Pour un pays qui valorise la clarté, cette approche serait en plus parfaitement limpide.

En dehors du Québec, les résistances seraient fortes. Mais les conséquences pourraient être moins dramatiques qu’on le pense. Après tout, les grands transferts fédéraux se font maintenant en bloc et ils sont pour l’essentiel distribués en fonction de la population, pratiquement sans conditions. Un nouveau partage des ressources donnerait des résultats assez semblables. Par ailleurs, les provinces demeureraient libres de s’entendre avec Ottawa sur des coopérations renforcées, si elles le désirent, possiblement en évoquant l’article 94 de la Constitution.

Ni Ottawa ni les gouvernements des provinces anglophones ne mettront de l’avant une telle proposition. Mais le gouvernement du Québec pourrait le faire. La formule apparaît en fait gagnante pour tous les partis. Le Parti libéral y trouverait une façon de donner du tonus à sa stratégie d’affirmation nationale, l’ADQ y gagnerait une pièce maîtresse pour sa quête d’autonomie, et le Parti québécois y verrait sûrement un geste de souveraineté significatif. Il s’agit simplement de s’entendre pour dire les choses clairement.

 

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