Nul doute que la nouvelle de la défaite de Donald Trump a été accueillie avec soulagement à Ottawa. La Chambre des communes a d’ailleurs adopté à l’unanimité une motion félicitant le candidat démocrate Joe Biden et sa colistière Kamala Harris pour leur victoire électorale, en plus d’inviter officiellement le nouveau président à venir prendre la parole devant l’Assemblée. Après quatre années passées dans l’ombre d’un président imprévisible faisant peu de cas des alliances traditionnelles des États-Unis, le premier ministre Justin Trudeau peut espérer le retour d’un climat plus sain dans les relations canado-américaines.

Cela dit, il ne suffit pas d’avoir à la Maison-Blanche un occupant qui, comme le président élu Joe Biden, est bien disposé à l’égard du voisin canadien et de son gouvernement libéral. Il faudra surveiller le 117e Congrès américain, qui entreprendra ses travaux le 3 janvier 2021, pour mieux cerner l’évolution de la relation entre les deux voisins. Il n’est pas anodin que le premier ministre Trudeau ait jugé bon, le 11 novembre dernier, de téléphoner à la présidente de la Chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi, pour la féliciter d’être parvenue à conserver la majorité des sièges. Au terme de cet entretien, tant le bureau du premier ministre que le compte Twitter de la représentante californienne ont souligné la cordialité d’un échange sur les bienfaits de la collaboration canado-américaine autour d’enjeux tels que la COVID-19, le commerce international et la lutte contre les changements climatiques.

Des démocrates affaiblis à Capitol Hill

Si l’élection du 3 novembre s’est conclue par un retour des démocrates à la Maison-Blanche, les résultats au Congrès ont été plutôt décevants. Au Sénat, bien que donnés favoris pour remporter une majorité, les démocrates ont dû se contenter de deux gains en Arizona et au Colorado, échouant à prendre aux républicains leurs sièges en Caroline du Nord, en Iowa, au Maine et au Montana. La défaite du démocrate Doug Jones en Alabama a fait en sorte que les démocrates doivent pour l’instant se contenter d’un seul gain net, et donc, d’un total de 48 sièges, contre 50 pour les républicains. Le contrôle de la Chambre haute sera déterminé par le résultat des deux élections en Géorgie pour pourvoir les deux sièges de l’État, le 5 janvier prochain. S’il y a égalité des sièges, c’est la vice-présidente Kamala Harris qui détiendra le vote décisif.

À la Chambre des représentants, les démocrates ont également sous-performé par rapport aux attentes. Chose rare pour un parti qui remporte l’élection présidentielle, ils ont perdu des sièges. Au moment d’écrire ces lignes, ils enregistraient une perte nette de cinq sièges. L’annonce des résultats finaux est retardée en raison du volume élevé de votes par correspondance, mais on s’attend à ce que Nancy Pelosi soit à la tête de la plus faible majorité à la Chambre des représentants en 18 ans. C’est donc dans un contexte de majorités minimales dans les deux chambres, sur fond de polarisation partisane exacerbée, que seront discutés les principaux enjeux d’intérêt pour le Canada.

La COVID-19 : vers une réouverture (trop) rapide de la frontière ?

Lors de la reprise des travaux, en janvier 2021, un des premiers points à l’ordre du jour des législateurs américains sera l’adoption de mesures d’aide pour contrer la pandémie et en juguler les effets sur l’économie américaine. Comme on l’a vu au cours des derniers mois, cela ne sera pas une mince tâche, alors que républicains et démocrates ont été incapables de s’entendre. L’arrivée d’une nouvelle administration pleinement investie dans la lutte contre la COVID-19 de même que la pression populaire pourraient toutefois inciter un nombre suffisant de républicains à travailler de concert avec les démocrates. Étant donné la proximité des deux pays, l’adoption de mesures permettant de ralentir la pandémie et de relancer l’économie américaine serait une bonne nouvelle pour le Canada. Ottawa devra cependant garder à l’œil certains législateurs, démocrates comme républicains, qui, représentant des États frontaliers, exerceront sans doute des pressions pour une réouverture rapide de la frontière pour les déplacements non essentiels. En juillet dernier, 27 d’entre eux ont adressé une lettre au secrétaire de la Sécurité intérieure des États-Unis et au ministre de la Sécurité publique du Canada demandant qu’un plan de réouverture soit adopté rapidement. L’impatience de certaines collectivités frontalières en vue d’une réouverture de la frontière ne plaira pas nécessairement au Canada, qui pourrait la juger hâtive.

Le commerce, éternelle source de tensions

On ne saurait sous-estimer l’importance des relations commerciales canado-américaines, alors qu’en 2019, les deux pays ont eu des échanges d’une valeur de 725 milliards de dollars. Si l’arrivée au pouvoir de Donald Trump en janvier 2017 avait ouvert une période d’incertitude sur l’avenir du commerce bilatéral, le remplacement de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) par l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) a sans conteste été un des principaux accomplissements de l’administration du président sortant. Au Congrès, cet accord a été approuvé au début de l’année 2020 par d’imposantes majorités bipartisanes dans les deux chambres. Les opposants à l’ACEUM étaient principalement des démocrates ― parmi lesquels la vice-présidente élue Kamala Harris, alors sénatrice ― qui reprochaient à l’accord de ne pas en faire suffisamment pour la protection de l’environnement.

L’avenir de l’ACEUM ne semble pas en danger dans un horizon prévisible, mais il faudra voir quels points litigieux seront débattus au Congrès, au moment où les deux principaux partis adoptent un discours de plus en plus critique à l’égard du commerce international et de ses bienfaits.

L’avenir de l’ACEUM ne semble pas en danger dans un horizon prévisible, mais il faudra voir quels points litigieux seront débattus au Congrès, au moment où les deux principaux partis adoptent un discours de plus en plus critique à l’égard du commerce international et de ses bienfaits. Des enjeux qui sont depuis longtemps sources de tensions, notamment la gestion de l’offre des produits laitiers et le commerce du bois d’œuvre, risquent d’être mis de l’avant, tout comme de nouveaux enjeux, tel le commerce du plastique. Ottawa aura également à l’œil le renforcement de mesures de type « Buy American » que Joe Biden a proposé durant la campagne. Dans un contexte marqué par une économie au ralenti et un protectionnisme qui gagne des adeptes dans les deux partis, le nouveau président trouvera au Congrès de nombreux alliés pour l’aider à remplir cette promesse.

Le retour d’un allié dans la lutte contre les changements climatiques ?

Tout semble indiquer que l’administration Biden consacrera énormément d’efforts à la lutte contre les changements climatiques, marquant ainsi une rupture majeure par rapport aux orientations de l’administration Trump. Ainsi, les États-Unis réintégreront rapidement l’Accord de Paris sur les changements climatiques. Mais la capacité du nouveau président de convaincre le Congrès d’instaurer des mesures climatiques ambitieuses est incertaine. En campagne, Joe Biden rejetait le Green New Deal, le plan vert promu par l’aile gauche de son parti, mais il a néanmoins proposé un plan prévoyant des investissements pharaoniques de quelque 2 000 milliards de dollars pour assurer une transition vers des énergies renouvelables. Toutefois, un tel plan risque de se heurter à une résistance obstinée au sein du Parti républicain, dont les positions flirtent généralement avec le climatoscepticisme. De plus, un grand nombre de ses élus représentent des États et des circonscriptions dont l’économie repose en majeure partie sur l’exploitation des énergies fossiles.

Du côté du gouvernement Trudeau, on se réjouira sans doute de l’arrivée au pouvoir d’une administration soucieuse de prioriser la lutte aux changements climatiques, mais elle risque aussi de mettre en péril la construction de l’oléoduc Keystone XL, que l’administration Trump avait autorisée. Rejeter ce projet, comme il l’a annoncé durant la campagne, pourrait être une façon pour Joe Biden de montrer sa bonne foi aux démocrates progressistes du Congrès qui douteraient de sa volonté réelle de s’engager dans la lutte contre les changements climatiques.

Le départ de Donald Trump ne mettra pas fin à toutes les tensions qui ont caractérisé les relations canado-américaines, mais il permettra aux deux pays de trouver un nouveau souffle après quatre années mouvementées. En Joe Biden, Ottawa trouvera un interlocuteur qui défend une politique plus traditionnelle et plus prévisible. La situation est moins claire du côté du Congrès, où démocrates et républicains joueront du coude pour imposer leur position sur des enjeux névralgiques pour le Canada, notamment la lutte contre la COVID-19, le commerce international et la lutte aux changements climatiques. C’est donc bel et bien des deux côtés de la Pennsylvania Avenue qu’il faudra regarder pour entrevoir le prochain chapitre des relations canado-américaines.

Cet article fait partie du dossier L’élection présidentielle américaine de 2020.

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Christophe Cloutier-Roy
Christophe Cloutier-Roy est docteur en science politique et chercheur en résidence de l’Observatoire sur les États-Unis de l’Université du Québec à Montréal.

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