Chez les experts et dans les médias, c’est devenu un véritable lieu commun : Donald Trump est un décideur imprévisible, inconstant, dont on ne peut jamais connaître le coup suivant. C’est d’ailleurs, de son propre aveu, l’image qu’il cherche à se donner. Pourtant, un an jour pour jour après sa victoire électorale, la question mérite d’être débattue. Trump a-t-il été si surprenant depuis le 8 novembre 2016 ?

Un premier constat, qui peut sembler trivial mais demeure incontournable, s’impose.  La majorité des grandes actions entreprises jusqu’ici par le 45e président des États-Unis avaient été explicitement annoncées durant sa campagne : retrait du Partenariat transpacifique et de l’Accord de Paris, renégociation de l’ALENA, feu vert au pipeline Keystone XL, coupes dans le financement de programmes de planning familial et de « villes sanctuaires », élimination du Clean Power Plan… Absolument toutes figuraient parmi les promesses électorales de Trump. Certes, on a pu croire parfois que les promesses relevaient du bluff ou d’une rhétorique populiste ; il reste que ces idées avaient été évoquées haut et fort. De fait, même sa promesse la plus fantaisiste, celle d’ériger un mur à la frontière mexicaine, est en passe d’être substantiellement honorée (quoique nombre de détails restent en suspens).

Est-ce à dire qu’avec Trump, « what you see is what you get » ? Loin s’en faut, bien entendu. Pour la simple et bonne raison que ce que nous voyons un jour n’est pas ce que nous voyons le lendemain : le président est un habitué des volte-face, et parfois des contradictions (pensons aux enjeux comme l’OTAN ou le programme de santé Medicaid). Pour autant, il faut probablement reconnaître que Trump n’a pas pour habitude d’y aller par quatre chemins et que ses déclarations ont généralement le mérite d’« annoncer la couleur ».

En matière de politique étrangère, par exemple, s’il s’est répandu pendant la campagne présidentielle une opinion assimilant le candidat Trump à un isolationniste, nombre de ses prises de position indiquaient l’inverse. Rappelons qu’il avait publiquement évoqué l’idée de redéployer 30 000 soldats en Irak pour défaire Daech, de construire davantage de navires et de les envoyer dans le Pacifique pour tenir tête à la Chine, ou encore d’armer nucléairement le Japon et la Corée du Sud.

Ce n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler une feuille de route isolationniste. Quoi de surprenant dès lors à ce que Trump ait, dans les mois suivants, ordonné une frappe sur un aérodrome syrien, joué les pyromanes avec la Corée du Nord, triplé les attaques de drones américains au Yémen et envoyé 3 500 soldats supplémentaires en Afghanistan ? Il semble, avec le recul, que nous ayons analysé les intentions du président en procédant par apriorisme, alors que des indices assez clairs étaient à notre portée.

Ainsi, peut-être que Donald Trump n’est pas tant imprévisible que ses observateurs sont incapables (à ce jour) de voir clair dans son jeu. Pourquoi ? Deux raisons, au moins, peuvent être mises en avant.

En premier lieu, comme le suggère l’exemple de la politique étrangère, il est probable que dans le flot d’informations dont Trump fait l’objet, nous échouons à regarder au bon endroit, ou à retenir l’essentiel. Face à une véritable usine à controverses, nous accordons beaucoup de temps et d’attention à disséquer ses tweets et sautes d’humeur, négligeant ainsi son programme, ses propositions (ou absence de proposition) sur des enjeux précis. Car, s’il est politiquement incorrect, Trump n’en reste pas moins un politicien, animé par des objectifs et des priorités tangibles. Il suffit d’ailleurs de consulter Breitbart News Network pour s’en rendre compte : aux yeux de ses partisans, Trump apparaît comme cohérent et suivant une direction relativement claire.

Peut-être devons-nous donc prendre davantage de recul, ne pas laisser chaque déclaration remplacer la précédente, pour pouvoir déterminer les tendances lourdes et durables qui sont à l’œuvre. En juillet dernier, l’administration Trump annonçait la suppression de quelque 860 règlements supposés protéger travailleurs et consommateurs. Une nouvelle qui n’a pas suscité le dixième de l’attention publique du fameux « covfefe » (mot mystérieux contenu dans un tweet du président). On peut toutefois se demander lequel de ces deux gestes nous en dit le plus sur les projets de Trump pour l’Amérique…  Pour le dire autrement, si nous cessons de fixer l’arbre, la forêt nous paraîtra sans doute moins impénétrable.

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Déroutés par la rupture des normes établies, nous essayons de faire fi de certaines informations (pourtant disponibles) pour nous remettre aux scénarios les plus rassurants.

En second lieu, il se peut que nous nous laissions également aveugler par ce que les politologues appellent le « wishful thinking » (la « pensée désirée »). Prisonniers de vieilles préconceptions, déroutés par la rupture des normes établies, nous essayons de faire fi de certaines informations (pourtant disponibles), et nous nous en remettons aux scénarios les plus tentants ou les plus rassurants : « une fois élu, il rentrera dans le rang », « confronté à la réalité du terrain, il se fera plus raisonnable ». Un réflexe qui ralentit la révision de nos cadres d’analyse et, tel des œillères, rétrécit notre champ de vision.

Le dossier de l’ALENA en offre un exemple. Ébranlé par la révision brutale d’un régime conçu pour durer, le Canada s’est en grande partie rangé à la perspective la plus confortable : que ce serait avant tout le Mexique qui se retrouverait dans le collimateur de l’administration Trump. Pourtant, plusieurs éléments (contenus déjà dans le livre qu’avait publié Donald Trump avec Tony Schwartz en 1987, The Art of the Deal) laissaient présager une renégociation musclée et une attitude américaine agressive, dont le Canada ne ressortirait pas indemne. Faut-il alors être surpris que, quelques mois plus tard, les revendications américaines ciblent subitement le système de la gestion de l’offre et que Washington entame un début de guerre commerciale contre Bombardier ?

« La surprise est toujours l’effet de l’ignorance », affirmait François de Neufchâteau, écrivain et homme politique de la fin du 18e siècle. Plus « disruptif » qu’imprévisible, Trump ne parvient à nous surprendre que parce que nous le lisons à l’envers, ou à moitié. Regarder au bon endroit, distinguer la distraction de l’information, ne pas laisser la stratégie du choc fausser la réflexion sont autant de clés pour commencer à cerner le nouveau président américain. Tel le joueur d’échecs confronté à un adversaire déroutant, nous devons apprendre à jouer « avec les mains sous les cuisses » pour forcer une réflexion plus attentive sur l’état de la partie. Alors seulement, le coup suivant nous surprendra beaucoup moins.

Photo : Shutterstock / a katz


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