En politique étrangé€re, tout comme en politique intérieure, les choix que nous faisons reflé€tent les valeurs qui nous tiennent aÌ€ cœur.

Les deux idées dont j’ai l’intention de vous parler reconnaissent que la mondialisation nous a apporté des bénéfices considérables mais qu’elle pose également toute une série de défis que nous ne pourrons résoudre sans envisager de nouvelles démarches et prendre de nouvelles initiatives. La premié€re idée tient au fait que les institutions internationales qui ont été créées il y a 30 aÌ€ 50 ans, si utiles et importantes soient-elles, ne se sont pas encore suffisamment adaptées pour relever ces nouveaux défis. Il y a dix ans, quand j’étais ministre des Finances, nous avons duÌ‚ faire face aÌ€ des failles graves au sein de l’architec- ture financié€re internationale, des failles qui nous ont conduit aÌ€ la crise du peso mexicain en 1994, aÌ€ la crise asiatique en 1997, suivie de la crise brésilienne. Le problé€me pour nous, les ministres des Finances du G-7, était que nous comprenions tré€s bien les difficultés auxquelles faisaient face ces pays; et nous croyions avoir les solu- tions nécessaires, mais il était impossi- ble de les faire accepter, parce que ces pays ne faisaient pas partie du G-7 et tout naturellement refusaient toute solution imposée par des tiers.

C’est pourquoi, en 1999, nous avons créé un nouveau forum, le G-20, qui réunit les ministres des Finances du G-7 mais aussi les ministres des Finances des économies en émergence de toutes les régions du monde, la Chine, l’Indonésie, l’Inde, le Brésil, le Mexique et l’Afrique du Sud ”” ensem- ble, des pays représentant deux tiers de la population mondiale.

Et cela a réussi. C’est le G-20 qui, lors de sa rencontre aÌ€ Montréal en l’an 2000, graÌ‚ce aÌ€ la concertation entre tous ces pays aÌ€ une mé‚me table, a su mettre en place les mécanismes nécessaires pour mieux faire face aux défis finan- ciers internationaux.

Ce qui m’amé€ne aÌ€ aujourd’hui. Le G-8 est tré€s important. Mais, lorsque je regarde les problé€mes qui nous confrontent de nos jours, les nou- veaux maux de la terre qui ignorent les États et ne connaissent pas de fron- tié€res comme le SRAS, le SIDA, l’effet de serre et le terrorisme mondial, il est évi- dent qu’il y a des limites aÌ€ ce que le G-8 peut faire parce qu’il n’a pas toute la portée requise.

La solution: la création d’un G-20 au niveau des chefs d’États, non pas pour remplacer le G-8, mais pour le compléter. Je suis convaincu qu’une réunion des dirigeants du G-20 peut apporter une contribution significative en galvanisant nos efforts aÌ€ l’échelle multilatérale et en donnant l’impulsion et un meilleur sens de direction aÌ€ nos institutions œuvrant dans le domaine de la gou- vernance mondiale.

Est-ce important pour le Canada? La réponse est clairement oui parce que cela nous offre la possibilité d’é‚tre le catalyseur d’une démarche fonda- mentale. Cela nous donnera les leviers dont nous avons besoin pour jeter un pont entre le Nord et le Sud. Et tout cela pour le Canada est crucial. Car peu de pays sont aussi ouverts sur le monde que nous le sommes, et nous avons une économie qui dépend de la stabilité mondiale.

L’idée du G-20 est-elle réaliste? Je crois de plus en plus que c’est réalisable. Mes discussions sur la question avec la Commission européenne ont suscité de l’intéré‚t. Il en a été de mé‚me dans mes discus- sions avec les présidents du Brésil, du Mexique et de l’Afrique du Sud. Les deux pays clés sont les deux grandes puissances du Nord et du Sud, les États-Unis et la Chine. Le jour précédant ma nomination comme premier ministre, j’ai eu une rencontre avec le premier ministre de la Chine, Wen Jiabao, qui s’est montré intéressé.

Et aÌ€ Washington j’ai abordé la question avec le président Bush qui a exprimé un réel intéré‚t pour l’idée, et c’est de cela dont je voudrais vous par- ler aujourd’hui.

Pendant ma rencontre avec le président Bush, je lui ai décrit le con- cept du G-20. J’ai expliqué qu’il s’agissait d’un groupe de dirigeants provenant des pays développés et en développement qui se rencontrerait dans le cadre le plus informel possible afin de faire progresser quelques-uns des dossiers les plus épineux auxquels la communauté internationale doit faire face : le VIH/sida, le besoin d’ac- croiÌ‚tre la collaboration dans la lutte contre le terrorisme, la nécessité d’inervenir devant l’écart grandissant entre les riches et les pauvres. Le sou- tien des Américains est crucial. Comme les autres dirigeants avec qui j’en ai discuté, le président Bush a exprimé un intéré‚t sincé€re. Je crois donc que l’heure du G-20 a sonné.

Maintenant que l’idée fait des pro- gré€s, j’ai l’intention de poursuivre la discussion avec les autres puissances régionales européennes, latino-améri- caines, africaines et asiatiques.

Allons-nous réussir aÌ€ créer le G-20 des chefs d’États? Cela reste aÌ€ voir. Mais si nous réussissons, je crois que nous allons mettre en place une démarche tout aÌ€ fait adaptée aÌ€ un monde en constante mutation.

Ma deuxié€me proposition découle d’un constat que je vais illustrer aÌ€ l’aide de trois exemples contempo- rains. Premier exemple, Haïti. Il y a 10 ans, le Canada, les États-Unis et la France sont intervenus pour rétablir dans ses fonctions le président qui avait été démocratiquement élu. Cela nous a couÌ‚té passablement cher comme opération. Mais parce que nous avons quitté le pays avant de développer les structures institution- nelles dont Haïti avait besoin, 10 ans plus tard, nous sommes de retour aÌ€ la case départ. Il ne faut pas répéter la mé‚me erreur.

Nous reconnaissons qu’en tant que pays francophone et partenaire important dans les Amériques, le Canada a une responsabilité parti- culié€re envers Haïti et cette fois-ci, nous allons nous assurer que la com- munauté internationale ne se dérobe pas aÌ€ ses obligations, soit d’aider aÌ€ ren- forcer les institutions haïtiennes de gouvernance publique.

Deuxié€me exemple, l’Afghanistan, ouÌ€ avec 2000 soldats, le Canada est aÌ€ la té‚te de la Force interna- tionale d’assistance aÌ€ la sécu- rité de l’OTAN. Nos troupes y font un travail admirable. Mais c’est clair que l’Afghanistan ne connaiÌ‚tra jamais ni sécurité ni développement économique sans qu’on construise les institutions gouverne- mentales capables de donner au pays une stabilité politique.

Dernier exemple. L’an dernier, l’ancien président du Mexique, Ernesto Zedillo, et moi-mé‚me avons coprésidé la Commission des Nations Unies pour le secteur privé et le développement. Notre rapport conte- nait un certain nombre de recomman- dations. Mais le plus important, c’était le fait que le secteur privé ne se développera pas dans les pays moins nantis tant qu’il n’aura pas confiance dans leurs institutions publiques.

Quelles conclusions tirer de ces exemples? C’est assez clair. Il n’y aura pas de paix sociale ni de développe- ment économique sans institutions publiques stables, fortes et probes.

Plus souvent qu’autrement, un État en faillite requiert une interven- tion militaire afin d’assurer la stabilité. Mais c’est un leurre de croire qu’une intervention militaire, si indispensable soit-elle, puisse suffire aÌ€ rétablir aÌ€ long terme la sécurité dans un pays. Sans institutions publiques solides, des ministé€res opérationnels, un bon sys- té€me judiciaire, des forces policié€res honné‚tes, des tribunaux indépen- dants, des commissions des droits de la personne, des écoles, des hoÌ‚pitaux qui fonctionnent, des services publics compétents, la stabilisation par des forces de maintien de la paix ne peut é‚tre qu’éphémé€re.

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Quelle est ma proposition? Il faut que la communauté internationale mette aÌ€ la disposition des pays vul- nérables la capacité de créer et de gérer leurs propres institutions publiques et privées, et il n’y a pas un pays mieux placé pour prendre le leadership dans ce domaine que le Canada. Nous avons toutes les compétences voulues pour faire ce travail. Nous avons les con- naissances et presque un sié€cle et demi d’expérience en développement d’ins- titutions solides chez nous.

Il existe au Canada un vaste réser- voir de talents pour créer ou renforcer les institutions les plus diverses dans les États qui en ont le plus grand besoin. C’est ce que nous faisons, par exemple, en Jordanie, ouÌ€ nous entraiÌ‚nons des policiers irakiens. Ce genre de coopération existe déjaÌ€ entre pays francophones ouÌ€ le Canada, le Québec et le Nouveau-Brunswick tra- vaillent de concert en faveur du développement des populations et des institutions des pays moins favorisés membres de la Francophonie.

Mais nous pouvons faire beau- coup plus. Par exemple, nous pouvons mettre aÌ€ la disposition des pays qui en ont besoin l’un des grands avantages canadiens, aÌ€ savoir le bijuridisme. Notre pratique parallé€le de la common law et du code civil fait de nous des interlocuteurs impor- tants, tant dans le Commonwealth qu’au sein de la Francophonie, ainsi que dans de nombreux pays d’Amérique latine.

Vous allez me dire que d’autres pays possé€dent aussi les compétences nécessaires. Pourquoi alors revient-il au Canada de jouer le roÌ‚le de cataly- seur? La réponse ”” le Canada peut faire bouger les choses, pas seulement en raison de ce que nous pouvons faire, mais aÌ€ cause de qui nous sommes. Nous inspirons confiance non seulement parce que nous sommes une grande nation industria- lisée, mais aussi parce que nous ne sommes ni une ancienne puissance coloniale ni une superpuissance.

Tout aussi important, le grand atout du Canada remonte aÌ€ sa fonda- tion, au regroupement en une seule communauté politique de deux groupes distincts : français et catholique d’un coÌ‚té, anglais et protes- tant de l’autre. Au fil des ans, nous avons ajouté une riche mosaïque de langues, d’ethnies et de religions, et nous nous efforçons aÌ€ répondre aux préoccupations et aux revendications de nos peuples autochtones.

Nous avons accompli un vrai exploit, un énorme exploit, au titre de l’intégration dans la tolérance et du respect de la diversité. Cela ne s’est pas fait sans difficultés et des erreurs ont été commises, mais le bilan évoque une réus- site exceptionnelle. Il démontre qu’un pays n’est pas seulement une langue, une culture. C’est la capacité de vivre ensem- ble et de vouloir réussir ensemble. Et aujourd’hui nos atouts se multiplient. Pour baÌ‚tir, dans les pays vulnérables, le genre d’institutions dont les Canadiens de toutes origines bénéficient ici.

Nous savons que nous pouvons compter sur la collaboration pleine et entié€re de nos diasporas au Canada comme celles de Haïti, d’Afghanistan, ou d’Irak. Le Canada fait la promo- tion sans relaÌ‚che d’une convention sur la diversité culturelle sous l’égide de l’UNESCO. Nous le faisons d’abord pour protéger nos propres réalisa- tions culturelles, mais aussi pour ce que cela signifie aÌ€ l’extérieur de nos frontié€res.

Il faut que les pays aient le droit de prendre les mesures nécessaires pour préserver et promouvoir leurs cultures. Ce qui est important dans la convention de l’UNESCO, c’est qu’elle contribue au renforcement des institutions et rassure les sociétés en leur laissant savoir qu’elles peuvent se doter d’une gouvernance moderne et s’ouvrir au monde, sans perdre leurs cultures dis- tinctes. Le Canada a suivi cette démarche tout au long de son histoire. C’est une autre raison pour laquelle nous sommes bien placés pour aider les pays en développement aÌ€ baÌ‚tir leurs institutions.

Dans le discours du TroÌ‚ne nous avons annoncé notre intention de créer un nouvel organisme, tempo- rairement nommé Corps Canada. Je suis heureux de pouvoir aujourd’hui vous en parler davantage. Corps Cana- da mettra aÌ€ la disposition des pays dans le besoin les talents et les valeurs de Canadiens pour les aider aÌ€ con- solider leurs institutions nationales.

Dans cet esprit, Corps Canada contribuera aÌ€ créer des synergies entre les multiples organismes, publics et privés, qui œuvrent dans le domaine du développement. Il offrira les compétences de spécialistes du renforcement des institutions et du développement des capacités. Il rassemblera des Canadiens de tous aÌ‚ges qui sont pré‚ts aÌ€ contribuer au développement institutionnel. On compte, bien entendu, sur la coopération du secteur privé et de la société civile en plus de celle des institutions fédérales, et on compte aussi sur la coopération des provinces et des villes.

J’ai voulu aujourd’hui vous parler de deux nouvelles démarches de la politique étrangé€re de notre nouveau gouvernement. Comme pays, nous partons d’une dynamique existante. Nous avons des relations bilatérales essentielles. Nous avons des perspec- tives régionales et globales. Notre rela- tion avec les États-Unis est vitale.

Nous appartenons aÌ€ de nombreux réseaux, comme le Commonwealth et la Francophonie. Nous sommes mem- bres d’institutions multilatérales au cœur du développement de l’human- ité, aÌ€ commencer par les Nations Unies. Tout cela, c’est l’acquis de notre histoire et de notre géographie. Maintenant, il faut baÌ‚tir sur ces acquis.

Vous allez trouver dans notre poli- tique étrangé€re la dimension cana- dienne traditionnelle, faite de générosité, de compassion, de sacrifice. Mais je veux redonner aÌ€ cette tradition sa pleine vitalité dans un monde de plus en plus complexe.

Laissez-moi vous en donner un dernier exemple : 14 millions de per- sonnes meurent chaque année de mal- adies, des morts qui auraient pu é‚tre évitées si les médicaments nécessaires avaient été disponibles aÌ€ prix abor- dable. Dans les prochaines 24 heures, 8 000 personnes mourront du sida et 14 000 autres seront infectées par le VIH, ce qui détruira des familles et meurtrira des pays déjaÌ€ fragiles.

Des chiffres comme ceux-ci sont bouleversants et le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a lancé un appel aÌ€ l’aide vibrant aÌ€ la commu- nauté internationale. Le Canada a répondu «présent». Nous serons le premier pays au monde aÌ€ adopter une loi qui permettra aÌ€ ses fabricants de produits pharmaceutiques de produire des médicaments aÌ€ faible couÌ‚t contre le VIH et le sida pour l’Afrique.

Nous avons besoin d’une politique étrangé€re qui reconnaiÌ‚t que les nou- velles frontié€res du monde ne sont plus celles des États mais celles de l’igno- rance, de l’intolérance et de l’injustice. Ce sont ces frontié€res qu’il nous faut franchir. C’est une politique étrangé€re qui reconnaiÌ‚t qu’il ne peut y avoir de développement sans sécurité et qu’il n’y a pas de sécurité durable sans jus- tice, sans équité, sans développement.

Les idées changent le monde. Et les Canadiens et les Canadiennes sont capables de générer des idées neuves. Et aussi de prendre les moyens pour les mettre en pratique. Que le Canada puisse se démarquer, certains diront que c’est un ré‚ve. Peut-é‚tre, mais c’est un ré‚ve plein de réalité que partagent tous les Canadiens. Nous avons créé l’un des pays les plus merveilleux au monde. Pourtant, le climat ne nous était gué€re favorable. 

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