Les bulletins quotidiens au Canada font tous le même constat : le nombre d’infections de COVID-19 augmente de jour en jour. Nous étions prévenus, et tout en espérant d’y échapper, nous nous y attendions. Mais cette fameuse « courbe épidémique » a deux versants et, assurément, nous nous retrouverons de l’autre côté de la courbe lorsque le nombre d’infections diminuera de jour en jour. Les nouvelles de la Chine sont très bonnes : aucune nouvelle infection d’origine locale depuis quelques jours. Les autorités canadiennes nous donnent des prédictions sur le moment où nous atteindrons ce versant, mais il y a encore trop d’incertitudes pour qu’on puisse envisager une date.

Afin d’éviter une reprise de l’épidémie, les mesures de distanciation sociale ― l’Organisation mondiale de la santé (OMS) souhaiterait les renommer « mesures de distanciation physique » (soyons socialement proches mais physiquement distants) ― devront être maintenues durant la période où l’ampleur de l’épidémie diminuera. Certains ne semblent pas en voir la nécessité, dont le président américain, qui parle d’une reprise des activités économiques dans deux ou trois semaines, en dépit de l’avis des experts en santé publique.

La fin d’une épidémie

Un des critères que l’OMS utilise pour déclarer qu’une épidémie est terminée dans une région est basé sur la période d’incubation maximum. Par exemple, l’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo ― que le monde semble avoir oubliée déjà ― sera finie lorsqu’aucune nouvelle infection n’aura été observée pendant 42 jours consécutifs, soit deux fois la période d’incubation maximum de 21 jours. Cette période est de 14 jours pour la COVID-19. Quand le nombre de nouvelles infections aura diminué pour atteindre le zéro, il faudra attendre 4 semaines (28 jours, soit deux fois 14 jours) avant de déclarer victoire.

Malgré les quelques jours sans nouvelles infections d’origine locale, la Chine continue de maintenir la majorité des mesures de distanciation sociale. Avec raison. Nous savons que quelques cas d’infection dans une région suffisent pour que l’épidémie reparte, même si on estime qu’elle connaîtrait alors un lent départ et ne remonterait pas immédiatement en flèche. Mais en peu de semaines, le nombre de nouvelles infections peut augmenter considérablement, et un pays, ou une région, risque de se retrouver à la case départ. La période de 28 jours sans nouvelles infections est donc une période cruciale où la vigilance est de mise et le maintien des mesures préventives se révèle primordial.

Prenons le cas de Hong Kong. La ville a été citée en exemple pour la mise en place efficace de mesures préventives, qui ont permis de contenir la propagation du virus. Or nous apprenons maintenant que le nombre d’infections y est de nouveau en croissance. Jugeant que l’épidémie avait été freinée, la ville avait assoupli quelque peu ses mesures, et la population avait baissé sa garde. Ce relâchement a contribué à la remontée des cas d’infections. Depuis, Hong Kong a réactivé avec force toutes les mesures préventives.

Un yoyo de mesures préventives

Les courbes de prédiction de l’évolution de l’épidémie indiquent que la descente pour arriver aux premiers jours sans nouvelles infections prendra plus de temps que la montée vers le pic, assurément plusieurs semaines.

Quand nous aurons dépassé le pic d’infections, la population canadienne accueillera très favorablement les bulletins quotidiens positifs. Ces nouvelles signifieront que ses efforts et sacrifices ont porté fruit. On peut comprendre qu’elle aura excessivement hâte de retourner à l’école et au travail, de reprendre ses activités sociales et sportives, bref, de revenir à la vie normale.

On peut anticiper que dès une première semaine sans nouvelles infections, la population et les entreprises exerceront beaucoup de pression sur les gouvernements pour qu’ils les laissent reprendre leur souffle en levant partiellement, ou même complètement, les mesures préventives. Si les gouvernements n’y donnent pas suite, la population risque de les défier. Certaines personnes jugeront que l’épidémie est terminée et retourneront à leurs activités, à l’encontre des directives gouvernementales.

Les gouvernements ne pourront faire fi de ces pressions et seront amenés à lever les mesures, mais devront les réimposer plus tard, aux premiers signes de la reprise de l’épidémie.

Pour donner à la population un certain répit, on a proposé une approche qui consiste à appliquer des mesures préventives en fonction d’un indicateur qu’utilisent les autorités pour surveiller l’épidémie, soit le nombre de cas de COVID-19 par semaine nécessitant une hospitalisation aux soins intensifs. La raison est simple : on cherche à éviter à tout prix que l’épidémie excède la capacité de nos systèmes de santé.

La figure présente un scénario fictif, initialement simulé pour le Royaume-Uni, mais modifié. La levée et la réimposition des mesures préventives sont modulées par le poids de l’épidémie sur le système de santé. Lorsque le nombre de cas baisse considérablement, les mesures préventives sont levées, mais elles sont reconduites lorsque l’épidémie semble s’étendre à nouveau. Ce cycle est répété sur une période de 20 mois. On anticipe que l’ampleur de l’épidémie sera moins forte à chaque reprise, car une certaine proportion de la population aura été immunisée lors de la vague précédente, et la mise en place des mesures préventives aura été perfectionnée.

Ce scénario n’est pas adapté au contexte canadien ou à une province en particulier. Une de ses hypothèses est qu’aucun vaccin, antiviral ou autre traitement ne sera mis au point durant ces 20 mois. Une pléiade d’études cliniques évaluant des vaccins et des traitements sont déjà en cours, mais il est fort probable que ces traitements ne seront pas prêts à court terme, soit pour la fin du printemps ou le début de l’été 2020. Le scénario ne tient pas non plus compte des mutations possibles du virus d’une vague à l’autre, mutations qui pourraient générer un virus moins virulent ou plus virulent.

Du point de vue sociétal et économique, une question se pose : est-il préférable de donner un répit à la population en levant les mesures pendant deux ou trois mois au risque d’une reprise de l’épidémie, ou vaut-il mieux enrayer complètement l’épidémie en maintenant des mesures préventives pendant 28 jours consécutifs après la dernière infection ? Il est difficile de trancher. Mais on peut aussi envisager une levée progressive des mesures en fonction des besoins de la population tout en faisant attention à minimiser les risques pour les personnes les plus vulnérables.

Préparer la population canadienne

Le constat des dernières semaines est que les autorités, les médias, les journalistes et les experts ont bien vulgarisé et fait comprendre aux Canadiens l’importance d’« aplatir » la fameuse courbe. Chacun de nous est un peu plus « épidémiologiste » qu’il y a un mois. Avec la même clarté et transparence, les autorités gouvernementales devraient commencer à préparer la population canadienne pour l’autre versant de la courbe. Certes, elles sont en ce moment beaucoup plus préoccupées par la propagation de l’épidémie et son contrôle, mais nous nous retrouverons immanquablement sur l’autre versant de la courbe. Il faudra alors penser à lever les mesures préventives, mais il y a énormément d’incertitudes qui empêchent de déterminer un moment précis.

Les critères de l’OMS pour déclarer la fin d’une épidémie sont connus des épidémiologistes, mais pas nécessairement de la population. Au premier signe de ralentissement de l’épidémie, les autorités peuvent présenter les critères pour la reprise des activités et l’ouverture des frontières. Ces critères peuvent être révisés en fonction des avancées scientifiques et des résultats des études cliniques. Il est concevable que la population perçoive ces critères, dans un premier temps, comme excessivement sévères. Mais l’expérience récente vécue à Hong Kong peut justifier cette prudence.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

Photo : Shutterstock / ImageFlow

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Benoît Mâsse
Benoît Mâsse est professeur titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et chef de l’Unité de recherche clinique appliquée au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. Il est également chercheur associé à la Vaccine and Infectious Disease Division du centre de recherche Fred Hutch de Seattle.

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