L’une des critiques les plus fréquentes que l’on entend présentement à propos du fonctionnement du parlementarisme est qu’il laisse une place excessive à la partisannerie. Quoi faire pour rendre la politique canadienne moins partisane?

Deux observations s’imposent d’emblée. La première est qu’en démocratie la politique demeure et demeurera toujours fondamentalement partisane. À quelques exceptions près, les députés que nous élisons appartiennent à un parti et sont donc partisans. C’est dans leur intérêt que les citoyens nourrissent une perception favorable de leur parti et une perception défavorable des autres partis, à tout le moins de leurs plus sérieux rivaux.

La deuxième observation est que la démocratie se porte mieux avec des partis que sans eux. En leur absence, la politique devient une affaire de personnalités. Or, les citoyens ont intérêt à ce que les campagnes électorales soient l’occasion de discuter d’idées, et cela est plus susceptible de se produire lorsque la politique est partisane, malgré les inconvénients que cela entraîne, que lorsqu’elle est strictement personnelle. En somme, les citoyens ont intérêt à ce que la politique soit partisane.

Le mieux qu’on peut souhaiter, c’est que la politique ne soit pas exclusivement partisane, c’est-à-dire que les politiciens répondent également à d’autres motivations, en particulier la recherche, si élusive, du bien commun. On voudrait que nos politiciens s’élèvent à l’occasion au-dessus de la vaine partisannerie. À ce sujet, notons que, au quotidien, en particulier hors de la période de questions, la vie parlementaire est moins partisane que ce que les médias nous montrent. L’absence de conflit ne fait pas la nouvelle.

Mais la vie politique actuelle est-elle vraiment plus partisane que par le passé? Celui-ci est souvent moins glorieux qu’on voudrait nous le faire croire. En fait, j’aimerais bien que l’on me démontre sans équivoque que les choses sont vraiment pires aujourd’hui qu’il y a 10 ou 20 ans. J’ai des doutes.

Mais supposons que le verdict est juste, que la vie parlementaire actuelle est plus partisane que dans le passé et qu’elle l’est de manière excessive. On doit alors se demander pourquoi il en est ainsi. Une piste de réflexion me semble être que les bénéfices que les politiciens retirent à se montrer parti sans sont plus importants qu’auparavant (ou encore les désavantages moindres).

Les attaques à la réputation des adversaires sont plus payantes de nos jours pour deux raisons. D’une part les médias, en particulier l’Internet, donnent une plus grande couverture à ces attaques. D’autre part, les citoyens sont plus sensibles qu’auparavant aux attaques partisanes, parce qu’elles cadrent bien avec le cynisme ambiant à propos des politiciens. En somme, c’est à cause des médias et des citoyens que les politiciens sont plus partisans…

L’analyse qui précède peut apparaître un peu déprimante. Comme il semble bien difficile de changer la pratique des médias ou les attitudes des citoyens, on peut être amené à conclure qu’il n’y a rien à faire.

Il y a tout de même un peu d’espoir. J’estime qu’il y a un facteur conjoncturel qui contribue à exacerber la partisannerie. C’est le fait qu’une élection semble imminente à tout moment. En effet, il est plus facile de s’élever au dessus de la partisannerie quand on sait que de toute façon la prochaine élection n’aura lieu que dans trois ans alors que la tentation partisane est quasi irrésistible quand on pense qu’une élection peut être déclenchée du jour au lendemain.

La solution à ce problème est évidente. Il faut circonscrire le pouvoir du premier ministre de décider à sa guise quand auront lieu les élections. Pour ce faire, il faut imposer des élections à date fixe. Cette mesure permettrait de réduire les incitations à la partisannerie, tout au moins pendant la première moitié d’un mandat.

Mais n’avons-nous pas déjà adopté une telle mesure? Effectivement, il existe une législation à cet effet au niveau fédéral, mais elle est trop facile à contourner de sorte que les différents partis continuent de se comporter comme si une élection pouvait être déclenchée n’importe quand. La loi actuelle spécifie que la législation ne met aucunement en cause les pouvoirs du gouverneur général (et donc du gouvernement). En somme, elle n’a pour ainsi dire qu’une valeur symbolique; en pratique, le gouverneur général ne peut pas empêcher le premier ministre de déclencher une élection quand il le veut.

Il faut reconnaître que des élections anticipées peuvent s’avérer nécessaires dans certaines circonstances. Aussi faut-il adopter des procédures spéciales pour ces circonstances exceptionnelles. De ce point de vue d’ailleurs, le projet de loi récemment soumis par le gouvernement britannique est particulièrement intéressant. Il y est stipulé que le premier ministre ne peut déclencher une élection anticipée que si la motion est appuyée par les deux tiers des députés.

Avoir des élections à date fixe n’est certes pas une solution miracle, mais cela pourrait sans doute aider à réduire la partisannerie excessive. Rappelons-nous par ailleurs qu’il y a de bons côtés à la partisannerie, comme tous les bons partisans du Canadien (au hockey) sauront le reconnaître… pour autant qu’elle soit modérée!

Photo: Shutterstock

André Blais
André Blais is a professor emeritus in the department of political science at l’Université de Montréal.

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