Au moment de sa dissolution, en septembre 2008, 65 femmes siégeaient à la Chambre basse du Parlement canadien (64 avaient été élues le 23 janvier 2006). Avec un taux de féminisation de 21,4 p. 100 (4 sièges étaient vacants et 239 étaient occupés par des hommes), la Chambre des communes du Canada se positionnait à peu près au 50e rang sur la scène internationale selon le classement qu’établit l’Union interparlementaire.

Depuis les élections fédérales de 1997, la proportion des députées à la Chambre des communes stagne autour de 20- 22 p. 100. Loin de court-circuiter cette tendance, les résultats du rendez-vous électoral de 2008 sont venus la confirmer. En d’autres mots, les élections de 2008 en sont de continuité plutôt que de rupture au chapitre de la représentation législative des femmes. Si la notion de « plafond de verre » peut faire (sou)rire, en cela qu’elle laisse entendre qu’une main invisible orchestre un complot contre l’accès des femmes aux institutions démocratiques, par ailleurs, force est de reconnaître qu’elle traduit avec justesse l’idée que des blocages freinent la progression de la présence des femmes à la Chambre basse du Parlement canadien.

Bien que les femmes détiennent les droits de voter et de se porter candidates aux élections fédérales depuis la fin des années 1910, leur proportion à la Chambre des communes demeure bien en deçà des exigences posées par une conception microcosmique (ou descriptive) de la représentation politique. En effet, selon la Commission Bird sur la situation de la femme au Canada, les élections fédérales de 1921 à 1968 inclusivement ont généré une députation féminisée à hauteur de 0,8 p. 100. Aux élections générales de 1972 à 2006 inclusivement, la population canadienne a confié 410 mandats de représentation à des femmes contre 2 772 à des hommes, soit un taux de féminisation de 12,9 p. 100.

En termes comparatifs, un regard sur le classement de l’Union interparlementaire permet de constater qu’en septembre 2008, la Chambre basse du Parlement fédéral comptait moins de femmes que les assemblées législatives du Rwanda (56,3 p. 100), du Mozambique (34,8 p. 100), de l’Ouganda (30,7 p. 100), de l’Afghanistan (27,7 p. 100) ou encore des Émirats Arabes Unis et du Pakistan (22,5 p. 100). Il faut dire que le Canada partageait sa piètre performance avec d’autres démocraties représentatives bien établies — les États-Unis (16,8 p. 100), la France (18,2 p. 100), la Grande-Bretagne (19,5 p. 100) et le Japon (9,4 p. 100). Force est de constater que la démocratie se joue toujours sans les femmes, et que les élections canadiennes de 2008 n’ont aucunement renversé la vapeur.

L’objectif de cet article est triple : d’abord, brosser à grands traits un portrait de la représentation des femmes à la Chambre des communes, ensuite, disséquer le cas plus précis des élections de 2008, enfin, réfléchir à certaines propositions afin d’accentuer la proportion des députées fédérales.

Les femmes n’ont pas constitué un enjeu des élections de 2008, comme en témoignent leur effacement des plateformes des partis ainsi que l’avancée modeste de leur représentation aux Communes.

Si le Bloc québécois (BQ), le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Parti libéral du Canada (PLC) ont pris quelques engagements timides envers elles, le Parti conservateur (PC) est resté muet sur la question. Pour illustrer, aucun onglet de son site Web n’était à l’effigie des femmes, ce qui n’est pas anodin considérant qu’Internet constitue une source d’information de plus en plus exploitée par un nombre croissant d’électrices et d’électeurs.

En fait, le PC a eu tendance à confondre les femmes et la famille (dans son sens élargi), une confusion au demeurant aussi présente chez les autres partis ; il s’agit d’interpeller celles-là, mais sans les nommer, par le truchement de celleci. Par exemple, au chapitre des aidants naturels, le PC a promis de nouveaux allégements fiscaux aux familles dont l’un des deux époux renonçait à un emploi à temps complet afin de prendre soin d’un malade (parions que l’« époux » anonyme visé par cet engagement est l’épouse). La formation de Stephen Harper s’est également engagée à ce que les travailleuses et les travailleurs autonomes puissent bénéficier d’un congé de maternité ou de paternité en cotisant (sur une base volontaire) au programme d’assurance parentale. Le PC a cru bon d’accorder un crédit d’impôt afin d’éponger une partie des frais inhérents aux activités artistiques d’un enfant de moins de 16 ans. Bref, pour les conservateurs, tout se présentait comme s’il n’y avait point de salut hors de la famille (hétérosexuelle et nucléaire, bien sûr). Il faut dire aussi qu’au cours de la campagne, le premier ministre sortant a entretenu une image de « bon père de famille », visitant des garderies et posant avec des bambins, partageant pour un moment l’intimité d’une famille type de la classe moyenne vivant en banlieue. Ces mises en scène ont séduit un certain électorat féminin (et sans doute aussi masculin).

Les autres formations politiques ont fait preuve d’un peu plus d’ouverture aux problématiques de la « condition féminine », mais sans grand éclat. Déjà, les sites Web du BQ et du NPD comportaient un onglet « femmes » (ou « égalité des sexes »). Du côté du NPD, Jack Layton a promis de créer plus de places en garderies, de bonifier le régime de prestations pour enfants et de mettre sur pied un programme national de soins à domicile pour les personnes âgées (dont beaucoup sont des femmes). Pour sa part le chef bloquiste, Gilles Duceppe, a décrié les « compressions idéologiques » à Condition féminine Canada ainsi que les modifications apportées aux critères d’admissibilité au financement des groupes de femmes. Si le BQ s’est engagé sur le terrain de l’équité salariale, la touche d’exclusivité du PLC a été de proposer des mesures fiscales afin d’inciter les partis politiques à recruter plus de candidates (une recommandation inspirée des travaux de la Commission Lortie). Le chef libéral a aussi promis de rétablir pleinement le Programme de contestation judiciaire dont les groupes de femmes ont grandement tiré bénéfice et, comme le NPD, de créer des places en garderies. Le PLC a également saupoudré divers engagements fiscaux destinés aux familles.

Un seul dossier, celui de l’avortement, a positionné pour un temps la problématique des femmes et de la « condition féminine » à l’avant-scène, mais selon un mode réactif : de Vancouver à Halifax, des femmes (et des hommes aussi) se sont mobilisées non pour réclamer une meilleure accessibilité à l’avortement, mais pour défendre un acquis. C’est en cela que la question de l’avortement est passée dans la campagne sous un mode réactif : il s’agissait de faire en sorte que l’avortement demeure une liberté négative au Canada, mais non de travailler à sa promotion au rang de liberté positive. C’est dire la force du vent de conservatisme qui souffla sur la campagne électorale de 2008 ! Les chefs ont soutenu ne pas vouloir recriminaliser l’avortement, même Stephen Harper. Or, à peine quelques semaines auparavant, il avait voté en faveur du projet de loi privé C-484, « Loi sur les enfants non encore nés victimes d’actes criminels ». Selon plusieurs analystes, l’objectif (non avoué) du C-484 était de réinscrire, à plus ou moins longue échéance, l’avortement au Code criminel canadien. Sachant qu’il n’est pas légion qu’un premier ministre vote sur un projet de loi privé et considérant les convictions personnelles du leader conservateur sur la question ainsi que l’oreille attentive qu’il prête au lobby pro-vie (très présent au PC), tout porte à croire que tant et aussi longtemps que Stephen Harper logera au 24 Sussex, la question de l’avortement restera une épée de Damoclès suspendue au-dessus des femmes et du mouvement des femmes. (Par contre, s’il veut décrocher un gouvernement majoritaire, le PC devra élargir sa base électorale au Québec, là où une majorité de l’électorat se rallie à l’option pro-choix, ce qui devrait inciter le premier ministre à y penser à deux fois avant de recriminaliser l’avortement.)

Si une vague rose n’a pas déferlé sur les Communes canadiennes le soir du 14 octobre 2008, ce n’est pas par manque d’aspirantes députées. Ensemble, les quatre partis politiques présents à la Chambre au moment du déclenchement des élections ont présenté plus de candidates en 2008 qu’ils ne l’avaient fait en 2006 (ou même à toute autre élection auparavant) : 300 candidates contre 248 (pour un taux de féminisation global de 30,1 p. 100 en 2008 contre 24,8 p. 100 en 2006). Or, cette augmentation du nombre de femmes candidates (de 21 p. 100 en nombre absolu et 5,3 en pourcentage) n’a pas connu une résonnance proportionnelle au sein de la députation : avec 69 candidates victorieuses plutôt que 64 en 2006 (une hausse de 7,82 p. 100), le taux de féminisation de la Chambres des communes est passé à 22,4 p. 100 en 2008 contre 20,8 p. 100 en 2006 (+ 1,6 p. 100). Le tableau 1 présente quelques chiffres qui contribuent à élucider cet écart entre la proportion des candidates et celle des élues.

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Un premier constat veut que l’orientation idéologique des partis soit un indicateur de leur porosité aux femmes. En effet, le PC, qui se situe le plus à droite sur l’échiquier de la politique fédérale, est la formation qui a présenté le moins de candidates, alors que les rangs du PLC, bien campé au centre (avec des débordements à droite ou à gauche, selon les thématiques), en comptaient le plus, suivi de près par le NPD, localisé encore plus à gauche. Le cas du BQ étonne non seulement en raison de sa proportion plutôt modeste de candidates, mais parce qu’il en présenta moins aux élections de 2008 qu’à celles de 2006 (26,7 p. 100 contre 30,7 p. 100).

Un premier constat veut que l’orientation idéologique des partis soit un indicateur de leur porosité aux femmes.

En revanche — et c’est là un deuxième constat, le taux de succès des candidates est fonction de la popularité de leur parti auprès de l’électorat. Ainsi, 75 p. 100 des candidates du parti de Gilles Duceppe, le grand vainqueur au Québec du scrutin de 2008, ont été élues. Vient ensuite le gagnant à l’échelle canadienne, le PC, dont plus du tiers des candidates (36,5 p. 100) a connu la victoire. La performance du NPD et, surtout, la débandade du PLC, se sont traduites par des proportions d’élues fort modestes : 11,5 p. 100 et 16,8 p. 100, respectivement. Bref, une tension oppose l’accès à la candidature d’une part, et l’élection au Parlement d’autre part : les partis qui présentèrent le plus de candidates en firent le moins élire, alors que là où elles se faisaient plus rares, les candidates connurent de meilleurs taux de succès.

Ceci pose la question de la compétitivité des circonscriptions où les femmes briguent les suffrages. Le tableau 1 présente des chiffres désolants à cet égard. Si le PC et le PLC s’opposent au regard de la proportion de femmes parmi leurs candidatures, les deux formations se rejoignent quant au succès nettement plus modeste de leurs aspirantes députées comparativement aux aspirants députés. Si, règle générale, les recherches menées dans ce domaine montrent que les femmes ne sont pas candidates dans des circonscriptions perdues d’avance, il est possible que le scrutin de 2008 fasse exception à cette tendance de fond. Par ailleurs, au NPD, les taux de succès des femmes et des hommes sont comparables, alors qu’au Bloc, les femmes ont été proportionnellement plus nombreuses que les hommes à savourer une victoire électorale.

Un troisième constat concerne le taux de féminisation de la Chambre des communes, et notamment celui du parti qui forme le gouvernement : le caucus conservateur affiche le taux de féminisation le plus faible, soit 16,1 p. 100. Cet effacement des femmes des banquettes conservatrices aurait pu se traduire par leur marginalisation dans les rangs ministériels, mais le premier ministre a choisi de ne pas tomber dans ce piège : 8 de ses 27 ministres sont des femmes (3/11 pour les ministres d’État), soit un cabinet dont le taux de féminisation est presque le double de celui du caucus conservateur. Qui plus est, le premier ministre a non seulement nommé des femmes à des ministères d’importance (comme la Santé), mais il leur a confié des ministères qui, traditionnellement, vont plutôt aux hommes (e.g., Ressources naturelles, et Pêches et Océans). Stephen Harper a sans doute pris acte du fait que si plus de femmes avaient voté pour lui le 14 octobre, il serait peut-être aujourd’hui à la tête d’un gouvernement majoritaire.

Malgré tout, la notion d’effacement résume l’importance que les partis ont accordée aux femmes dans le cadre du scrutin fédéral de 2008. En revanche, celles-ci ont su saisir la question de l’avortement pour forcer l’agenda électoral et obliger les chefs politiques à dévoiler leurs intentions. Par ailleurs, les femmes ont été nombreuses à mordre la poussière le soir du 14 octobre, avec pour résultat un maigre bond en avant de 1,6 p. 100 de la représentation féminine. Si la tendance se maintient (c’est-à-dire en supposant des élections générales tous les trois ans se traduisant par une croissance de deux points de pourcentage de la présence des femmes aux Communes), il faudra patienter au moins jusqu’au milieu du 21e siècle avant que la Chambre basse du Parlement ne compte un nombre égal de femmes et d’hommes. Est-il possible d’accélérer les choses ?

Plusieurs voix accusent le mode de scrutin majoritaire et uninominal d’être responsable de la faible présence des femmes en politique canadienne, et réclament qu’il soit abandonné au profit d’un scrutin proportionnel ou mixte.

Une panoplie de mesures pourrait renverser la vapeur de façon à ce que la présence des femmes à la Chambre des communes cesse de faire du sur-place et progresse. Plusieurs voix accusent le mode de scrutin majoritaire et uninominal d’être responsable de la faible présence des femmes en politique canadienne, et réclament qu’il soit abandonné au profit d’un scrutin proportionnel ou mixte. Cet argument est vicié à plusieurs égards. D’abord, à moins d’un revirement exceptionnel de la conjoncture actuelle, la classe politique canadienne ne porte aucun intérêt à la question de la réforme du mode de scrutin. La seule réforme des institutions qui préoccupe le premier ministre Harper est celle du Sénat, et sa métamorphose en chambre élective pourrait bien y faire reculer le pourcentage des femmes.

Ensuite, il n’y a pas de garantie que l’adoption d’un scrutin proportionnel ou mixte se traduise par une présence plus substantielle des femmes à la Chambre basse du Parlement. Un regard sur les données compilées par l’Union interparlementaire révèle que si la plupart des pays qui comptent au moins le tiers de femmes parmi les membres de leur parlement national recourent à des scrutins proportionnels ou mixtes (avec bien souvent des quotas électoraux pour les femmes), par ailleurs beaucoup de pays dotés de tels scrutins affichent des proportions conservatrices de représentantes (par exemple, la Bolivie [scrutin mixte, 16,9 p. 100], la Hongrie [scrutin mixte, 11,1 p. 100], la Colombie [proportionnel de listes, 8,4 p. 100], Malte [vote unique transférable, 8,7 p. 100] ou encore le Sri Lanka [proportionnel de listes, 5,8 p. 100]).

Enfin, c’est viser la mauvaise cible que de changer le mode de scrutin, puisque les partis politiques sont les premiers responsables de l’effacement des femmes aux Communes. Les taux de succès inégaux des candidates et des candidats du PC et du PLC viennent alimenter ce soupçon de culpabilité : si le conservatisme social du PC le rend « naturellement » hostile aux femmes, le PLC leur a ouvert toutes grandes ses portes alors même qu’il se savait condamné à la guillotine électorale.

Les partis étant les premiers responsables de la sous-représentation des femmes en politique, ce sont eux qui détiennent les clés maîtresses de la solution à ce problème. Certes, l’État peut inciter les partis à accueillir un plus grand nombre de femmes parmi leurs rangs, par exemple par le moyen d’incitatifs financiers (comme l’a suggéré le leader libéral). Toutefois, ces incitatifs doivent récompenser la proportion des élues et non des candidates, et ce, afin d’encourager les partis à faire élire leurs candidates (et non à mousser l’image de femmes perdantes en politique). Tel que mentionné plus haut, si les partis, règle générale, ne condamnent pas les femmes à des circonscriptions perdues d’avance, par ailleurs considérant le déficit de représentation qui frappe les femmes (i.e., l’écart entre leur poids démographique et leur pourcentage à la Chambre), les partis devraient réserver leurs bonnes, très bonnes et excellentes circonscriptions à des candidates. Cette façon de voir a encadré le processus de sélection des candidatures du Parti travailliste en vue des élections britanniques de 1997 : le Labour Party s’est doté d’une politique de « courtes listes de femmes seulement » qu’il appliqua dans la moitié des circonscriptions qu’il ne détenait pas, mais qui offraient un bon potentiel de succès électoral, et dans la moitié de celles qu’il détenait, mais où la députée ou le député ne demandait pas un renouvellement de mandat à Westminster. Rien, absolument rien n’empêche les partis politiques canadiens d’ainsi s’autoréguler. Rien, sinon l’essentiel, soit leur volonté sincère d’accentuer la féminisation de la Chambre basse du Parlement, une volonté qui n’est tout simplement pas au rendez-vous. À cet égard aussi, les élections de 2008 en sont de continuité.

Manon Tremblay
Manon Tremblay est professeure titulaire à l'École d'études politiques à l'Université d'Ottawa. Ses recherches portent notamment sur les femmes en politique et le mouvement LGBT au Canada.

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