Le gouvernement Legault déposait le 19 mai dernier sa nouvelle Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation 2022-2027 (SQRI2 – anciennement SQRI). C’est un plan ambitieux, articulé autour de cinq axes d’intervention et assorti d’un financement de 7,5 milliards $ sur cinq ans. On s’étonnera toutefois que, trois ans après le lancement du programme des zones d’innovation par le ministère de l’Économie et de l’Innovation, le plan reste assez avare de détails quant à l’implantation de ces projets à travers le Québec.

Bien que certaines priorités sectorielles aient été énoncées, on cherchera en vain un budget spécifique, tandis que l’adaptation de cette vision à la diversité des contextes régionaux demeure incertaine – c’est particulièrement le cas pour des régions où la consolidation de l’écosystème d’innovation est moins avancée. Une telle omission décevra de nombreux acteurs de développement à travers le Québec, qui s’attendaient à des orientations plus claires en ce sens. 

En effet, c’est à l’automne 2019 que Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et de l’Innovation, lançait le Programme des zones d’innovation. Le réel succès du programme – près de 35 projets soumis dans 12 régions du Québec – semblait forcer le gouvernement à choisir : soit il restait fidèle à la vision originale du projet et il se campait sur le modèle éprouvé des hubs technologiques limités aux centres urbains d’importance, soit il adoptait une approche plus inclusive et adapte la formule aux agglomérations régionales, périphériques et de taille plus modeste. Dans la mesure où nous préconisons depuis longtemps cette dernière approche, nous espérions détecter un engagement plus net en ce sens dans la SQRI2 2022-2027. 

Autrement, la vision du gouvernement demeure claire. Pour rester compétitif dans un monde où ces atouts ne sont pas exclusifs, le Québec doit emboîter le pas des économies les plus productives et miser sur l’économie du savoir. Nos leaders politiques et économiques ne peuvent plus se contenter du business as usual : l’heure est à l’innovation. Dans sa mise en œuvre, cette innovation devrait néanmoins supporter l’émergence d’écosystèmes performants à travers le Québec et ainsi s’adapter à la diversité régionale du territoire. 

Du Projet Saint-Laurent aux Zones d’innovation

Depuis la publication en octobre 2013 de son manifeste économique Cap sur un Québec gagnant : Le Projet Saint-Laurent, on sait que François Legault est engagé dans la création de zones de développement économique à haute valeur ajoutée dans la vallée du Saint-Laurent, à l’image des high-tech clusters de Silicon Valley, Boston, Barcelone, Hambourg ou Tel-Aviv.

En 2019, le Projet Saint-Laurent a été refondu en programme des Zones d’innovation, qui visent à « augmenter la commercialisation des innovations, les exportations, les investissements locaux et étrangers ainsi que la productivité des entreprises ». Nous disions plus haut que ce programme a fait boule de neige et, au moment d’écrire ces lignes, deux zones viennent d’être confirmées : la première à Sherbrooke (Sherbrooke quantique – science quantique) et l’autre à Bromont (Technum Québec – technologies numériques). À eux seuls, ces deux projets devraient générer plus de 690 millions$ d’investissements.

C’est déjà un travail important, mais nous craignons que cela ne cloisonne l’émergence de la nouvelle économie et perpétue le retard économique entre les grands centres et les régions dites « ressources ». Dans un scénario résolument régionaliste, le Québec se doterait d’une stratégie qui a des effets structurants, en matière d’attraction de talents et d’investissements en particulier, sur chaque ville et région qui adopte la zone d’innovation comme pierre d’assise de son développement économique.

L’engouement suscité par le programme confirme que partout en province, dans des villes comme Baie-Comeau, Bécancour, Grande-Rivière, Magog, Rimouski, Rivière du Loup, Rouyn-Noranda, Sainte-Marie, Sept-Îles, Val-d’Or et Victoriaville, les citoyens, les entrepreneurs et les décideurs sont prêts à se rouler les manches et à utiliser de nouveaux modèles pour faire rayonner les régions du Québec sur les marchés internationaux. 

Il est certain qu’importer un modèle de développement lié à l’innovation dans des villes de taille plus modeste implique certains ajustements, surtout en région éloignée. En revanche, le nombre restreint d’acteur dans les plus petites communautés peut faciliter la mobilisation et des collaborations fluides. Quand la communauté est tissée plus serrée, il est plus facile de coordonner les forces des milieux politiques, institutionnels ou d’affaires. Aussi, en règle générale, l’écosystème issu d’un petit milieu est plus réactif : les actions décisives s’effectuent plus rapidement.

Enfin, un autre avantage relève de ce que nous pourrions appeler la spécialisation intelligente, c’est-à-dire des efforts ciblés dans les secteurs à haut potentiel de commercialisation pour lesquels les régions visées ont déjà des atouts et des réseaux d’affaires bien établis. Le processus de développement d’une zone d’innovation sera d’autant plus mobilisateur qu’il reconnaît et consolide les forces existantes du milieu.

Trois stratégies pour innover en région

Les régions rurales ou périphériques ont longtemps été désavantagées en raison de leur isolement relatif. En effet, hors des grands centres urbains, il était jusqu’à récemment difficile de créer des réseaux denses, diversifiés et étendus d’experts et de partenaires, particulièrement en raison des distances à parcourir pour collaborer.

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Mais il est désormais possible de susciter des échanges de connaissances presque partout. En effet, l’usage généralisé des nouvelles technologies de la communication permet d’établir et de maintenir des relations partenariales de qualité, sur de grandes distances, avec une facilité et une souplesse inégalées.

Nous pouvons regrouper les stratégies à adopter sous trois rubriques. 

Stratégie 1 : densifier le réseau local

La première stratégie consiste à densifier le réseau local en construisant de nombreuses collaborations, ouvertes et régulières, entre les acteurs des secteurs publics et privés, ainsi que les organismes de recherche. Au sein de ce réseau de collaboration, le grand défi sera de bâtir la confiance réciproque nécessaire pour que tous soient prêts à s’engager dans une mise en commun de ressources, de connaissances et de compétences, malgré l’incertitude des retombées à long terme. Ici encore, les habitants de plus petites communautés peuvent bénéficier des liens préexistants qui les unissent par-delà les limites de leur domaine d’activité particulier. 

Stratégie 2 : utiliser les réseaux existants comme un levier

Une communauté entretient nécessairement des liens historiques avec d’autres lieux d’expertises et d’activités économiques. Ce sont ces liens préexistants qui devraient d’abord être explorés, exploités et valorisés. On pourra souvent activer des ressources et des appuis en mobilisant des relations traditionnelles ou de longue date autour d’un nouveau projet innovant, prometteur et fondé sur une spécialisation intelligente.

Stratégie 3 : exploiter les « liens de faible intensité »

Enfin, la troisième stratégie repose sur l’exploitation de ce que le sociologue Mark Granovetter nomme la « force des liens de faible intensité ». On entend ceci comme des intervenants ponctuels qui peuvent faciliter au cas-par-cas l’établissement de ponts vers de nouveaux centres d’expertises et d’activité économique, combler les lacunes à l’échelle locale et attirer davantage de ressources spécialisées en appui au projet.

Une des voies les plus prometteuses pour la réussite de petits écosystèmes consiste à utiliser de tels liens de faible intensité pour s’appuyer sur l’expertise d’un réseau de zones d’innovation en émergence ou établies, et idéalement complémentaires, qui servira de lieu d’échange et de mise en commun des meilleures pratiques et des ressources stratégiques.

On pourra également se servir des expertises démultipliées par une telle stratégie collaborative pour développer des plans communs de développement d’affaires, faire mieux connaître ses besoins aux autorités et mettre sur pied des missions de réseautage vers des milieux exemplaires. On songe par exemple à l’Ocean Innovation Cluster islandais, un cas d’école en vertu du petit poids démographique de cette île de l’Atlantique Nord, ou encore – plus près de nous – au hub d’innovation Communitech, à Waterloo.

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Le constat que tirait le futur premier ministre Legault en 2013 était juste : le Québec – comme les autres provinces canadiennes d’ailleurs – doit absolument miser sur le savoir pour s’adapter aux mutations profondes de l’économie mondiale et un changement de paradigme, une rupture avec le statu quo est nécessaire. La réponse positive des milieux d’affaires et des établissements de recherche face au défi lancé par M. Legault valide sa vision.

Nous voudrions toutefois insister sur la nécessité d’une transformation inclusive du paysage économique. Au Québec comme ailleurs, les régions sont prêtes à participer à la transformation économique en cours. Le modèle de développement associé aux zones d’innovation a donc tout avantage à être appliqué à l’ensemble du territoire pour favoriser l’émergence d’écosystèmes régionaux dynamiques, attractifs et connectés.

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