Tous les conducteurs détiennent une assurance automobile. Les propriétaires et les locataires protègent leurs biens et leur immeuble. Les travailleurs autonomes et les entrepreneurs assurent leurs affaires. Chacun devrait aussi se protéger contre les poursuites advenant un accident qui causerait des dommages à autrui. C’est dire que l’assurance de dommages concerne presque la totalité de la population ; elle devrait lui permettre de retrouver rapidement une vie normale après un accident ou un sinistre.

Malgré son importance cruciale pour les consommateurs, il s’agit d’un produit difficile à comprendre. Un sondage Léger réalisé en 2016 pour le compte de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) indiquait que trois Québécois sur quatre trouvaient l’assurance de dommages complexe. De plus, une personne sur deux ne comprend ni tous les éléments de son contrat ni l’ensemble des exclusions qu’il contient. La question se pose : comment assurer la protection du patrimoine des consommateurs ?

Un encadrement nécessaire

Le système professionnel québécois est né de la volonté du gouvernement « d’assurer la protection du public à l’égard de certaines activités qui comportent des risques de préjudice à l’intégrité physique, psychologique et patrimoniale des individus qui ont recours aux services des professionnels exerçant ces activités ». Ainsi, toute profession où l’on constate un déséquilibre informationnel entre le professionnel qui détient une expertise et le consommateur profane nécessite un encadrement particulier.

Il y a 20 ans, le législateur, bien au fait de la faible littératie en assurance de dommages, a alors jugé que les personnes qui distribuent de tels produits devaient être certifiées par le Bureau des services financiers ― intégré en 2004 à l’Autorité des marchés financiers (AMF) ― et encadrées par la ChAD. Ce faisant, le consommateur est assuré d’être conseillé par un professionnel formé, assujetti à un code de déontologie universel et responsable de ses actes.

Le système d’encadrement actuel est donc composé d’un organisme public ayant un pouvoir de surveillance, d’analyse et de contrainte, soit l’AMF, et d’organismes d’autoréglementation de première ligne spécialisés, comme la ChAD. Cette dernière est un quasi-ordre professionnel qui s’assure que les agents et les courtiers en assurance de dommages, qui conseillent les assurés, ainsi que les experts en sinistre, qui accompagnent les sinistrés, respectent les normes professionnelles les plus élevées. Les actions préventives que mène la ChAD auprès des professionnels s’inscrivent dans son unique mission de protection du public et contribuent, par conséquent, à maintenir la confiance du public envers l’industrie.

Une révision législative controversée

Les lois encadrant le secteur financier n’ayant pas été modernisées depuis plusieurs années, le gouvernement a présenté en octobre 2017 le volumineux et imposant projet de loi 141 Loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières ―, qui révise l’ensemble des lois de l’industrie. Dans son mémoire en réponse à ce projet, la ChAD a fait état de plusieurs de ses préoccupations relatives à la protection du public, s’inquiétant notamment de la possibilité qu’une personne non certifiée soit autorisée à offrir des conseils et de l’abolition d’un organisme d’autoréglementation comme la ChAD.

Considérant l’ampleur du projet de loi, les consultations trop limitées à son sujet et les délais restreints qui empêchent l’étude adéquate des centaines d’articles qu’il contient, les associations de consommateurs du Québec ont  formé en mai dernier un mouvement pour exiger le retrait immédiat du projet de loi afin d’éviter son adoption précipitée, qui pourrait porter préjudice au patrimoine des consommateurs. Au moment d’écrire ces lignes, le projet de loi est en étude détaillée et fait l’objet d’amendements en vue de son adoption avant la fin de la session parlementaire le 15 juin 2018.

Les risques de la vente en ligne

Un autre sujet qui ne fait pas consensus dans le projet de loi 141 est l’encadrement de la vente en ligne, qui pourrait se faire sans les garde-fous nécessaires à la protection du public. Selon notre sondage mentionné ci-dessus, la majorité des consommateurs (61 %) effectuent des recherches en ligne avant d’acheter une police d’assurance, mais seulement une personne sur trois se dit à l’aise de l’acheter sur Internet sans l’intervention d’un représentant. Un sondage du CEFRIO de mars 2018 révèle aussi que seulement 27 % des Québécois sont prêts à acheter un produit d’assurance entièrement en ligne. Une tendance qui risque toutefois de se renverser avec la croissance et l’évolution conviviale des plateformes numériques.

Les consommateurs ne doivent pas être pénalisés s’ils choisissent de souscrire un produit d’assurance en ligne : tous doivent avoir les mêmes droits, les mêmes protections, les mêmes recours. Internet représente un mode de communication efficace que les consommateurs veulent utiliser, mais il apparaît risqué d’autoriser la distribution de produits d’assurance sur le Web sans l’intervention d’un représentant certifié qui s’assure que le consommateur est bien protégé. Pourquoi ? Un sondage mené par Léger et l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (CPA) en 2016 indique que les Québécois, bien qu’ils croient maîtriser certains concepts financiers de base, peinent à les mettre en pratique. On peut donc présumer que les consommateurs qui surestiment leurs connaissances seront moins enclins à demander des conseils ou à entreprendre des démarches en vue d’obtenir les informations nécessaires pour faire un choix éclairé. Certains pourraient ainsi croire qu’acheter un produit d’assurance en ligne est simple. Mais contrairement à un produit de consommation qui peut s’échanger s’il est inadéquat, un produit d’assurance ne révèle ses défauts que lors d’un dommage ou d’un sinistre. L’assuré ne saura qu’à ce moment-là si ses protections répondent réellement à ses besoins. Or il sera alors trop tard pour ajuster son contrat.

Des résidents au Royaume-Uni ― où la vente d’assurance en ligne est plus répandue ― l’ont appris à leurs dépens en 2014 : après de fortes inondations, plusieurs personnes ayant contracté une assurance sur Internet ont découvert que celle-ci ne couvrait pas les inondations. Le Royaume-Uni a adapté sa législation depuis. Ses consommateurs, tout comme en France, remplissent désormais un questionnaire fermé, une initiative qu’a saluée Option consommateurs. C’est dire que « l’assuré doit répondre exactement aux questions posées par l’assureur » et n’a plus la responsabilité de déclarer d’autres éléments non abordés dans le questionnaire. Les obligations du consommateur sont ainsi allégées, et l’assureur ne peut pas refuser une indemnisation sous le prétexte qu’une question générale ait reçu une réponse imprécise.

Le gouvernement du Québec devrait s’inspirer de réglementations mises en place ailleurs dans le monde qui accroissent la protection du public. Il faut que l’assuré soit protégé de ce qu’il ne sait tout simplement pas, afin de lui éviter la sous-assurance, l’achat de produits inutiles ou la négation de couverture. Avant de transférer la responsabilité actuelle du professionnel sur les épaules du consommateur, le législateur doit tenir compte de la complexité du produit et des préjudices potentiels pour le public. L’intervention d’un professionnel certifié, formé, encadré et responsable de ses actes protège le consommateur. Cela doit demeurer.

La ChAD réitère l’importance de moderniser l’encadrement du secteur financier. Toutefois, la révision ne doit jamais se faire au détriment de la protection du public, car l’assurance de dommages concerne le patrimoine de milliers de Québécois.

Cet article fait partie du dossier Réorienter le régime canadien de protection du consommateur.

Photo : Shutterstock / SpeedKingz


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Maya Raic
Maya Raic est présidente-directrice générale de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD). Détentrice d’une maîtrise en sciences politiques et d’une maîtrise en administration des affaires, elle a plus de 30 ans d’expérience dans le secteur public et dans le monde associatif à titre de gestionnaire.

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