Jadis, lorsqu’on voulait louer un bien ou obtenir un service, on faisait affaire avec un commerçant. Aujourd’hui, on peut aussi se tourner vers des particuliers en passant par une plateforme numérique, et ce, grâce au développement de l’économie du partage. Selon Rachel Botsman et Roo Rogers, auteurs de What’s Mine is yours: The Rise of Collaborative Consumption, ce nouveau modèle économique est basé « sur l’échange, le partage et la location de biens et de services ». Chez les consommateurs canadiens, ce mode d’échange est déjà populaire. D’ailleurs, Statistique Canada estime qu’entre novembre 2015 et octobre 2016, plus de 2,7 millions de Canadiens l’auraient utilisé.

Grâce aux innovations technologiques et à l’avènement de plateformes numériques d’économie partagée (PNEP), l’économie du partage a connu un développement exponentiel ces dernières années. Ainsi, les consommateurs peuvent s’adresser à un particulier pour se loger (Airbnb, VRBO, etc.), se faire transporter (Uber, Netlift, etc.) ou faire effectuer chez eux divers travaux (AskforTask). Dans tous les cas, les propositions faites par les PNEP sont attirantes pour les consommateurs, mais l’utilisation pose de nombreux défis en ce qui concerne leur protection.

Plusieurs zones d’ombre

À Option consommateurs, nous avons effectué une recherche, publiée en mars 2018, sur les conditions de l’entente d’un échantillon représentatif de PNEP, et avons mené, dans le cadre de ce travail, un sondage pancanadien sur l’utilisation des PNEP et la perception qu’en ont les consommateurs. Selon notre analyse des PNEP, lorsqu’un consommateur décide d’utiliser une PNEP, il conclut deux contrats, un avec la plateforme et un autre avec le prestataire du bien ou du service.

Nous cherchions à déterminer par le sondage si les consommateurs connaissent leurs droits et ce qu’ils en savent. Nous voulions aussi voir ce qu’ils pensent du statut de la plateforme et de celui du prestataire de service. Selon nos résultats, un tiers des répondants croit que la plateforme est un intermédiaire, alors qu’un autre tiers estime plutôt qu’elle est un commerçant. De plus, 40 % pensent que le prestataire de service est un commerçant, et 28 % le considèrent tantôt comme un commerçant tantôt comme un particulier.

Nous avons aussi demandé aux répondants s’ils pensent être protégés de la même façon lorsqu’ils utilisent une PNEP que lorsqu’ils font affaire avec un commerçant traditionnel. Ce que nous avons découvert est inquiétant : 73 % des 18 à 34 ans (les plus grands utilisateurs des PNEP) estiment avoir les mêmes protections lorsqu’ils font affaire avec une plateforme que lorsqu’ils traitent avec un commerçant.

Or la Loi sur la protection du consommateur (LPC) ne s’applique qu’aux transactions conclues entre un consommateur et un commerçant. Celui qui fournit le bien ou le service sera-t-il considéré comme un commerçant ? Cela n’est pas clair. Les PNEP étant relativement nouvelles, la loi n’en tient pas encore compte, et il n’existe aucune jurisprudence permettant de répondre à cette question. Si le prestataire de service n’est pas considéré comme un commerçant, la LPC ne s’appliquera pas, et celui qui reçoit le service aura peu de protection.

De leur côté, les PNEP affirment n’offrir qu’un service de mise en contact entre des personnes. Par conséquent, elles nient toute responsabilité en cas de problème et soutiennent que leur service est offert sans aucune garantie. Or, de toute évidence, plusieurs PNEP font bien plus que faciliter le contact entre deux personnes. Elles imposent des règles aux prestataires de services, effectuent des vérifications à leur sujet, fournissent des mécanismes de règlement des différends, offrent des garanties ainsi que des assurances et déterminent les conditions d’expulsion des membres. De plus, les PNEP obligent les consommateurs à souscrire des contrats d’adhésion qui comportent de nombreuses dispositions, notamment des clauses de renonciation (à des recours ou à des garanties) et de modifications unilatérales de contrat. D’ailleurs, plusieurs de ces clauses contreviennent aux législations provinciales.

L’exemple d’Airbnb

La location de logements à court terme est particulièrement populaire auprès des Canadiens, 56 % d’entre eux disent avoir déjà utilisé ce type de plateforme. La plus populaire est sans contredit Airbnb. À Montréal uniquement, on y comptait en 2014, selon Airbnb, 2 900 hôtes.

Au Québec, il semble que la section sur les pratiques commerciales interdites de la LPC pourrait être applicable à la location de type Airbnb ; elle a trait, notamment, aux représentations fausses ou trompeuses et au fait d’exiger un prix supérieur à ce qui est annoncé. Toutefois, la question de l’applicabilité n’a pas encore été tranchée par les tribunaux. Ainsi, une certaine incertitude persiste quant aux droits des consommateurs dans ce contexte.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient Airbnb, les hôtes qui accueillent les consommateurs ne sont pas toujours des particuliers. En effet, de nombreux hôtes possèdent plus d’une propriété qu’ils offrent sur Airbnb. Une étude de CBRE, un groupe de conseil en immobilier d’entreprise dont le siège social se trouve à Los Angeles, révèle que, dans l’État de New York, 6 % des hôtes louent plus de trois logements et qu’à eux seuls, ils génèrent 40 % des revenus d’Airbnb au sein de l’État. On trouve aussi sur Airbnb des personnes qui louent occasionnellement leur logement. Toutefois, la majorité des hôtes de la plateforme se situe quelque part entre ces deux pôles.

Au Québec, on a modifié la Loi sur les établissements d’hébergements touristiques afin d’y définir ce qu’est un touriste. Le changement a pour effet d’obliger les hôtes d’Airbnb, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises, à obtenir une attestation de classification et à payer la taxe sur l’hébergement lorsqu’ils logent des touristes. Toutefois, selon un reportage diffusé au Téléjournal de Radio-Canada, peu d’hôtes semblent se conformer à cette obligation.

Pour une meilleure protection des consommateurs

Un nombre considérable de consommateurs canadiens et québécois sont déjà des adeptes de l’économie du partage. Mais comme notre sondage l’a révélé, ils se croient beaucoup mieux protégés qu’ils le sont en réalité. Il est urgent que le gouvernement agisse pour les protéger adéquatement.

Option consommateurs propose notamment un meilleur encadrement des PNEP. Elle recommande aux autorités publiques d’élargir la définition de commerçant en droit de la protection du consommateur pour y inclure la notion d’entreprise au sens du Code civil du Québec. Cette notion est définie à l’article 1525 al. 3 du Code civil et se lit ainsi : « Constitue l’exploitation d’une entreprise, l’exercice, par une ou plusieurs personnes, d’une activité économique organisée, qu’elle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services. » La notion d’entreprise comprend donc un plus large éventail d’actes commerciaux, mais aussi certaines activités commerciales qui sont exclues de la LPC, par exemple le travail de l’artisan.

Le gouvernement devrait s’inspirer aussi du droit européen ainsi que du Code de la consommation français afin de mieux protéger les utilisateurs de PNEP. L’article L. 111-5-1 impose des obligations explicites aux plateformes numériques. Lorsque la plateforme numérique ne fait que mettre en contact des particuliers, elle doit donner de l’information claire, loyale et transparente au sujet de l’annonceur. Elle doit aussi donner de l’information sur les obligations civiles et fiscales des parties. Lorsque la plateforme permet de mettre en contact un commerçant avec des consommateurs, elle doit divulguer les coordonnées du commerçant et mettre en place un espace permettant aux consommateurs d’obtenir l’information sur leurs droits, par exemple la divulgation d’information sur le bien ou le service et le droit de rétractation. Si la plateforme numérique permet à des commerçants d’y faire des offres, elle sera assimilée à un marché en ligne et devra respecter les obligations de l’article L. 111-5-1.

Enfin, Option consommateurs a notamment suggéré aux différentes instances gouvernementales d’intervenir dans leur champ de compétences pour faire en sorte que les consommateurs soient mieux protégés. Cela inclut la mise en place de règles pertinentes, mais aussi l’implantation de stratégies d’information portant sur les enjeux liés aux PNEP. De tels changements devraient contribuer à faire comprendre aux consommateurs qu’en matière d’économie du partage, leurs droits ne sont pas nécessairement ceux qu’ils s’imaginent.

Cet article fait partie du dossier Réorienter le régime canadien de protection du consommateur.

Photo : Shutterstock / Mr. Whiskey


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Annik Bélanger-Krams
Annik Bélanger-Krams est avocate et analyste pour Option consommateurs, une association sans but lucratif qui défend les intérêts des consommateurs.

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