Au cours de la dernière décennie, il s’est passé quelque chose d’étrange et d’inattendu avec le concept de droit d’auteur : il a disparu. En fait, pas complètement, bien sûr. Mais diverses forces adverses l’ont soumis à un tel tir croisé qu’on le retrouve aujourd’hui — et surtout ceux et celles qui devraient en être les détenteurs — dans un état d’extrême vulnérabilité. Bref retour historique, état des lieux et pistes de solutions.

De C-32 à C-11 : quand l’histoire fait marche arrière

En vertu de l’article 92 de la Loi sur le droit d’auteur, modifiée en 2012, le gouvernement fédéral est tenu de procéder en 2017 à un réexamen de ladite Loi dans le cadre d’un processus public.

Pour comprendre la nécessité de ce réexamen pour le secteur de la musique, il faut remonter 20 ans en arrière. L’année 1997, en effet, demeure un repère historique important dans la réflexion qui s’enclenche. Cette année-là, en adoptant son projet de loi C-32, le gouvernement libéral de l’époque a modifié en profondeur la Loi sur le droit d’auteur en lui incorporant notamment deux nouveaux régimes : le régime de droits voisins et le régime de copie privée. Le premier prévoyait le versement de redevances aux producteurs d’enregistrements sonores et aux interprètes, en contrepartie de la diffusion de leurs enregistrements, par exemple à la radio. Le second, quant à lui, prévoyait le versement d’une redevance aux auteurs-compositeurs, interprètes et producteurs d’enregistrements sonores, en contrepartie de la copie pour usage privé de leurs œuvres, de leurs interprétations et de leurs enregistrements sonores sur support audio (cassettes, CD, etc.).

Cette importante mise à niveau de la législation instituait donc une double reconnaissance : celle de l’existence d’une chaîne de création de valeur dans le domaine de l’enregistrement sonore, et celle du besoin d’encadrer une pratique existante, la copie pour usage privé, en assurant une contrepartie à ceux qui sont à l’origine du contenu ainsi copié. Les années qui ont suivi ont démontré la clairvoyance de la Loi. En 2004, les redevances provenant des radios commerciales au titre de droits voisins s’élevaient déjà à 47 millions de dollars, et celles perçues des fabricants et importateurs de supports vierges au titre de copie privée, à 127 millions de dollars.

Ensuite survint la révolution numérique et commença un long déclin.

En 2003, le gouvernement fédéral entamait une consultation en vue d’une nouvelle révision de la Loi. Les ayants droit ont alors fait valoir trois besoins pressants : celui d’adapter la législation aux nouveaux modes de diffusion et aux nouveaux supports ; celui d’appliquer les dispositions des traités de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle en incorporant à la Loi un droit dit « de mise à la disposition du public » ; et celui de reconnaître la responsabilité des fournisseurs d’accès Internet dans les activités qu’ils exercent à titre d’intermédiaires.

Ces mesures auraient contribué à adapter minimalement à la révolution numérique une loi en perte rapide de pertinence. Aucune ne fut adoptée. En outre, un coup fatal allait être porté au régime de copie privée en 2004, lorsque les tribunaux ont aboli les redevances sur la mémoire inamovible intégrée à des enregistreurs audionumériques. Depuis, les ayants droit de la chaîne de valeur musicale ne touchent aucune redevance sur les supports que tous les consommateurs de musique utilisent pour copier leur contenu (baladeurs, téléphones intelligents, tablettes et autres), mais ils continuent de toucher des redevances marginales sur des supports que plus personne n’utilise (CD, DVD, cassettes).

En 2012, l’adoption du projet de loi C-11, dit « de modernisation » de la Loi sur le droit d’auteur, allait officialiser cet état de fait, tout en instaurant notamment une série d’exceptions lourdes de conséquences pour les titulaires de droits, ces exceptions venant soustraire un grand nombre d’usages à l’application de la Loi. Depuis, le déséquilibre créé entre ce que l’on considère comme les droits des utilisateurs et le droit des auteurs ne cesse de s’accroître.

Nous en sommes là.

Vers une réelle mise à niveau du droit d’auteur

Aujourd’hui, l’écoute du contenu musical est en hausse fulgurante dans le monde, alors que les revenus générés dans la chaîne de création de valeur de ce contenu se stabilisent à peine, après une chute vertigineuse. Le processus de captation de valeur par des intermédiaires étrangers à la production du contenu musical — entreprises de télécommunications, entreprises exploitant des plateformes de diffusion numérique — a été largement documenté. Il ne fait de doute pour personne que la législation canadienne sur le droit d’auteur est en retard d’une ou deux révolutions sur ce phénomène et que la révision de 2017 devrait être l’occasion d’une réelle mise à niveau.

Cette mise à niveau devra servir à corriger trois grands ordres de problèmes.

Le premier concerne la mise en place d’un cadre législatif cohérent pour comprendre et gérer la propriété intellectuelle sur la base de la responsabilité des différents joueurs. Dans le domaine spécifique de la musique, cela signifie de reconnaître concrètement dans la Loi le rôle, et les obligations qui en découlent, des entreprises de télécommunications quant aux contenus transportés sur leurs réseaux et stockés sur leurs serveurs. Cela signifie aussi de mettre fin à l’exemption dont bénéficient les radiodiffuseurs sur leur premier 1,25 million de revenus dans le calcul de leur contribution au titre des droits voisins.

Le deuxième correctif consiste à rétablir un équilibre entre les intérêts des consommateurs (il est abusif de parler de droits ici) et les droits des créateurs de contenus. Si le Canada souhaite continuer de se démarquer par la vitalité de ses industries culturelles, il est impératif qu’il assure aux créateurs un incitatif à innover, sous la forme de droits et de redevances adéquats. Cela inclut notamment l’extension de la durée d’application des droits d’auteur et l’élimination des multiples exceptions dont la loi actuelle est entièrement perforée.

Enfin, il importe que la nouvelle loi tienne compte des réalités technologiques et économiques dans lesquelles nous vivons. Les principes directeurs de la Loi ne devraient pas être remis en question chaque fois que la technologie, par exemple, vient remodéliser le secteur de la musique. C’est le rôle du législateur de plier la technologie et le commerce aux principes indiscutables de la Loi, non l’inverse. À l’heure où pas moins de 2,5 milliards de copies de fichiers musicaux sont effectuées chaque année au Canada, cela plaide évidemment pour une restitution du régime de copie privée dans toute sa force — sans parler d’une augmentation des ressources de la Commission du droit d’auteur pour assurer une mise en application diligente de la Loi.

Assez ne sera jamais assez

Et pourtant, cela ne suffira pas.

Quand bien même la Loi serait entièrement révisée selon les axes résumés ici, elle ne constitue qu’une partie du puzzle auquel sont confrontées les industries culturelles canadiennes — et au premier chef l’industrie de la musique, qui fut la première et la plus profondément transformée par la révolution numérique. Depuis plus d’un an maintenant, l’industrie musicale indépendante fait valoir dans toutes ses représentations que la restauration d’un environnement sain pour la création musicale au Canada ne repose pas sur une solution unique, mais sur quatre grands leviers qu’il importe maintenant d’actionner de façon concertée : les leviers législatif, réglementaire, fiscal et financier.

La révision de la Loi sur le droit d’auteur est un volet important du levier législatif, mais ce serait une erreur, pour le gouvernement, de l’envisager de façon isolée sans revoir également la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion. Il en va également des instances réglementaires qui, depuis plus de 10 ans, sont amenées à établir des politiques souvent néfastes à l’innovation dans le secteur musical. De plus, la révision de la fiscalité des entreprises, notamment celles qui exploitent des plateformes de diffusion à partir de l’étranger, est aussi un besoin criant. Enfin, on ne le dira jamais assez : l’industrie musicale indépendante canadienne est incroyablement résiliente, innovatrice et dynamique, mais elle est financièrement épuisée par près de 20 ans de révolution technologique. Pour passer à la prochaine étape, elle n’aura pas seulement besoin de droits mieux définis et mieux appliqués. Elle aura besoin d’un apport d’air frais, et vite.

Photo : Shutterstock/meunierd

Cet article fait partie du dossier Repenser la politique canadienne sur le droit d’auteur.


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L’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) regroupe plus de 250 entreprises représentant l’ensemble de la chaîne professionnelle. Elle permet aux artistes québécois de la chanson et de l’humour de développer leurs carrières et rejoindre leurs publics : producteurs de disques, de spectacles et de vidéos, maisons de disques, maisons d’édition, distributeurs, salles de spectacles, diffuseurs et autres.  

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