Alors que le gouvernement fédéral entamera bientôt un examen de la Loi sur le droit d’auteur, les universités canadiennes souhaitent rappeler qu’il est essentiel de protéger le principe d’« utilisation équitable », qui établit un juste équilibre entre le droit des auteurs d’être rémunérés pour leurs œuvres et le droit de la société d’utiliser librement ces œuvres lorsque l’intérêt public l’exige.

Le développement, la transmission et la diffusion du savoir sont au cœur de la mission universitaire. À ce titre, les universités sont à la fois productrices et utilisatrices d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Grâce à l’octroi de fonds publics très considérables, les membres du corps professoral consacrent leur carrière à développer de nouvelles connaissances. Ils assurent habituellement la diffusion des nouveaux savoirs issus de leurs recherches en cédant leurs droits à des éditeurs, qui revendent ensuite ces productions scientifiques aux établissements d’enseignement. Les universités canadiennes investissent aujourd’hui plus de 350 millions de dollars annuellement — ce qui représente une augmentation de plus de 40 % depuis 2003-2004 — dans l’achat de contenu qu’elles ont le plus souvent elles-mêmes produit grâce au soutien de l’État.

Si les universités dépensent de telles sommes, c’est parce que l’accès aux connaissances est essentiel à leur capacité d’accomplir pleinement leur mission, c’est-à-dire offrir aux étudiants une formation de pointe et produire un savoir de haut niveau. C’est pourquoi il est impératif qu’un juste équilibre soit établi entre le droit des créateurs d’être rémunérés et reconnus pour leurs œuvres et celui des sociétés d’avoir accès à ces dernières et de les utiliser librement dans certaines situations particulières.

C’est précisément pour reconnaître cet équilibre fondamental entre la protection des créateurs et l’accès aux œuvres que le législateur a intégré la notion d’« utilisation équitable » (fair dealing) à la Loi sur le droit d’auteur. L’utilisation équitable permet d’utiliser, sans obtenir la permission du détenteur d’un droit d’auteur ni lui payer de redevances, de petites portions d’une œuvre lorsque l’intérêt public est en jeu, c’est-à-dire pour des fins de formation, d’étude privée, de recherche, de satire et de parodie, de critique, de compte rendu et de communication de nouvelles.

La Cour suprême du Canada a d’ailleurs confirmé maintes fois ces dispositions qui protègent les intérêts collectifs. En 2002, elle a reconnu que l’utilisation équitable garantissait « la capacité du domaine public d’intégrer et d’embellir l’innovation créative dans l’intérêt à long terme de l’ensemble de la société » (Théberge c. Galerie du Petit Champlain Inc., par. 32). Puis, dans des jugement rendus en 2012, entre autres dans l’affaire Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada et dans la cause Alberta (Éducation) c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), la Cour suprême a non seulement proposé une interprétation large et libérale de l’utilisation équitable aux fins de recherche, mais également affirmé que la photocopie d’extraits d’œuvres par un professeur en vue de les distribuer aux étudiants constituait une utilisation équitable.  Elle a notamment conclu que l’enseignant « n’a pas de motif inavoué lorsqu’il fournit des copies à ses élèves. On ne saurait non plus soutenir qu’il poursuit une fin d’”enseignement” totalement distincte, car il est là pour faciliter la recherche et l’étude privée des élèves. » Ainsi, la recherche et l’étude privée, qui ont toutes deux été des motifs suffisants pour justifier le recours à l’utilisation équitable bien avant les modifications apportées à la Loi sur le droit d’auteur en 2012, devraient être interprétées comme laissant entendre que l’éducation aussi est un motif raisonnable pour justifier l’utilisation équitable.

La validité juridique de ce principe fondamental qu’est l’utilisation équitable est donc fermement établie et reconnue en contexte universitaire et, plus largement, dans le milieu de l’éducation dans son ensemble. Les universités canadiennes mettent d’ailleurs tout en œuvre pour respecter rigoureusement la Loi. Universités Canada a proposé en 2012 une Politique en matière d’utilisation équitable afin de guider les établissements universitaires dans l’élaboration de leur propre politique à cet effet. Soulignons que le Conseil des ministres de l’éducation (Canada) a également mis en avant une politique similaire applicable aux écoles primaires et secondaires, tout comme l’a fait Collèges et Instituts Canada pour les collèges. Par ailleurs, les universités déploient des ressources importantes pour encadrer les activités du corps professoral, de la population étudiante et du personnel liées au droit d’auteur. Services et personnel dédiés, mise sur pied de communautés de pratique, formations destinées à la communauté universitaire et réalisation de guides d’accompagnement sont autant d’initiatives qui témoignent de l’engagement des universités à observer la Loi.

The inner workings of government
Keep track of who’s doing what to get federal policy made. In The Functionary.
The Functionary
Our newsletter about the public service. Nominated for a Digital Publishing Award.

Toutefois, malgré une législation et une jurisprudence très claires, malgré, surtout, l’importance pour une société de pouvoir accéder librement à des contenus qu’elle a bien souvent elle-même financés, certains acteurs du secteur de la création et de la distribution de contenu contestent le principe d’utilisation équitable. Le jugeant injuste, ils remettent en question le droit des universités d’utiliser équitablement des œuvres protégées sous prétexte qu’il s’agit d’une forme de piratage ou de contrefaçon qui nuit à la vente des œuvres et brime leurs auteurs. Rien n’est pourtant plus faux ! Alors que les pirates et les contrefacteurs accaparent un bien qui ne leur appartient pas pour le revendre et le commercialiser indûment, la reconnaissance des auteurs est une valeur fondamentale pour les universités, comme en témoignent les règles rigoureuses établies en matière de citation. Ainsi, si les universités recourent à des œuvres protégées, c’est pour disposer des outils nécessaires à la réalisation de leur mission de recherche et de formation, et non pour s’enrichir grâce au travail d’autrui.

En conclusion, lorsque l’utilisation équitable est attaquée, c’est la capacité même des universités à jouer pleinement leur rôle en matière de recherche, d’enseignement et de contribution au progrès social qui est remise en question. Il nous faut donc protéger et défendre l’utilisation équitable sans relâche. Parce que le savoir est le principal moteur de l’avancement scientifique et de notre aptitude à poursuivre avec succès le bien commun, au bénéfice des générations actuelles et futures.

Cet article fait partie du dossier Repenser la politique canadienne sur le droit d’auteur.

Photo: Ann-Catherine Désulmé


Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux débats d’Options politiques et soumettez-nous votre texte en suivant ces directives. | Do you have something to say about the article you just read? Be part of the Policy Options discussion, and send in your own submission. Here is a link on how to do it. 

You are welcome to republish this Policy Options article online or in print periodicals, under a Creative Commons/No Derivatives licence.

Creative Commons License