Le sommet des chefs d’État du Canada, des États-Unis et du Mexique, qui aura lieu le 29 juin 2016 à Ottawa, offre la première occasion aux trois dirigeants de dresser un bilan des enjeux continentaux communs en matière d’énergie et d’environnement, suivant l’Accord de Paris sur le climat signé en décembre dernier. À l’issue de la rencontre, ils annonceront sans doute un protocole d’entente visant à coordonner les recherches sur le climat et à partager des technologies réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES), mais nous ne devrions pas nous attendre à beaucoup plus. Si les trois pays sont des producteurs importants d’hydrocarbures, leurs défis en matière de politiques environnementales ne sont pas les mêmes, car leurs bilans énergétiques diffèrent. De plus, la présidentielle américaine du 8 novembre prochain verra un changement de garde, et Barack Obama ne sera pas en mesure de s’engager trop loin dans le « climat » politique actuel.

Dans le contexte mondial suivant l’Accord de Paris, le Canada, les États-Unis et le Mexique se trouvent face à un défi majeur : gérer les émissions de GES tout en assurant leur production énergétique.

Le Canada est le cinquième producteur de pétrole brut au monde avec plus de 3,9 millions de barils par jour. Il n’a qu’un seul marché d’exportation, celui des États-Unis, qui eux importent 3,1 millions de barils par jour du Canada, ce qui représente 43 % de leurs importations, selon l’U.S. Energy Administration. L’enjeu énergétique principal pour le Canada est la « protection » de son industrie pétrolière, car elle représente presque 10 % de son produit intérieur brut. En 2030, cette production pourrait atteindre 5,3 millions de barils par jour, selon les projections de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, ce qui ferait du Canada le quatrième producteur au monde. D’où le désir de trouver de nouveaux marchés d’exportation. Toutefois, la grande majorité du pétrole est extraite des sables bitumineux de l’Alberta et nécessite d’énormes quantités de vapeur produite par la combustion de gaz naturel. Cette hausse de production est donc incompatible avec une réduction absolue, d’ici 2030, de 30 % des GES par rapport aux niveaux de 2005, telle que négociée à Paris, à moins que de nouvelles technologies permettront de maintenir ce niveau de production tout en réduisant les émissions de GES.

Le Mexique aussi cherche à hausser sa production pétrolière, car elle a baissé de 25 % depuis 2005 en raison de l’inefficacité de l’industrie mexicaine, en proie à un monopole gouvernemental, et son manque d’investissements. Pour y arriver, le gouvernement a adopté d’importants changements constitutionnels depuis 2013, qui, entre autres, ont brisé le monopole de la Pemex, la société nationale intégrée d’exploration, de production, de raffinage et de vente au détail de pétrole. Une des nouvelles lois permet d’établir des partenariats avec des entreprises du secteur privé et ouvre certains champs pétrolifères du Mexique à l’exploration et au développement par des multinationales. Le Mexique produit 2,8 millions de barils par jour et exporte le quart de sa production aux États-Unis. Le reste est raffiné et consommé à l’interne. Avec la possibilité d’obtenir des investissements privés et d’acquérir de nouvelles technologies pour accroître sa production de pétrole, le pays cherche, tout comme le Canada, à tirer profit de la valeur de ses ressources. Il faut noter que la production de pétrole au Mexique crée moins de GES par baril qu’au Canada, car il s’agit de pétrole conventionnel.

Pour les États-Unis, l’enjeu énergétique principal est plutôt la transformation de la production d’électricité : 67 % de l’électricité aux États-Unis est produite par des hydrocarbures, tels que le charbon et le gaz naturel. Le Canada, en comparaison, produit 80 % de son électricité sans émettre de GES. En 2015, donnant suite à l’engagement du président Obama pour une stratégie d’énergie propre, l’Environmental Protection Agency a publié un plan d’action pour les États-Unis qui vise à réduire de 30 %, d’ici 2030, les GES émis par le secteur de l’électricité. Un enjeu important est d’accroître l’apport des énergies renouvelables dans la production électrique américaine.

Des trois pays en question, seul le Canada ne s’est pas doté d’une politique récente de lutte contre les changements climatiques, en grande partie à cause de la complexité de son système politique. La Loi constitutionnnelle de 1982 ne mentionne pas le mot « environnement », et, par convention, le domaine est devenu une juridiction partagée entre le fédéral et les provinces. Cela dit, plusieurs provinces – mais pas toutes – ont adopté des mesures pour réduire leurs émissions de GES. Les politiques environnementales au Canada sont ainsi une mosaïque de mesures provinciales.

Le premier ministre Justin Trudeau prône une approche en matière d’énergie qui est plus en accord avec l’opinion publique, mais sa première tentative de trouver un terrain d’entente avec les provinces (à la rencontre avec ses homologues des provinces et territoires à Vancouver en mars 2016) n’a eu qu’un succès mitigé, et l’entente conclue est de nature assez générale. Le défi le plus important pour le Canada sera de coordonner une politique environnementale nationale. C’est le gouvernement fédéral qui négocie et signe les traités internationaux en matière d’action contre les changements climatiques, mais les efforts et les politiques dans ce domaine sont en majeure partie du ressort des provinces, et aussi des municipalités.

Tel que mentionné précédemment, le président Obama a introduit son Plan d’énergie propre en août 2015 pour réduire la pollution créée par les centrales électriques au charbon ; il a aussi signé l’Accord de Paris sur le climat en décembre. Toutefois, ces efforts ne sont pas appuyés par tous. En février 2016, la Cour suprême des États-Unis a bloqué l’application des règlements du plan après que 29 États américains et plusieurs sociétés énergétiques eurent lancé une poursuite judiciaire contre le projet, arguant la protection des emplois et le maintien du prix de l’électricité. Tant que la Cour n’aura pas tranché sur le bien-fondé de la cause et que l’élection présidentielle n’aura eu lieu, la politique environnementale américaine demeurera très incertaine.

Quant au Mexique, le président Enrique Peña Nieto a annoncé une stratégie nationale mexicaine contre le changement climatique en juin 2013, devenant ainsi le premier pays en développement à publier un plan de réduction des GES. Il prévoit réduire les émissions de 50 % par rapport aux niveaux de 2000 d’ici 2050 et introduire une taxe sur le carbone. Le plus grand effort devra être consacré au développement d’une électricité propre : le Mexique voudrait produire 35 % de son énergie de sources renouvelables d’ici 2024. Il compte beaucoup sur la coopération technique et les investissements en énergies propres, ce qui pourrait être un grand défi sur le plan financier et législatif.

Il n’y a pas d’enjeux vraiment trilatéraux pour les trois pays, il existe seulement trois relations bilatérales : Mexique – États-Unis, États-Unis – Canada et, de moindre importance, Mexique – Canada.

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Pour le Canada, deux dossiers sont importants dans ses rapports avec son voisin du Sud. Le premier est le projet d’oléoduc Keystone XL proposé par la société TransCanada. Certes, le président Obama a fait stopper ce plan de pipeline reliant la production pétrolière de l’Alberta aux raffineries du golfe du Mexique. Mais la situation pourrait changer après la présidentielle de novembre prochain si Donald Trump l’emporte sur Hillary Clinton, ou si les républicains conservent leur majorité dans les deux chambres du Congrès. Pour ce qui est du premier cas, Donald Trump a déjà indiqué son appui au projet d’oléoduc. Dans le deuxième cas, les républicains pourraient introduire alors un autre projet de loi soutenant la construction du pipeline. Il semble donc que ce projet d’oléoduc ne soit ni mort ni enterré encore.

Le deuxième dossier important concerne la construction d’un réseau de lignes à haute tension pour l’exportation de l’électricité propre du Canada aux États-Unis. Il y a six projets en évaluation ou en développement, mais les trois plus importants visent le transport de l’hydroélectricité du Québec vers les États de New York et de la Nouvelle-Angleterre. L’électricité propre canadienne pourrait ainsi remplacer celle produite par le charbon aux États-Unis et aider à réduire les émissions de GES du continent. Ces projets « propres » se heurtent toutefois à l’opposition de sociétés américaines… et de citoyens qui ne veulent pas voir de lignes à haute tension sur leur territoire !

Que se passe-t-il alors entre les États-Unis et le Mexique ? Les deux pays ont conclu en 2015 une entente de coopération sur les politiques climatiques qui a pour but de coordonner les politiques et la réglementation dans plusieurs domaines, notamment les émissions de véhicules, l’efficacité énergétique d’appareils ménagers ainsi que la modernisation du réseau électrique.

Pour ce qui est des trois pays, le Canada, les États-Unis et le Mexique ont signé en février de cette année un protocole d’entente visant la collaboration nord-américaine en matière d’énergie, mais les éléments concrets sont quand même assez modestes. Il s’agit principalement de la création d’une plateforme d’échange de données dans six domaines, entre autres l’efficacité énergétique des appareils et des industries, le captage et le stockage du carbone, et les pratiques exemplaires pour réduire les émissions provenant du secteur des hyrdocarbures. Il y a des chances que le sommet de juin prochain fasse avancer un peu ce dossier, mais le président Obama ne pourra pas vraiment prendre d’engagement étant donné son statut de « canard boiteux » : son mandat se terminera dans sept mois. Il faudra attendre le prochain sommet, avec un nouveau président ou une nouvelle présidente à la barre des États-Unis, pour faire progresser (ou non) les politiques nord-américaines en énergie et en environnement.

Photo (Ressources naturelles Canada) : Jim Carr, ministre des Ressources naturelles Canada, Pedro Joaquín Coldwell, secrétaire à l’Énergie du Mexique, et Ernest Moniz, secrétaire à l’Énergie des États-Unis, à la réunion des ministres de l’Énergie de l’Amérique du Nord, le 12 février 2016 à Winnipeg.

Cet article fait partie du dossier Relations nord-américaines.

 


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Jean-Sébastien Rioux
Jean-Sébastien Rioux est professeur agrégé à la School of Public Policy à l’Université de Calgary. Ses recherches portent sur la politique étrangère du Canada, et sur les politiques énergétiques du Canada et des provinces.

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