Le 13 janvier 2021, nous avons assisté à ce qui, à toute autre époque, aurait paru invraisemblable, soit une seconde mise en accusation d’un président américain par la Chambre des représentants au cours d’un même mandat. Cela dit, après quatre années d’une présidence Trump ayant normalisé l’anormalité, ce nouveau revirement ne surprend qu’à moitié, d’autant plus que le comportement récent du président ― de son refus de reconnaître les résultats de l’élection présidentielle jusqu’à son discours du 6 janvier qui aurait encouragé ses partisans à prendre d’assaut le Capitole ― n’a, semble-t-il, guère laissé le choix aux démocrates que de formellement accuser le président d’incitation à appeler à une insurrection.

Au moment d’écrire ces lignes, il n’est pas clair quand aura lieu le second procès du président Trump au Sénat, ni quel en sera le résultat. Et une autre question demeure en suspens : quel est l’avenir du mariage entre le trumpisme et le Parti républicain ?

Une fin de règne tumultueuse

Après plus de cinq ans à se familiariser avec le caractère de Donald Trump et ses différents modus operandi, rares étaient ceux qui s’attendaient à ce que sa défaite aux urnes soit suivie d’une transition fluide et d’une période de réconciliation. Depuis l’élection, le président a tour à tour demandé à Fox News de renverser ses projections concernant les résultats dans au moins un État, proclamé sa victoire, fait état de fraudes massives sans fournir des preuves, saisi les tribunaux de plus d’une cinquantaine de poursuites, refusé de reconnaître sa défaite (même après le vote du collège électoral), inciter des responsables locaux des élections à ne pas approuver les résultats des élections tenues dans leur État (notamment dans le cadre d’un appel controversé avec le secrétaire d’État de la Géorgie quelques jours avant l’émeute du Capitole) et fait pression sur plusieurs élus du Congrès pour qu’ils refusent de valider les résultats du vote au collège électoral.

Toutes ces actions laissaient croire que la longue tradition de passation pacifique du pouvoir, une source de fierté pour bien des Américains, était en danger. Ces craintes se sont matérialisées le 6 janvier dernier quand le président Trump a harangué de la sorte ses partisans venus protester contre la validation des votes du collège électoral par le Congrès :  « Nous allons marcher sur Pennsylvania Avenue […], nous allons aller au Capitole […] donner [aux républicains] la fierté et l’audace nécessaire pour reprendre notre pays. » La suite est désormais tristement connue.

Au moment même où les émeutiers attaquaient le Capitole, des élus démocrates esquissaient des articles en vue d’une nouvelle procédure de destitution du président. Une semaine plus tard, la Chambre votait en faveur de l’impeachment avec l’appui de l’ensemble des 222 démocrates et de 10 républicains. La suite n’est pas encore arrêtée. Chose certaine, le fait que le président ne puisse plus être démis de ses fonctions ne signifie pas qu’un procès en destitution soit impossible, quoi qu’en pensent certains élus républicains. Au contraire, le prochain leader de la majorité au Sénat, le démocrate Chuck Schumer, peut s’appuyer sur le précédent que constitue le cas de William Belknap, qui, en 1876, fut jugé (et acquitté) par le Sénat après avoir remis sa démission à titre de secrétaire à la Guerre sous le président Ulysses Grant. D’ailleurs, la procédure de destitution n’est pas qu’une mesure visant à démettre un personnage public de ses fonctions ; elle peut également être invoquée par la suite pour empêcher cette personne de se représenter pour des fonctions politiques fédérales.

La procédure de destitution n’est pas qu’une mesure visant à démettre un personnage public de ses fonctions ; elle peut également être invoquée par la suite pour empêcher cette personne de se représenter pour des fonctions politiques fédérales.

Dans l’immédiat, deux inconnus subsistent : dans un premier temps, à quel moment aura lieu le procès et selon quelles modalités ? Le président élu Joe Biden et plusieurs de ses alliés à Capitol Hill espèrent que le Sénat pourra rapidement expédier la procédure, afin de ne pas retarder la confirmation du cabinet du nouveau président et de ne pas nuire à l’adoption de l’ambitieux plan de relance de l’économie et de lutte contre la COVID-19 de 1 900 milliards de dollars (annonce faite le 14 janvier dernier).

Dans un second temps, le Sénat peut-il cette fois-ci voter pour condamner Donald Trump ? Les deux tiers des voix sont nécessaires pour ce faire, soit celles de 67 sénateurs. Comme les démocrates contrôlent désormais 50 sièges, c’est donc dire qu’ils auront besoin d’au moins 17 voix républicaines. Tous les yeux seront alors tournés vers le leader républicain McConnell qui, frustré par le comportement du président, se serait montré favorable à la procédure de destitution lancée par la Chambre, sans toutefois indiquer s’il voterait contre Trump. Étant donné son influence à l’intérieur de la Conférence républicaine, il y a de bonnes raisons de croire que le sénateur du Kentucky pourrait, s’il le souhaite, donner aux démocrates les votes requis pour condamner Trump et l’empêcher de se représenter en 2024.

Quelle que soit l’issue de ce vote, il semble clair que l’alliance entre Trump et le Parti républicain est désormais fragilisée et que le Grand Old Party sera au cours des prochaines années le théâtre de luttes internes pour déterminer les orientations du parti.

Le Parti républicain et l’avenir du trumpisme

Au lendemain du vote favorable de la Chambre des représentants à une seconde mise en accusation du président Trump, plusieurs observateurs ont souligné que le fait que seulement 10 républicains aient voté pour la procédure de destitution montrait à quel point la mainmise de Trump sur le Parti républicain demeurait ferme. Or c’est précisément parce que 10 républicains se sont montrés prêts à risquer leur carrière politique (pour ne pas dire leur sécurité et celle de leur famille) qu’on peut affirmer que l’emprise du président sur le Parti républicain n’est plus aussi certaine qu’elle l’a déjà été. Arrivé en intrus lors des primaires républicaines de 2016, Donald Trump, après avoir gagné la présidence, a rapidement consolidé son pouvoir à l’intérieur du parti, de sorte qu’un des principaux truismes des dernières années était d’affirmer que le Parti républicain était désormais le parti de Donald Trump. Même après la défaite électorale de Trump, un grand nombre d’observateurs tenaient pour acquis qu’il pourrait soit obtenir à nouveau l’investiture en 2024, soit influencer de manière décisive le choix du candidat républicain pour cette élection présidentielle.

Qui plus est, cette répudiation est appelée à croître au cours des prochains mois, alors que les républicains devront faire face à la réalité : sous Trump, le parti a perdu successivement le contrôle de la Chambre des représentants, de la Maison-Blanche et du Sénat.

Or, depuis les incidents du 6 janvier, un nombre croissant de représentants, de sénateurs et de gouverneurs républicains ont pris position contre le président et ont demandé son départ de la Maison-Blanche. Qui plus est, cette répudiation est appelée à croître au cours des prochains mois, alors que les républicains devront faire face à la réalité : sous Trump, le parti a perdu successivement le contrôle de la Chambre des représentants, de la Maison-Blanche et du Sénat. En outre, les Américains continueront de souffrir pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, des conséquences de la piètre gestion de l’épidémie de COVID-19 par l’administration Trump.

Cela s’ajoute à l’impopularité chronique d’un président dont le taux d’approbation n’a jamais dépassé 50 % et dont le rôle dans l’attaque contre le Capitole laisse un goût amer à un grand nombre d’Américains. On peut donc penser qu’une victoire de Trump lors de la présidentielle de 2024 est encore plus improbable qu’elle pouvait l’être en 2016. Privé de la tribune présidentielle et de son compte Twitter, Trump pourra difficilement maintenir les républicains en rang et empêcher une prise de parole contre lui à l’intérieur du parti. Cela dit, le président ne manque pas de partisans qui lui sont fidèles, et le Parti républicain regorge d’élus qui souhaitent enfiler le manteau du trumpisme. Après une élection qui a pris la forme d’une bataille pour « l’âme de l’Amérique », tout indique que les prochaines années seront le théâtre d’une bataille pour celle du Parti républicain.

Cet article fait partie du dossier L’élection présidentielle américaine de 2020.

Photo : Une clôture d’une hauteur de sept pieds a été érigée autour du Capitole après les émeutes du 6 janvier 2021, Washington, le 10 janvier 2021. Shutterstock / Nicole Glass Photography.

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Christophe Cloutier-Roy
Christophe Cloutier-Roy est docteur en science politique et chercheur en résidence de l’Observatoire sur les États-Unis de l’Université du Québec à Montréal.

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