La compétitivité du Canada par rapport à ses voisins du Sud est d’une importance capitale, notamment pour attirer des investissements étrangers et pour vendre ses produits aux États-Unis (où il écoule plus de 75 p. 100 de ses exportations) avec une marge bénéficiaire intéressante. Or il est largement reconnu que le Canada fait présentement face à une crise de compétitivité — qui ne s’explique pas uniquement par la récente récession —, particulièrement dans le secteur manufacturier qui a vu disparaître plus de 550 000 emplois au cours des cinq dernières années.

En effet, comparativement aux entreprises américaines, le Canada souffre de plusieurs lacunes en matière de compétitivité, notamment l’insuffisance des investissements, le faible taux d’innovation et la sous-exploitation des possibilités offertes par les technologies de l’information. Cette situation s’est aggravée depuis plusieurs années à cause de la forte hausse du dollar canadien par rapport au billet vert.

Mais le Canada possède également des atouts, sans doute moins appréciés, dont son système public de soins de santé. Curieusement, ce sont les Américains (à qui on reproche pourtant, à tort ou à raison, leur méconnaissance de tout ce qui a trait au Canada) qui ont soulevé cette dimension dans le cadre du débat qui a cours présentement sur la réforme du système de soins de santé, proposée par Barack Obama. Nul autre que la Business Roundtable, un organisme d’hommes d’affaires très influent à Washington, a récemment déclaré que le système de santé américain nuisait gravement à la compétitivité de ses membres.

L’efficacité du système canadien par rapport à celui des États-Unis est bien documentée (même si plusieurs pays européens le dépassent à ce titre). Ainsi, le Canada dépense presque la moitié moins par habitant pour les soins de santé que ses voisins du Sud, une proportion qui est plus ou moins stable depuis 10 ans (graphique 1). En outre, les indicateurs de santé et de bien-être y sont non seulement meilleurs en termes absolus, mais ils se sont améliorés entre 2000 et 2006 d’une façon plus marquée qu’aux États-Unis (tableau 1). Bien que ces résultats soient déterminés en partie par des facteurs autres que les systèmes de santé en place (notamment l’obésité, le tabagisme et d’autres choix de vie), les différences avec les États-Unis demeurent remarquables.

L’excellence du système canadien de soins de santé tient aussi à sa structure et à son financement. Comme chacun sait, les provinces et territoires canadiens ont recours à un système de financement public : les soins de base sont financés par les revenus des gouvernements — soit, essentiellement, par les impôts sur le revenu des particuliers et des entreprises ainsi que par les taxes de vente. Par conséquent, le fardeau du financement est équitablement partagé entre les ménages et les entreprises, et la progressivité du système assure que, proportionnellement, les mieux nantis paient davantage. Le taux d’imposition des entreprises au Canada étant à la baisse depuis 2001, le fardeau direct des entreprises a même diminué avec le temps. En complément au régime public, il y a la possibilité de souscrire à une assurance privée (souvent offerte par les employeurs) pour certains services non couverts par le système public (les soins dentaires, les médicaments et certains tests diagnostiques, par exemple).

Aux États-Unis, où le rôle des entreprises dans le financement des soins de santé est primordial, c’est tout autre chose. Le financement de leur système de santé est un accident de l’histoire qui remonte à la Deuxième Guerre mondiale.

Durant la guerre, le gouvernement américain a plafonné les augmentations salariales que pouvaient consentir les entreprises à leurs employés afin de combattre l’inflation causée par la demande massive d’équipement militaire. Cependant, en 1943, le War Labor Board a convenu que certains avantages sociaux — dont l’assurance-maladie — seraient exclus de ces plafonds. Empêchées d’attirer des employés par la bonification des salaires, les grandes entreprises ont alors commencé à offrir l’assurance-maladie à titre de compensation. Cet avantage social s’est rapidement imposé comme une partie essentielle de la rémunération dans le secteur manufacturier, et presque tous les autres secteurs l’ont également adopté dans les décennies qui ont suivi. En 1954, les contributions des employeurs à ces régimes d’assurance sont devenues déductibles d’impôt, ce qui a favorisé le développement du système. C’est le régime que connaissent aujourd’hui les Américains ; il est axé sur le financement partagé entre employeurs et employés par l’intermédiaire des assureurs privés.

Un tel système fait en sorte que les primes d’assurance-maladie comptent pour une proportion importante dans les coûts de production. D’après le US Bureau of Labor Statistics, le manufacturier moyen aux États-Unis consacre 10 p. 100 de sa masse salariale à ces primes, en forte hausse depuis les années 1990.

Il existe très peu d’études rigoureuses qui comparent les coûts des soins de santé des entreprises dans les deux pays, car ces données ne sont pas recensées d’une façon systématique au Canada. L’une des rares analyses, publiée par le Conference Board du Canada à la fin des années 1990, compare les coûts d’exploitation des filiales canadiennes et américaines de quatre sociétés types. Elle confirme que le fardeau du financement de l’assurance-maladie (en termes de pourcentage de la masse salariale) est nettement inférieur au Canada : de 33 p. 100 de moins pour un manufacturier automobile, et de 50 p. 100 de moins pour une entreprise d’informatique et de services d’affaires.

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Cela dit, l’assurance-maladie n’est pas le seul avantage social fourni par les employeurs, et le Conference Board note que d’autres avantages — en particulier les indemnités pour les accidents de travail — sont beaucoup plus coûteux au Canada. Si l’on additionne les coûts de tous les avantages sociaux, on constate que le Canada a considérablement perdu de son avance à ce chapitre depuis le tournant du millénaire (graphique 2). Au Canada, ce chiffre est passé de 16,6 p.100 en 2000 à 19,6 p.100 en 2007, alors que l’écart avec les États-Unis diminuaient de 4,2 points de pourcentage à 1,7 points de pourcentage.

Mais l’incidence réelle du système de soins de santé sur la décision d’établir des filiales au Canada se révèle bien moindre. Un sondage mené par Ashby Monk, professeur à l’Université Oxford, auprès de 41 entreprises américaines et canadiennes en 2007 (dont 6 manufacturiers) indique que ce facteur ne joue qu’un rôle secondaire dans la décision d’investir au Canada.

Que le Canada possède un avantage compétitif en matière de coûts de soins de santé pour les entreprises est une bonne chose, mais ce qui compte vraiment, c’est l’utilité de cet avantage en ce qui concerne sa capacité d’attirer et de garder les investisseurs étrangers.

Il est clair à cet égard que les gouvernements canadiens considèrent le système canadien comme un atout stratégique. Par exemple, les dépliants promotionnels d’Industrie Canada vantent « notre excellent système national de soins de santé qui assure une main-d’œuvre en santé et de sains profits, réduisant radicalement le coût des avantages sociaux ». En 2008, des publicités du gouvernement de l’Ontario dans The Economist et dans d’autres publications à travers le monde ont envoyé un message semblable.

Mais l’incidence réelle du système de soins de santé sur la décision d’établir des filiales au Canada se révèle bien moindre. Un sondage mené par Ashby Monk, professeur à l’Université Oxford, auprès de 41 entreprises américaines et canadiennes en 2007 (dont 6 manufacturiers) indique que ce facteur ne joue qu’un rôle secondaire dans la décision d’investir au Canada (une moyenne de 4 sur une échelle de 10, où 1 égale « pas du tout important » et 10, « extrêmement important »). Dans plusieurs secteurs (notamment ceux de l’automobile, de l’aéronautique et de l’informatique), d’autres facteurs sont cruciaux, en particulier les incitatifs offerts par les gouvernements et la qualité de la main-d’œuvre. D’une manière générale, aucune entreprise n’a mentionné le système de soins de santé comme étant un facteur déterminant.

Par contre, l’avantage compétitif du système canadien est mieux apprécié une fois que la décision de s’installer au Canada est prise. Plusieurs chefs d’entreprise dans le secteur automobile (là où les coûts de l’assurance maladie sont les plus élevés) ont ainsi noté que pour certains produits dont les coûts de main-d’œuvre sont importants, le système de santé joue un rôle dans leurs plans d’expansion. En d’autres mots, le système de soins de santé canadien n’attire pas les investissements étrangers, mais il aide à les garder au pays.

En somme, malgré ses défauts, le système canadien est plus efficace que celui des États-Unis en ce sens qu’il donne de meilleurs résultats à des coûts bien moindres. Par contre, l’augmentation de la compétitivité du Canada qui en découle est généralement inférieure aux attentes. Cet atout ne constitue donc pas une panacée pour les entreprises canadiennes. Mais, suivant la même logique, toute réduction du fardeau financier des entreprises américaines qu’entraînerait une réforme de leur système de santé aurait un effet tout aussi marginal sur leur compétitivité.

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Jeremy Leonard
Jeremy Leonard has been director of industry services at Oxford Economics, a global economic forecasting consultancy based in the UK, since 2012. He worked for 18 years in a variety of capacities for the IRPP (including director of its Economic Growth and Prosperity research program), and he was a regular contributor to Policy Options.

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