Les problé€mes écologiques se succé€dent, mais ne se ressemblent pas tous. On a appris aÌ€ mieux comprendre les problé€mes écologiques locaux et aÌ€ agir avec une certaine efficacité sur eux. La qualité de l’eau et de l’air s’est nettement améliorée au plan local ; les grandes villes sont, graÌ‚ce aÌ€ une révolution sanitaire, beaucoup plus salubres qu’il y a cent ans ; la couche d’ozone est en voie d’é‚tre restaurée graÌ‚ce aÌ€ des ententes internationales et des changements tech- nologiques. Cependant, d’autres problé€mes écologiques d’en- vergure, comme les changements climatiques et le déclin de la biodiversité, font naiÌ‚tre la controverse et l’entretiennent.
En démocratie et dans un monde social plus complexe et plus diversifié, les controverses publiques ne sont pas anormales et, quoique productrices de tensions sociales, elles sont aussi génératrices d’innovations et d’idées nou- velles. La pression exercée sur les entreprises pour réduire leurs impacts sur l’environnement a été aÌ€ l’origine de la montée des technologies dites vertes. Les demandes publiques pour un environnement de qualité ont donné naissance aÌ€ des lois et aÌ€ une réglementation environnemen- tale qui sont nouvelles par leur ampleur et leur étendue. L’environnement est devenu un champ d’activités publiques majeur et, dans les années aÌ€ venir, il est appelé aÌ€ prendre encore plus d’importance.
Le débat public mondial sur les changements climatiques a suivi une trajectoire un peu particulié€re. Contrairement aÌ€ d’autres problé€mes d’environnement, les changements climatiques ne frappent pas encore et appa- raissent pour plusieurs comme un produit de modé€les numériques bien imparfaits.
Le problé€me est venu aÌ€ la conscience des scientifiques au cours du XIXe sié€cle. Le mathématicien français Fourier émet, presque qu’au début de la Révolution industrielle, l’hypothé€se d’un réchauffement climatique causé par les rejets dans l’atmosphé€re de gaz issus de la production indus- trielle. D’autres vont explorer plus aÌ€ fond cette hypothé€se : de manié€re quelque peu irrégulié€re, des infor- mations vont affluer et le problé€me sera de mieux en mieux défini. On s’est aussi posé la question de savoir si le réchauf- fement climatique était une bonne affaire pour l’humanité. Certains, comme Arrhenius, l’ont pensé, du moins pour ce qui concerne les pays nordiques, qui verront, dans un climat plus chaud, les saisons de culture s’allonger.
Il faut toutefois attendre la période suivant la Seconde Guerre mondiale pour que l’hypothé€se du réchauffement clima- tique soit véritablement prise au sérieux et se confirme graduellement. Keeling publie, en 1960, un graphique significatif sur l’augmentation du gaz carbonique dans l’atmosphé€re qui apparaiÌ‚t aujour- d’hui comme le début de la mise aÌ€ l’ordre du jour politique et scientifique du pro- blé€me du réchauffement climatique, mal- gré toutes les réserves de méthode et de collecte de données que l’on peut faire.
Les années 1980 jusqu’aÌ€ la con- férence de Rio de Janeiro en 1992 témoignent d’une grande activité au plan de la recherche, mais surtout d’une prise de conscience politique et scientifique accrue du problé€me. D’abord, réservé aÌ€ quelques forums et cercles de scien- tifiques, auxquels participent souvent des décideurs et des conseillers politiques, le problé€me est étalé sur la place publique mondiale aÌ€ la conférence de Rio ouÌ€ est signée, malgré quelques réticences, une convention cadre. De fil en aiguille, par un cheminement plus tortueux que linéaire, on est amené aÌ€ la signature d’un protocole plus engageant en 1997 aÌ€ Kyoto et, aux conférences des parties qui ont suivi depuis, des modalités de mise en œuvre ont été explorées et proposées.
Comme beaucoup de problé€mes écologiques ”” et de problé€mes sociaux de manié€re plus générale ””, science et politique sont amenées aÌ€ interagir sur des enjeux aussi fonda- mentaux que le climat, la diversité biologique, l’état des océans, la déser- tification, la foré‚t. Les relations entre les deux sont parfois tendues, parfois plus sereines.
On peut élaborer une typologie des rapports entre science et politique voir le tableau 1). Cette typologie représente des modé€les purs ou abstraits : la réalité est plus complexe et les cas concrets se logent souvent aÌ€ l’intersection de deux, voire trois mo- dé€les. Pour qu’une décision politique puisse é‚tre prise, il faut un certain con- sensus ; pour que la science progresse et aide aÌ€ la prise de décision, il faut que les scientifiques aient réduit l’incerti- tude qui marque les avancées de la science. En combinant science et poli- tique selon la force ou la faiblesse soit du consensus ou de l’incertitude cognitive, on obtient quatre modé€les de rapports entre science et politique.
Le premier, le modé€le expert, place la science au poste de commande : la décision politique est fortement orien- tée par l’état des connaissances. De manié€re un peu idéalisée, la science et la politique du nucléaire s’approchent assez bien d’une telle conception. Le deuxié€me modé€le repose sur une situation ouÌ€ l’incertitude scien- tifique est faible et ouÌ€ le consensus politique est aussi faible. Ce qui se rapproche le mieux de ce modé€le, c’est la controverse sur le tabac. Une bonne partie de l’absence de consensus politique provient du battage publicitaire et des pressions des cigarettiers, alors que la science s’était fait une idée claire et consi- dérait le tabagisme comme une habitude dangereuse pour la santé humaine.
Le modé€le décisionnel place la science dans un certain rapport de dépendance face au politique (l’expression « science man- datée » a été proposée par Liona Salter). La réglementation des pro- duits aÌ€ risque s’approche de ce mo- dé€le dans lequel le consensus politique est généralement fort, car on ne veut pas courir de risque avec la santé publique, par exemple, mais dans lequel il peut y avoir beaucoup d’incertitude scientifique quant aux risques sanitaires et écologiques réels des produits et matié€res qu’il faut réglementer.
Enfin, le dernier modé€le, appelé co-constructiviste, met plus ou moins sur un mé‚me pied d’égalité science et politique puisque l’une comme l’autre doivent résoudre certaines difficultés ”” baÌ‚tir un consensus et réduire l’in- certitude ”” avant qu’une décision soit prise. Dans ce cas de figure, les deux mondes sociaux de la science et de la politique peuvent interagir étroite- ment, notamment pour élaborer une compréhension commune des pro- blé€mes et des solutions aÌ€ apporter. Plusieurs problé€mes écologiques appartiennent aÌ€ cette catégorie.
Le réchauffement climatique s’ap- proche d’assez pré€s d’un tel modé€le. Ceci ne veut pas dire que la science com- mande la décision ou que la politique dicte aÌ€ la science ce qu’elle doit faire et dire, mais un dialogue entre les deux, tel que peuvent le pratiquer le Groupe d’ex- perts intergouvernemental sur l’évolu- tion du climat (GIEC ou IPCC en anglais) et les organismes créés depuis la Convention cadre sur les changements climatiques, n’est pas, malgré les ten- sions entre les parties et les prérogatives, normes et pratiques propres au monde scientifique et au monde politique, une situation exceptionnelle.
Le problé€me, c’est la chose qui est laÌ€, extérieure aÌ€ soi et en partie hors du circuit de la logique sociale. La con- troverse, c’est le problé€me approprié par les acteurs sociaux (groupes so- ciaux et institutions, comme les gou- vernements, les industries, les groupes écologistes, les communautés scien- tifiques) et inséré dans une logique sociopolitique complexe.
Une controverse publique est définie comme un débat qui concerne une diversité de groupes, d’institu- tions, d’acteurs sociaux sur un sujet d’intéré‚t public dont le but est de définir, ou de redéfinir, et de mettre en œuvre des pratiques (normes, poli- tiques, ré€gles, mesures, institutions) acceptables pour une majorité de par- ticipants. Une controverse est dite sociotechnique, comme c’est le cas de controverses socio-écologiques, tel le débat sur les changements climatiques, quand la discussion utilise abondam- ment des informations scientifiques.
La frontié€re entre le problé€me, l’objet extérieur, et la controverse, les rapports entre acteurs et participants au sujet de savoir quelle est la nature du problé€me et comment réagir face aÌ€ lui, n’est pas toujours tré€s nette et est sou- vent poreuse. D’une part, les problé€mes écologiques sont la plupart du temps le résultat des activités humaines (on peut éliminer les changements écologiques causés par des forces naturelles sur lesquelles on n’a aucun controÌ‚le, comme les typhons, tsunamis, ouragans, explosions de volcan et tremblements de terre, quoique les effets écologiques de ces forces peu- vent é‚tre amplifiés par les décisions humaines, notamment par les poli- tiques d’aménagement et les usages des territoires). En matié€re de politique de l’environnement, les problé€mes ne sont pas produits par la nature elle- mé‚me, mais sont sa réaction aÌ€ la suite d’actions exercées sur elle par les é‚tres humains. D’autre part, tout problé€me est aÌ€ la recherche de solution. Or, les solutions sont rarement décidées sans controverse, car adopter une solution peut conduire aÌ€ changer la répartition des ressources économiques et sociales entre les acteurs et les institutions. Le débat sur les solutions s’étend parfois aussi sur la nature, l’ampleur et les effets des problé€mes. Acteurs et décideurs sont donc aux prises avec des problé€mes qui sont, comme disent les sociologues, interprétés et cadrés en fonction de variables normatives, poli- tiques et éthiques.
En ce qui concerne la controverse sur les changements climatiques, on peut distinguer cinq grands blocs d’ac- teurs sociaux. En premier lieu, il y a les communautés scientifiques aÌ€ qui revient le privilé€ge d’avoir découvert et exposé publiquement le problé€me. Elles sont nombreuses et profondément dif- férenciées entre elles, comme le montre l’organisation en trois grands groupes d’expertise des rapports du GIEC.
De manié€re schématique, on peut distinguer la communauté qui appro- fondit la science du climat, celle qui examine les effets terrestres et marins des changements climatiques, le réchauffement en l’occurrence, et la communauté de spécialistes qui, provenant des sciences sociales ou d’autres disciplines connexes, réfléchit sur la science et l’art de décider dans un contexte mondial tré€s diversifié par intéré‚ts, par niveaux de développement, par degré de conscience des prob- lé€mes et devant des incer- titudes persistantes attachées aÌ€ la recherche sur l’évolution du climat et ses effets.
Dans un monde idéal, ces trois groupes interagiraient graÌ‚ce aÌ€ la compétence d’acteurs intermédiaires, formant une communauté épistémique écologique, selon l’expression de Peter Haas, pour produire une compréhension commune des problé€mes, des enjeux et des risques et pour élaborer et proposer des pistes de solution. Or, il n’en est pas toujours ainsi. Les tensions entre la communauté scientifique et la communauté politique se sont, en matié€re de politique du cli- mat, manifestées assez toÌ‚t. Comme le rapportent plusieurs études sur le sujet, les scientifiques ont cherché aÌ€ préserver leur autonomie cognitive, tandis que les politiques tentaient de prendre leurs dis- tances face aÌ€ la science, de peur qu’elle ne vienne leur dicter quoi faire.
Il reste que sur les changements climatiques, une cohabitation paci- fique, toujours aÌ€ refaire, s’est dévelop- pée, différents organismes étant responsables de différents mandats. Des interactions entre science et poli- tique se produisent, mais souvent elles sont médiatisées par des acteurs parti- culiers (leaders scientifiques, diplo- mates) ou au cours d’événements particuliers, comme les conférences des parties. On a craint pour l’indépen- dance de la connaissance, mais la science a réussi aÌ€ maintenir ses dis- tances, mé‚me si les affirmations pru- dentes du second rapport du GIEC, concluant que le réchauffement était probablement commencé et qu’il était probablement duÌ‚ aÌ€ des facteurs humains, ont été l’objet d’un débat politique et scientifique tré€s animé.
La controverse sur les changements climatiques a mis aux prises le savant et le politique, pour utiliser les expressions de Max Weber. Mais elle a aussi fait naiÌ‚tre des tensions entre les organisations non gouvernementales environnementales (ONGE) et les EÌtats et, aÌ€ une échelle nationale et régionale, comme au Canada, entre les EÌtats et certains industriels. Les ONGE ont été tré€s visibles et tré€s actives aÌ€ la con- férence de Rio. Elles ont exercé des pressions normatives et morales en faveur de la signature d’une conven- tion cadre. De mé‚me, aÌ€ la conférence de Kyoto, elles ont joué un roÌ‚le de sur- veillance des « intéré‚ts » de l’environ- nement pour le compte des générations futures.
On peut certes é‚tre critique aÌ€ l’égard des ONGE, qui s’enveloppent souvent dans un discours moraliste et alarmiste pour faire valoir leurs con- ceptions et leurs solutions, mais force est de constater qu’elles représentent, en adoptant un horizon temporel plus long, une certaine idée de la place des humains dans la nature sur laquelle il importe de réfléchir. De plus, elles se sont nourries aux discours et valeurs d’une culture mondiale commune, assignant aÌ€ tous, mais aÌ€ des degrés divers, des responsabilités environ- nementales et exigeant un partage plus juste des ressources de l’habitat com- mun planétaire.
Enfin, on ne saurait passer sous silence le roÌ‚le des organisations inter- nationales, comme le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), qui ont eu une influence con- sidérable sur la mise aÌ€ l’ordre du jour de la communauté internationale des problé€mes de l’environnement mon- dial et qui continuent, graÌ‚ce aÌ€ leur expertise, de sensibiliser, par des publi- cations et des conférences, l’opinion mondiale sur l’urgence d’agir en matié€re d’environnement planétaire.
Les citoyens/consommateurs ont souvent été les parents pauvres ou les grands absents de cette vaste controverse socio-environnementale. Les sondages d’opinion publique montrent que, parmi les problé€mes d’environnement, les changements climatiques n’occupent pas le sommet des préoccupations. Malgré des dispositions publiques favo- rables aÌ€ l’action au plan de l’environ- nement, d’autres questions préoccupent parfois davantage les citoyens, comme la santé et l’emploi. De plus, la qualité de l’eau et de l’air inquié€te plus que les problé€mes écologiques globaux. Les problé€mes de qualité de l’eau et de l’air sont directement perceptibles ; les effets des changements climatiques, si évidem- ment ils se produisent, ne se voient pas directement et ne se manifesteront qu’aÌ€ plus long terme. Bien que les gens ne soient pas du tout insensibles aux condi- tions environnementales dans lesquelles leurs enfants et leurs petits-enfants vivront, la distance temporelle et l’incer- titude scientifique créent une apathie relative. On ne sent pas toujours, de la part du public, une urgence aÌ€ agir sur le front du climat, ce qui peut aider les politiques aux prises avec des décisions difficiles aÌ€ prendre dont les effets pour- raient é‚tre, comme au Canada, tré€s dif- férenciés sur les régions, les industries et les consommateurs.
Agir, c’est choisir ; choisir, c’est opter pour une stratégie et non pour une autre. De plus, comme choisir repose sur un équilibre et un jeu subtil entre nécessité et liberté, entre volonté et contrainte, il faut s’interroger sur les fondements éthiques (ou axiologiques) des décisions.
Quelles sont les options ouvertes aÌ€ la décision pour faire face aux changements climatiques? Trois grandes stratégies ont été envisagées. La premié€re conseille de ne rien faire, car la réalité des changements clima- tiques est trop incertaine. La deux- ié€me prend le point de vue contraire : on en connaiÌ‚t suffisam- ment pour agir. La science décrit un horizon climatique dans l’ensemble plus chaud dont les répercussions sur les écosysté€mes et les modes de vie humains risquent d’é‚tre considérables et dommageables. Devant cela, il faut agir avec urgence et réduire radicale- ment les émissions de gaz aÌ€ effet de serre. C’est la stratégie de prévention, appelée aussi d’atténuation.
Pour les tenants de la troisié€me option, la stratégie de prévention est un peu suicidaire si elle est poussée trop loin, du moins pour les générations présentes et, de plus, il n’est pas certain que l’on puisse empé‚cher le réchauffement clima- tique de se produire. Comme le développement et le niveau de vie dépen- dent pour une large part de l’énergie que l’on utilise, prévenir et rétablir les con- centrations de gaz aÌ€ effet de serre aÌ€ un niveau proche de la période préindustrielle, non seule- ment relé€veraient de l’impos- sible, mais ce serait, plus de 30 ans apré€s, cautionner la politique de Halte aÌ€ la crois- sance, ché€re au Club de Rome. En outre, poursuivre sur la lancée du développe- ment, c’est non seulement créer plus de richesses, de confort, de bien-é‚tre et de mieux-é‚tre, mais c’est peut- é‚tre davantage créer plus de « capital » et des ressources pour affronter les changements climatiques, s’ils se pro- duisent et quand ils se produiront.
Cet argument, optimiste sur le pro- gré€s économique, social et technique, repose en bonne partie sur une concep- tion utilitariste et « présentiste », mais n’exclut pas du tout un souci de fournir aux générations futures une richesse et une variété de moyens pour faire face aux problé€mes d’environnement qui seront les leurs, soit aÌ€ la suite de legs des générations passées, ou aÌ€ la suite des répercussions de leurs propres choix de vie.
On peut insérer ces options dans un espace socioéthique aÌ€ quatre possi- bilités. Les positions éthiques peuvent, en suivant les travaux des philosophes Hurka et Coward, é‚tre distinguées selon deux va- riables, chacune ayant deux valeurs (tableau 2). Autrement dit, la controverse sur les changements climatiques conduit aÌ€ poser deux questions éthiques fonda- mentales ; quelle est la place des humains dans la nature : sont-ils des é‚tres aÌ€ part, ou bien sont-ils insérés, aÌ€ part égale, dans la biosphé€re? Si on considé€re les humains comme des é‚tres aÌ€ part, on adhé€re aÌ€ une position éthique dite anthropocentrique, Si, aÌ€ l’opposé, les é‚tres humains se conçoivent comme une espé€ce parmi les autres espé€ces, on adopte un point de vue bio ou écocentrique.
La deuxié€me question éthique con- cerne la manié€re dont on valorise le temps, plus précisément les générations présentes par rapport aux générations futures. En accentuant le contraste entre les catégories d’analyse pour les fins de l’exposé, privilégier le présent ou les générations présentes et se considérer comme des é‚tres aÌ€ part dans la biosphé€re, c’est choisir une position éthique anthro- pocentrique intragénérationnelle. Dans ce cas, la stratégie d’adaptation est toute désignée face aux changements clima- tiques. La position complé€tement inverse de celle-ci est définie par une valorisation plus importante du futur et des généra- tions futures et une conception qui place les é‚tres humains non pas aÌ€ part, mais parmi les autres espé€ces vivantes. De ce point de vue, la prévention « dure », pour la distinguer d’une prévention « douce », qui caractérise les stratégies des deux positions éthiques restantes, serait le choix le plus logique.
Entre ces deux extré‚mes, deux autres représentations socioéthiques se dessinent ; elles optent, en ce qui con- cerne l’action en matié€re de change- ments climatiques, pour une stratégie entre l’adaptation et la prévention douce. Dans ces deux cas, il s’agit d’a- gir, dé€s maintenant mais prudemment, pour réduire les causes et les effets des changements climatiques soit par souci de ne pas faire porter un fardeau trop lourd aux générations futures, soit par souci de ménager la biosphé€re que l’on conçoit évidemment comme fragile, sans pour autant surtaxer les généra- tions présentes.
Le protocole de Kyoto, comme le plan canadien dans le Projet vert, a choisi une position qui repose aÌ€ la fois sur l’adaptation et sur la prévention douce (atténuation) : réduire les gaz aÌ€ effet de serre dé€s maintenant, mais sans deman- der des sacrifices irréalistes aux généra- tions présentes. Il reste toutefois que les autres positions ont été défendues dans la controverse, mais elles recueillent, pour l’instant, peu de fidé€les.
La controverse socio-écologique sur les changements climatiques a con- duit les acteurs et les participants aÌ€ s’interroger sur cinq grandes questions. En premier lieu, sur nos rapports avec la science et la connaissance. La contro- verse a mis en évidence trois positions aÌ€ l’égard de la connaissance et de ses applications. La premié€re réaction fait preuve d’humilité cognitive : les incer- titudes quant aÌ€ l’évolution du climat sont nombreuses et parfois fondamen- tales. Sera-t-il possible un jour de les lever toutes? Ceci conduit plusieurs aÌ€ plaider en faveur de la prudence et de l’application d’un principe de précau- tion, défini comme l’obligation morale d’agir, mé‚me en l’absence de preuves définitives, si on a de bonnes raisons de croire que de graves et irréversibles dommages peuvent é‚tre causés aÌ€ l’envi- ronnement et aux générations futures. La deuxié€me fait appel aÌ€ plus de con- naissances et de science pour décider rationnellement de la marche aÌ€ suivre. Dans une sorte de scientisme renouvelé, on espé€re un jour obtenir des preuves irréfutables qui vont commander aux esprits une adhésion sans condition. La troisié€me réaction est un peu dans la mé‚me foulée, mais s’en distingue quelque peu. Il s’agit dé€s maintenant d’apprendre aÌ€ mieux gérer notre rap- port global aÌ€ la Terre dans ce que cer- tains nomment l’ingénierie et la gestion du Systé€me-Terre. Hyper-rationalité technologique ou « hubris-rationalité », seul l’avenir le dira…
En deuxié€me lieu, la controverse sur les changements climatiques conduit aÌ€ s’interroger sur les rapports des humains entre eux, surtout aÌ€ l’échelle planétaire. Depuis la bombe atomique et la course aux armes nucléaires, on est devenu sen- sible aux conflits entre nations et entre humains qui risquent d’avoir, s’ils écla- tent, de graves et irréversibles con- séquences sur la biosphé€re (l’hiver nucléaire, par exemple). Dans le cadre des négociations pour réduire les émis- sions de gaz aÌ€ effet de serre, les nations, comme les régions, se sont retrouvées devant une situation commune. Elles doivent partager les responsabilités, les torts comme les bénéfices. Le fait que, dans la convention de Rio et dans le pro- tocole de Kyoto, des pays en plein essor économique, comme la Chine, l’Inde et le Brésil, qui seront bientoÌ‚t parmi les plus grands émetteurs de gaz aÌ€ effet de serre, soient exclus du partage des efforts, a soulevé de vives réactions. La répartition des droits et des devoirs ne satisfait pas tous les participants et donne l’impression que certains en prof- itent induÌ‚ment.
En troisié€me lieu, la controverse a mis aÌ€ l’ordre du jour et sur la scé€ne publique mondiale la responsabilité intergénérationnelle. Les changements climatiques ne sont pas le seul enjeu aÌ€ le faire, mais ils posent la question avec beaucoup d’acuité et de pertinence.
En quatrié€me lieu, la controverse a mis en lumié€re le rapport que les humains doivent entretenir avec les autres espé€ces biologiques. Le problé€me du déclin de la biodiversité le fait aussi ; les deux pro- blé€mes forcent la réflexion sur le maintien de la ligne de partage et de démarcation que la modernité avait opéré entre les humains et le reste de la vie.
Finalement et de manié€re plus générale, la controverse sur les change- ments climatiques force aÌ€ réfléchir sur le rapport humain aÌ€ la nature. La science de l’évolution du climat et de ses effets sur les écosysté€mes a mis en évidence, chose que nous savions déjaÌ€, mais qu’il n’est pas inutile de rappeler, la puissance humaine aÌ€ transformer la plané€te Terre. Mé‚me si certains auteurs croient que les changements climatiques d’origine anthropique ont débuté avec la décou- verte et l’utilisation du feu par l’espé€ce humaine et qu’ils se sont accrus avec l’a- griculture et la sédentarisation, qui ont fait reculer la foré‚t, bruÌ‚lée ou abattue, en modifiant notamment le cycle du car- bone, l’impact des activités humaines contemporaines sur la nature n’a rien de comparable avec ce qui s’est produit dans le passé.