Au Québec, l’écart entre les taux de participation aux élections fédérales ou provinciales, d’une part, et aux élections municipales, d’autre part, est assez frappant. Quelles raisons peuvent expliquer ce désintéressement de la politique municipale ? Et en partant de l’expérience récente, peut-on dégager des pistes de solutions ?

Le 7 novembre 2021, tous les citoyens et citoyennes de plus de 18 ans domiciliés dans leur municipalité depuis au moins 6 mois étaient appelés aux urnes pour élire maires et conseillers municipaux. Le scrutin s’est déroulé sur une période de quatre jours, incluant le vote par anticipation, et, pour la première fois, il était même possible de voter par la poste.

Dans les faits, aucun vote n’a été nécessaire — ni même possible — pour le poste de maire dans 541 des 1 102 municipalités du Québec, puisqu’il n’y avait qu’un seul candidat, élu par acclamation. Il s’agit d’une légère augmentation (+7) par rapport aux élections de 2017. Dans la même période, on a aussi observé une baisse générale du taux de participation, qui est passé de 44,8 % en 2017 à 38,7 % en 2021. La ville de Montréal, elle, a vu son taux baisser de 42,5 % en 2017 à 38,3 % en novembre dernier.

En général, au Québec, le taux de participation dans les grandes villes (plus de 100 000 habitants) a suivi la même tendance qu’à Montréal. Parmi les 10 plus grandes villes, seules Sherbrooke et Trois-Rivières ont connu une hausse de 2017 à 2021.

Un phénomène qui n’est pas exclusif au Québec

Le Québec n’est pas la seule province à voir la participation baisser lors des élections municipales. En 2018, la participation au vote municipal n’a été que de 39,4 % à Vancouver, et de 41 % à Toronto.

Des facteurs spécifiques ont probablement joué un rôle, comme le calendrier des élections locales — au Canada, l’élection fédérale avait eu lieu un mois plus tôt — ainsi que le fait que la campagne ait été affectée par la pandémie. Néanmoins, il y a clairement une évolution plus large en cours.

Le même phénomène est d’ailleurs présent hors du Canada. En France, seulement un tiers des électeurs potentiels ont voté lors du premier tour des élections régionales et départementales de juin 2021. Il s’agissait de la participation la plus faible depuis l’aube de la Cinquième République, en 1958.

Qui vote, qui ne vote pas, et pourquoi ?

Après les élections de 2017, le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) a commandé une étude pour mieux déterminer les facteurs qui influencent le taux de participation aux élections municipales. Le rapport, publié au début de 2021, a fait plusieurs constats intéressants, mais a souligné le manque de recherche sur les élections locales et l’importance d’approfondir certaines pistes.

Par exemple, selon l’enquête, au Québec, les anglophones de naissance, suivi des allophones, participent davantage aux élections municipales que les francophones. (Les échantillons de ces deux premiers groupes étaient cependant très petits, et les non-francophones sont concentrés dans la région métropolitaine de Montréal.) Par ailleurs, détenir un diplôme universitaire influence positivement la participation aux scrutins locaux, tandis que les femmes ont tendance à moins voter au municipal que les hommes.

Sans changements significatifs, on peut imaginer le jour où les municipalités avec un taux de participation très faible et des candidats élus par acclamation à répétition ne seront plus dirigées par des personnes élues, mais plutôt par des personnes choisies. Cela pourrait ressembler à ce que le gouvernement actuel du Québec a fait en 2020 : constatant le très faible taux de participation aux élections scolaires, il a remplacé les commissions scolaires francophones par des centres de service, sans opposition significative (les commissions scolaires anglophones ont été épargnées grâce à leur protection constitutionnelle, mais les taux de participation y suivent la tendance générale).

Des approches conventionnelles et une solution radicale

Bien sûr, les élections scolaires auraient pu être sauvées si elles avaient coïncidé avec les élections municipales, comme c’est le cas dans d’autres provinces. La même logique pourrait d’ailleurs s’appliquer entre les niveaux local et provincial. Avant d’envisager cette option, considérons des approches plus conventionnelles.

Accorder le droit de vote dès 16 ans

Si le droit de vote à 16 ans peut se défendre, ce n’est pas parce qu’il augmente le taux de participation générale. Les jeunes de 16 à 18 ans votent peut-être plus que les 18 à 20 ans, mais moins que la moyenne du groupe des 18 à 75 ans.

Le vote par correspondance

Le vote par correspondance est solidement établi en Allemagne depuis 1957, et le taux de participation est relativement élevé sur le plan régional, mais cela a plus à voir avec les compétences exercées à ce niveau qu’avec la disponibilité du vote par ce moyen.

Le vote par Internet

La ministre des Affaires municipales et de l’Habitation a confié au DGEQ le mandat d’examiner la possibilité d’autoriser le vote par Internet, dans l’espoir d’encourager le vote des jeunes. Mais si l’on se base sur les expériences menées ailleurs, rien ne prouve qu’il attire une part importante des nombreux jeunes non votants.

Le rôle des partis politiques

À l’échelle locale, des partis politiques sont présents dans des grandes villes comme Montréal, Québec, Laval et Longueuil, mais ce n’est pas la norme et ils ont tendance à avoir une courte durée de vie, contrairement aux endroits, comme le Royaume-Uni, où des partis opérant à un niveau supérieur sont également actifs en politique municipale.

L’implication des partis nationaux au niveau municipal n’est pas nécessairement garante d’un taux de participation plus élevé. Au Royaume-Uni, compte tenu du peu de pouvoir et du manque d’attention accordés aux gouvernements locaux, le taux de participation aux élections locales de 2018 n’a été que de 34,7 %.

Les compétences des pouvoirs locaux

La participation électorale serait-elle plus élevée ici si les élus municipaux avaient davantage leur mot à dire sur les questions qui comptent le plus pour leur électorat, entre autres en déléguant certaines compétences — et leur financement — de la province, ou même du fédéral, vers les villes ? Lors de la campagne montréalaise, par exemple, les enjeux de logement et de sécurité ont souvent été à l’avant-plan. Mais les solutions proposées signalaient que l’administration municipale était dépendante de la collaboration des gouvernements provincial et fédéral.

Le vote proportionnel

La participation des partis nationaux dans les campagnes municipales au Royaume-Uni se fait même si, comme au Canada et aux États-Unis, on y trouve un mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour. Aux États-Unis, le bilan est mitigé en ce qui concerne l’engagement des partis nationaux, et le taux de participation au niveau local lors d’élections contestées est d’environ 20 %.

Hors du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni, la plupart des démocraties libérales utilisent une forme de représentation proportionnelle, dont l’un des effets est d’inciter les partis nationaux à présenter des candidats aux élections locales. Un parti peut ainsi s’attendre à élire une proportion comparable de membres au conseil municipal et aux assemblées régionales et nationales d’une localité donnée.

Si le Québec adoptait une forme de représentation proportionnelle, idée que le gouvernement de la CAQ a abandonnée, cela pourrait encourager les municipalités à suivre l’exemple, et ainsi inciter les partis provinciaux ou nationaux à se présenter au niveau local.

Une solution radicale : tous les votes le même jour

En Suède, on vote le même jour pour les députés du Parlement et les représentants des conseils locaux et régionaux. Cette façon de faire garantit un taux de participation élevé aux niveaux local et régional. En appliquant la même logique ici, les Québécois pourraient élire leurs députés à l’Assemblée nationale, leurs maires et leurs conseillers municipaux le même jour.

Les questions locales risquent d’être minimisées lors de campagnes se déroulant simultanément à plusieurs échelons, qui transposent des divisions partisanes nationales au niveau local. Considérons ce qui se passe aux États-Unis, où des élections se déroulent à plusieurs niveaux le même jour.

Au cours des quatre dernières décennies, la politique américaine est devenue bien plus polarisée. Cette polarisation rend probable que les électeurs évaluent les personnes qui se présentent aux niveaux local et régional en fonction de leur appartenance partisane nationale. Et si les candidats pensent que c’est ainsi qu’ils sont évalués de toute façon, pourquoi se soucier d’ennuyeuses questions locales ?

Le choix pourrait donc se résumer à une baisse de la participation aux élections municipales disputées sur des questions locales, ou à une augmentation de la participation à des élections où les préférences sont d’abord exprimées en fonction des partis nationaux ou provinciaux.

Le vote obligatoire

Il est peut-être temps d’envisager le vote obligatoire, comme la « moins pire » des solutions. En Australie et en Belgique, la loi étend le vote obligatoire aux élections locales également mais, admettons-le, cela est difficile à faire accepter par la population. La Belgique mettra d’ailleurs fin à cette pratique lors des élections locales de 2024.

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Henry Milner
Henry Milner is research fellow at the Chair in Electoral Studies, Université de Montréal. In 2004-05 he held the Chair in Canadian Studies at the Sorbonne and in 2005-06 was Canada-US Fulbright Chair at SUNY (Plattsburgh). He has been a visiting professor or researcher at universities in Finland, Australia, New Zealand and Sweden. Milner is co-publisher of Inroads. He has just published his autobiography, Participant/Observer. 
Anne Michèle Meggs
Anne Michèle Meggs is a former director of planning and accountability at the Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, and former director of research and evaluation at l’Office québécois de la langue française. Before joining the Quebec government, she worked in the fields of constitutional and linguistic affairs for the Canadian and Ontario public service. 

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