Je vous vois aller. Toujours à la course, comme tous les journalistes avant vous. Mais pressés comme des citrons pour alimenter la presse de textes, photos, vidéos, tweets — dépêches urgentes après dépêches urgentes. Je ne vous envie pas.

En démocratie, il revient aux médias de donner aux citoyens les outils pour comprendre les actions de leurs gouvernements et pour faire des choix aussi éclairés que possibles. Encore faut-il que les journalistes comme vous travaillent dans des conditions qui leur permettent de le faire.

Ne pas perdre de vue l’essentiel et l’intérêt public n’est pas toujours aisé quand la politique spectacle prend le dessus et que les ressources s’amenuisent.

La couverture parlementaire canadienne a beaucoup changé depuis mon arrivée sur la Colline parlementaire en septembre 1985. Il serait facile de tomber dans la nostalgie et d’invoquer le bon vieux temps où le rythme de travail permettait de réfléchir, de lire, d’approfondir ses dossiers.

Ce serait faire fi de progrès bien réels. Le « old boys club » a cédé le pas à une communauté journalistique plus diversifiée. Les femmes sont beaucoup plus nombreuses. Des journalistes de diverses origines ont joint les rangs. La conciliation travail-famille a fait des progrès. Les soirées bien arrosées pour entretenir ses contacts ne sont plus une obligation pour réussir. Trop de jeunes hommes et femmes refusent de négliger leurs responsabilités parentales ou de sacrifier tout au travail pour que cette ancienne tradition perdure. Et c’est une bonne chose.

Les conditions de travail ne sont cependant pas très roses. La Colline parlementaire a vu disparaître la presque totalité des bureaux appartenant à des médias régionaux. Et ça continue avec le départ tout frais de Peter O’Neil du Vancouver Sun et de l’équipe du Ottawa Citizen. Parmi les médias régionaux anglophones, il ne reste plus que le Halifax Chronicle Herald et le Winnipeg Free Press. Un seul média en ligne avec des racines régionales s’est ajouté, The Tyee. Du côté francophone, Le Soleil a fermé son bureau il y a quelques années. Les départs et mises à pied à Postmedia ajoutent à l’inquiétude.

Des médias en ligne, comme le Huffington Post, Rabble et iPolitics, ont joint la Tribune de la presse parlementaire, mais leurs perspectives sont nationales. Par conséquent, malgré l’arrivée de nouveaux médias, beaucoup de citoyens ont perdu ce regard sur la politique fédérale qui avait une pertinence particulière pour leur région. La plupart des grands enjeux fédéraux ont pourtant des retombées différentes dans chacune des provinces.

Pendant ce temps, le cycle continu de nouvelles et la frénésie des réseaux sociaux imposent une intense pression sur les journalistes parlementaires assignés à la nouvelle quotidienne. Les patrons en sont les premiers responsables, eux qui demandent toujours plus, alors que les salles de nouvelles, y compris les bureaux parlementaires, rétrécissent. Il y a maintenant moins de journalistes sur la Colline qu’il n’y en avait au début des années 1990. L’éventail de sujets à couvrir n’a pas pour autant diminué.

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Faire son travail dans ces conditions, alors qu’il faut cumuler les « beats » et subir un bombardement toujours plus rapide de nouvelles, n’est pas évident. On pourrait céder au découragement quand, en plus, il faut affronter les fausses nouvelles et sentir les effluves de la morosité de nos collègues américains confrontés à cette véritable guerre à la presse lancée par le président américain Donald Trump.

Ce triste développement a toutefois un effet salutaire. Les médias sont sous le choc, des citoyens aussi. Cela force les uns et les autres à se remettre en question. Pour la presse parlementaire, il faut espérer que cela fasse réaliser aux médias l’importance de vous donner, chers collègues, le temps nécessaire non pas pour vous démener sur Twitter quand ce n’est pas utile mais pour lire plus que les communiqués ou les sommaires de rapports, de jugements ou de projets de loi qu’on vous demande de couvrir, pour ne citer que cela.

Du temps aussi pour vous permettre de développer une solide expertise au contact d’experts, d’intervenants, de fonctionnaires, une expertise essentielle pour pouvoir résister au « spin » et débusquer les mensonges dans le feu de l’action. Pour jouer avec confiance le rôle qui est le vôtre.

Cet article fait partie du dossier L’avenir du journalisme canadien.

Photo : Reporters de la Tribune de la presse parlementaire au foyer des Communes/Fred Chartrand


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Manon Cornellier
Manon Cornellier est éditorialiste au journal Le Devoir. Elle a été chroniqueuse politique et auparavant correspondante parlementaire au même quotidien. En 2007, elle a remporté le Prix Judith-Jasmin dans la catégorie Opinion. Elle est aussi l’auteure d’un ouvrage sur la naissance du Bloc québécois.

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