Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) annonce une augmentation de 2,7 °C d’ici 2100. Déjà, Environnement et Changements climatiques Canada rapportait que le Canada se réchauffera deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale.
Les changements climatiques font partie de l’actualité depuis plus de 20 ans. Les images de feux dévastateurs, de sécheresses et d’inondations se fraient un chemin dans nos nouvelles quotidiennes. Les scientifiques n’hésitent plus à parler de la « catastrophe » ou du « cataclysme » qui guette la prochaine génération. Pourtant, le sentiment d’urgence ne semble pas être partagé par la majorité des gens.
Plusieurs signaux pointent néanmoins vers une prise de conscience prochaine. Les jeunes de 18 à 29 ans affirment souffrir d’écoanxiété et considèrent qu’ils n’en font pas assez pour éviter la dégradation annoncée. Tout dernièrement, à l’occasion des élections municipales au Québec, des observateurs ont noté l’arrivée d’une nouvelle cohorte de dirigeants, plus jeunes et plus verts.
À moins de 30 ans de la carboneutralité annoncée, quelles seront les mesures concrètes ? Et peut-on encore attendre pour remettre en question notre aménagement urbain, nos besoins de mobilité et notre gouvernance ?
L’aménagement urbain
Nous organisons nos quartiers par un système de zonage exclusif, résidentiel, commercial, industriel, qui nous oblige trop souvent à utiliser l’automobile pour magasiner, mener les enfants à l’école, à la clinique, à l’aréna, et pour travailler.
Pour réduire les émissions de GES associées au transport, il faut organiser les villes et les quartiers selon un zonage multifonctionnel. Cette notion est à la base du concept de la « ville du quart d’heure » présenté par le scientifique franco-colombien Carlos Moreno lors de la COP 21 à Paris.
L’idée de quartiers dotés de nombreux services de proximité, à courte distance de marche ou de vélo, constitue un modèle de densification attractif, qui permettrait à la fois de gagner du temps, de réduire les besoins de déplacements et de contrer l’étalement urbain. Il implique de prévoir, outre les voies piétonnes et cyclables, des espaces verts et des parcs, les services nécessaires en matière d’école, de santé et de commerce.
Ce travail implique de nouvelles sources de revenus au palier municipal et une meilleure coordination intergouvernementale puisque l’aménagement urbain est du ressort des villes, alors que les infrastrucures de transports, l’éducation et la santé relèvent des provinces. Les gouvernements provinciaux, avec l’aide du gouvernement fédéral, seront appelés à financer cette planification urbaine réinventée, notamment en matière d’aménagement urbain, d’habitation inclusive, de requalification foncière et de transport durable.
L’alternative à l’automobile
Repenser les quartiers pour réduire les déplacements ne suffit pas. Il faudra également offrir une alternative à l’automobile au plus grand nombre de citoyens. La plupart des gens sont prêts à choisir le transport collectif pour peu qu’il offre plus d’avantages que leur voiture sur le plan de la rapidité, du confort, de la fréquence et des coûts.
La réalisation du REM 1.0, le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal, mais aussi d’autres projets comme le REM 2.0, les tramways de Lachine, Québec et Gatineau et celui d’une desserte élargie sur la rive sud de Montréal dans l’axe du boulevard Taschereau, ouvrent de belles perspectives. Cependant, l’appel récent du gouvernement du Québec envers l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) de « prioriser les priorités » illustre bien les moyens limités.
Mais il est clair que les cibles de réduction des GES imposent aussi de nouvelles priorités aux décideurs publics – dont celle de réduire la part de la voirie dans leur budget pour augmenter celle des transports collectifs.
Elle impose certainement une meilleure collaboration entre les paliers de gouvernements, notamment pour le financement et la planification des mesures. Impliquer la Caisse de dépôt et placement du Québec dans le transport collectif est une bonne idée, mais pas au détriment d’une planification régionale dont l’ARTM devrait avoir la maîtrise d’œuvre afin d’assurer la cohérence des projets avec les orientations dans l’aménagement du territoire – ce qui n’est pas le cas actuellement.
Revoir la gouvernance
En 20 ans, le vocabulaire a beaucoup évolué : nous sommes passés des « changements climatiques » à la « crise climatique », puis à « l’urgence climatique ». Les mesures concrètes devront suivre. Et il ne sera plus question d’agir pour « maintenir son style de vie », mais de le changer.
La situation pose un défi de gouvernance particulier dans le contexte du système fédéral canadien. En effet, alors que c’est le gouvernement fédéral qui établit les grandes cibles de réduction des GES lors des conférences internationales, ce sont les provinces qui déterminent leurs priorités d’action. Mais pour assurer la transition, ces deux paliers devront appuyer résolument les villes, puisque c’est là que se joueront les enjeux les plus immédiats de proximité et de mobilité.
Afin d’assurer un meilleur aménagement des milieux de vie, incluant le transport et l’habitation sociale, il faudra adopter un programme de transferts financiers au profit des villes et concevoir une fiscalité cohérente qui encouragera les bons comportements et évitera les effets contreproductifs de l’impôt foncier.
Face aux défis climatiques, aucun palier de gouvernement ne pourra assumer ses pouvoirs en vase clos : les interrelations sont trop nombreuses. La tâche à entreprendre demande une collaboration qui ne s’accomodera pas des jalousies juridictionnelles. Certes, l’aménagement urbain relève des villes, mais elles n’ont pas les leviers fiscaux et financiers pour transformer une trame « tout à l’auto ». Les municipalités relèvent de la compétence provinciale, mais là aussi les ressources financières sont limitées. Dans le respect de la responsabilité provinciale, le gouvernement fédéral devra consentir un effort conséquent pour supporter des initiatives locales loin de son contrôle.
Pour éviter les querelles constitutionnelles, les provinces pourraient demander à leur Conseil de la fédération d’inviter le gouvernement fédéral et les acteurs municipaux pour une conférence sur la contribution des villes à la lutte aux changements climatiques.
S’il y a bien une leçon à tirer de la crise sanitaire, qui nous a frappés si soudainement, c’est justement d’avoir vu les gouvernements collaborer et les citoyens adhérer aux nouvelles règles du jeu. Pour limiter les dégâts climatiques, nous serions bien avisés d’utiliser la même démarche pédagogique pour convenir, ensemble, de la menace et adhérer collectivement aux mesures nécessaires. Nos premiers ministres et les scientifiques seraient pleinement justifiés d’entretenir une communication publique avec la population sur une base régulière. Cette façon de faire remettrait-elle en question certains engagements politiques ? Bien sûr, justement.
C’est seulement par une discussion large sur les menaces, les défis et les moyens d’action que les autorités politiques et scientifiques gagneront la légitimité et la volonté nécessaires pour tracer le chemin de la transformation et assurer la nécessaire mobilisation collective.
La vieille stratégie attentiste, qui consistait à adopter des cibles et à ne rien faire, n’est plus viable. Lorsque les cataclysmes passent du rayon de la science-fiction à celui du documentaire, nous n’avons plus le choix.