Approuvé par 195 États et l’Union européenne le 12 décembre 2015 – 6 ans après l’échec de la conférence de Copenhague, 18 ans après l’adoption du protocole de Kyoto –, l’Accord de Paris est-il ce « triomphe du multilatéralisme » annoncé par le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki Moon, ou plutôt une fuite en avant qui nous conduira à la « catastrophe climatique qui nous guette » ? « Le monde attend de vous plus que des demi-mesures », rappelait le secrétaire général à mi-chemin de la conférence de Paris (COP21). Or ce texte ne semble pas être l’accord ambitieux de justice climatique qui donnera l’impulsion nécessaire à la révolution éco-énergétique dont l’humanité a besoin. Pourquoi ?

Lorsqu’il a présenté le projet d’accord le 10 décembre, le président de la COP21, Laurent Fabius, a rappelé que l’objectif d’atténuation du réchauffement climatique était l’une des quatre questions sur lesquelles achoppaient les négociations, les autres étant la différenciation des obligations entre les États, le financement et la transparence des contributions déterminées au niveau national (les «contributions nationales »).

Pour ce qui est de l’objectif d’atténuation, l’article 2 de l’Accord de Paris prévoit que l’élévation de la température moyenne de la planète devra être contenue « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels », et qu’il faudra poursuivre les efforts « pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle ». Cet objectif de 1,5 °C était ardemment souhaité par les pays les plus vulnérables aux changements climatiques, notamment les petits pays insulaires menacés par la montée des océans, qui en faisaient une « ligne rouge » dans leurs négociations. À la conférence, le Canada, tout comme d’autres pays développés, s’était aussi prononcé en faveur d’un objectif plus ambitieux que celui de 2 °C, ce qui n’a pas manqué de trancher avec sa position de l’ère conservatrice.

On sait que certains des scénarios établis par le  Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indiquent que, pour limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à 2 °C, les États devraient arriver à réduire, d’ici 2050, les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) de 40 à 70 % par rapport à celles de 2010, et les éliminer presque totalement d’ici 2100.

On sait aussi que, pour respecter une hausse des températures de 1,5 °C (cette augmentation est déjà d’environ 0,8 °C par rapport à l’ère préindustrielle), l’Accord de Paris devrait établir, pour 2050, des cibles mondiales de l’ordre de 70 à 95 % en dessous des émissions de 2010. Un objectif titanesque à atteindre en seulement 30 ans, puisque, si les ratifications nécessaires sont obtenues, l’Accord n’entrera en vigueur qu’en 2020. Face à cet objectif, il est a priori étonnant de ne trouver aucune cible chiffrée dans l’Accord. Mais on avait déjà réalisé, en calculant les contributions nationales divulguées à la suite des conférences de Copenhague (2009) et de Cancùn (2010) pour l’horizon 2020, qu’il ne serait pas possible d’atteindre à long terme un objectif de 2 °C, et encore moins de 1,5 °C. Les États en font encore l’aveu dans la décision qui précède le texte de l’Accord en reconnaissant que la barre de 1,5 °C sera inéluctablement franchie dans les prochaines années.

Ainsi, l’article 4 de l’Accord exhorte simplement les pays à s’efforcer de parvenir « dans les meilleurs délais » à un plafonnement mondial des émissions de GES, et à diminuer les émissions par la suite. Le concept de « neutralité carbonique », selon lequel la quantité de GES émise doit être égale à la quantité séquestrée ou compensée, a disparu de l’Accord, comme le réclamait la Chine. Il a cédé le pas à la recherche d’un « équilibre entre les émissions anthropiques par les sources, et les absorptions anthropiques par les puits de GES », au cours de la période de 2050 à 2100.

Quant à la différenciation des engagements des États, l’Accord reconnaît que le plafonnement des émissions prendra davantage de temps pour les pays en développement, ce qui est tout à fait équitable considérant le principe des responsabilités communes mais différenciées et l’historique mondial des émissions de CO2. Les contributions nationales pour atténuer les changements climatiques, leur communication transparente et leur progression périodique sont également des engagements différenciés entre les pays (articles 3 et 4). Si les pays développés doivent continuer de « montrer la voie », les pays en développement devront continuer d’accroître leurs efforts d’atténuation et communiquer aux cinq ans les contributions de l’ensemble de leur économie (et non seulement de certains secteurs d’activité). Les pays moins avancés et les pays insulaires en développement n’ont, quant à eux, aucune obligation de communication. Ils sont simplement invités à établir et à communiquer des stratégies et des mesures de développement à faibles émissions de GES correspondant à leur situation particulière.

Au chapitre du financement, l’approche préconisée par les pays développés, qui était celle d’une « mise à l’échelle » des contributions entre les États, visait évidemment à ne pas limiter le nombre de pays devant fournir de nouvelles ressources financières. Cette question a considérablement ralenti et assombri les négociations. La Norvège, appuyée par l’Union européenne et l’ensemble des pays développés, a fait savoir que, « pour ne pas nuire à l’ambition de mobiliser des ressources au-delà d’un certain montant », elle ne pouvait accepter que l’on renouvelle l’engagement de 100 milliards de dollars américains que les pays développés ont pris à la conférence de Copenhague ni que l’on chiffre un engagement financier des pays développés dans l’Accord. Cet argument peut sembler absurde si l’on considère que les pays développés ont réussi, tout au plus, à amasser de 50 à 60 milliards de dollars dans les divers fonds de Copenhague, soit bien moins que promis.

Ainsi, le chiffre plancher de 100 milliards ne figure pas dans l’Accord, il est toutefois présent dans la décision qui le précède (paragraphes 54 et 115), laquelle établit aussi le principe d’une progression après 2025. Cette décision n’est pas contraignante pour les États qui ratifieront l’Accord ; elle aura toutefois une certaine valeur interprétative en ce qu’elle permettra d’« éclairer » les engagements financiers contenus dans l’Accord. Il aurait été possible d’adopter dans l’Accord une méthodologie répartissant l’effort de financement entre les pays développés et les pays émergents sur la base d’une différenciation novatrice par rapport à celle adoptée dans les annexes du protocole de Kyoto. Au lieu de cela, le texte de Paris ne parle que de l’engagement vague des pays développés à soutenir financièrement les pays en développement (article 9 [1]) en vue de financer prioritairement l’atténuation des effets des changements climatiques. C’est bien la nécessité de s’accommoder du droit américain en matière de ratification des traités qui a amené les pays à ne pas préciser d’engagement financier dans l’Accord. Ainsi, le président Barack Obama pourra ratifier l’Accord sans passer par le Sénat, comme nous le verrons ci-après. Quant aux pays émergents – la Chine, l’Inde et la Corée du Sud en tête –, leur voix a été entendue, puisque l’Accord ne fait que les inviter « à fournir ou à continuer de fournir ce type d’appui à titre volontaire » (article 9 [2]).

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Par ailleurs, l’assistance financière aux pays en développement n’est pas conditionnelle au respect du cadre de transparence des communications de leurs contributions nationales, même si les articles 7 et 13 n’excluent pas complètement cette conditionnalité. Tout au long de la COP21, les pays moins avancés et les pays insulaires ont exprimé leur crainte d’un soutien conditionnel, et certains d’entre eux ont, pour cette même raison, manifesté des réticences à ce que le respect des droits de l’homme soit mentionné dans l’Accord. De fait, la référence aux droits de l’homme ne se trouve pas dans le corps du texte ; elle est toutefois présente dans son préambule et pourra servir de source interprétative aux dispositions de l’Accord.

L’Accord de Paris répond formellement à la définition d’un traité, et il sera juridiquement obligatoire pour les États qui décideront de le ratifier. La période de ratification commencera le 22 avril 2016, et l’Accord entrera en vigueur quand 55 États, représentant plus de 55 % des émissions de GES, l’auront ratifié (article 21).

Il s’intitule « accord », et non pas « traité », « convention » ou « protocole », en raison des contraintes constitutionnelles du droit américain qui distingue les « treaties » des « executive agreements ». Bien que ces deux catégories correspondent en droit international à des traités, en droit interne américain, un « treaty » doit être ratifié par le Sénat, dominé actuellement par les républicains, alors que l’« executive agreement » peut entrer en vigueur à la suite d’une décision du président (voir L. Henkin, Foreign Affairs and the United States Constitution, 1986). Ainsi, l’Accord de Paris peut être qualifié d’« accord exécutif » de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui a été ratifiée par les États-Unis le 15 octobre 1992. Ce statut juridique de l’Accord en droit américain est une des raisons expliquant la prévalence des obligations de moyens au détriment des obligations de résultats dans l’Accord, ainsi que l’absence de nouvelle obligation financière pour les États-Unis et de sanctions en cas de non-respect des engagements. La seule sanction sera politique, celle de se voir mettre au banc des « cancres du climat ». Mais le retrait du Canada du protocole de Kyoto a bien démontré que les sanctions prévues en cas de violation des obligations (accords de Bonn et Marrakech en 2007) ne valaient pas leur pesant d’or.

Plusieurs applaudissent à la conclusion de ce premier accord multilatéral engageant tous les pays onusiens à communiquer leurs engagements nationaux aux cinq ans et à les faire progresser dans l’avenir, alors que d’autres dénoncent un accord faible qui ne changera pas l’actuelle trajectoire d’un réchauffement climatique de 3 °C dans les prochaines années.

Si l’Accord de Paris fournit l’impulsion nécessaire pour que les États se lancent dans la course vers une économie verte en développant des technologies environnementales, il pourra peut-être répondre à l’urgence de combler l’écart significatif entre les engagements individuels des États pour 2020 et les trajectoires des émissions globales de GES, afin de réaliser l’objectif du « nettement en dessous de 2 °C ». Il faut alors espérer que les transferts financiers suivront et qu’il fera mentir des pays qui, comme la Barbade, exprimaient ainsi leurs craintes à Paris : « Les changements climatiques menacent notre stabilité économique et notre survie en tant qu’État insulaire. Nous n’apposerons pas notre signature à un accord qui marquerait l’extinction de nos peuples. »

Mais rien n’est moins sûr. On ne peut que s’inquiéter du fait que les États ne se soient pas entendus pour taxer chaque tonne de carbone produite par les grands émetteurs. James Hansen, ancien scientifique de la NASA et responsable de la prise de conscience mondiale du réchauffement climatique au milieu des années 1980, suggérait, à l’approche de la  grand-messe de Paris, l’imposition d’une redevance de 15 dollars la tonne, qui croîtrait de 10 dollars chaque année et rapporterait 600 milliards de dollars annuellement, seulement aux États-Unis. Au Canada, en considérant que les émissions de GES en 2020 devraient être de 734 mégatonnes, la taxe ainsi versée par les émetteurs canadiens représenterait dès la première année 15 milliards de dollars canadiens. Le produit intérieur brut (PIB) annuel du Canada étant de 1 887 milliards de dollars (en 2014), cette taxe représenterait moins de 0,8 % du PIB du pays la première année et augmenterait de 10 % chaque année. De quoi pouvoir financer le renforcement des capacités de lutte contre le dérèglement climatique dans les pays en développement…

En dernière analyse, nos générations et les générations futures ne pouvaient raisonnablement se passer de la taxation des combustibles fossiles, qui sont actuellement parmi les carburants les moins chers et qui continueront d’être exploités et consommés dans les prochaines années, et ce, malgré les engagements pris dans l’Accord de Paris.

Sophie Lavallée
Sophie Lavallée est professeure titulaire de droit international de l’environnement à la Faculté de droit de l’Université Laval et avocate membre du Barreau du Québec. Elle a publié (avec Jean-Maurice Arbour et Hélène Trudeau), l’ouvrage Droit international de l’environnement (Éditions Yvon Blais, 2012).

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