Le poids démographique des personnes âgées ne cesse d’augmenter, et le débat fait rage sur la façon de relever ce défi, notamment en ce qui concerne les pensions de vieillesse. Dans des pays comme l’Italie, le Japon et la Suède, où la situation est particulièrement sérieuse, des réformes ont déjà été adoptées pour réduire la hausse anticipée des dépenses dans le domaine des pensions publiques. Au Canada, la question de l’avenir de ce type de pension se fait de plus en plus pressante, non seulement en raison du départ à la retraite des baby-boomers mais aussi à cause du déclin inexorable des régimes privés de retraite à prestations déterminées et, plus récemment, de la crise financière de 2008, qui a souligné la vulnérabilité financière des fonds de pension.

À une époque où les régimes de pension privés semblent incapables de protéger efficacement la majorité des travailleurs et des retraités, les programmes publics de pension comme la Sécurité de la vieillesse (SV), le Régime de pensions du Canada (RPC) et le Régime de rentes du Québec (RRQ) demeurent, plus que jamais, les fondements de notre système de retraite et la meilleure arme pour lutter contre la pauvreté et l’insécurité chez les personnes âgées, aujourd’hui et dans l’avenir. Le défi démographique est à la fois social et financier : il faut préserver nos régimes de retraite tout en nous assurant que les ajustements nécessaires à cette fin ne remettent pas en cause la sécurité économique des personnes âgées, tant au Québec que dans le reste du Canada.

Le système de retraite canadien se caractérise par une articulation complexe de politiques publiques et de régimes privés régulés par l’État. Le versant public de ce système émergea graduellement à partir de la seconde moitié des années 1920, mais c’est seulement dans l’après-guerre que le système prit la forme que l’on connaît aujourd’hui.

Ainsi, en 1951, après des négociations constitutionnelles entre Ottawa et les provinces, l’avènement de la SV marqua une centralisation relative du système public de retraite. En offrant une pension universelle de base à tous les Canadiens, l’État fédéral a élargi son rôle dans le domaine des pensions de vieillesse.

Au milieu des années 1960, toutefois, Jean Lesage et ses conseillers ont imposé l’idée d’un régime de rentes québécois, qui a éte instauré aux côtés du RPC, en place dans les neuf autres provinces. Bien que le RRQ et le RPC soient hautement cordonnés sur le plan législatif, la décision du Québec de créer son propre régime contributif a été lourde de conséquences. À l’époque, il s’agissait d’utiliser les contributions sociales pour stimuler le développement économique québécois au moyen des investissements de la toute nouvelle Caisse de dépôt et placement, chargée d’assurer la gestion de ces cotisations. Aujourd’hui, dans un contexte démographique entièrement différent (le taux de fécondité québécois est très inférieur à ce qu’il était au milieu des années 1960), cette décision prend un tout autre sens, comme on le verra dans la suite du texte.

En plus de la création du RRQ et du RPC, le milieu des années 1960 a été marqué par la création du Supplément de revenu garanti (SRG). D’abord conçu comme un programme temporaire visant à protéger les personnes âgées contre la pauvreté durant la mise en place du RRQ et du RPC, le SRG est devenu un élément essentiel et permanent de notre système de retraite. En partie grâce à ce programme d’aide sociale pour les personnes âgées à faible revenu, le Canada peut se comparer à la Suède en ce qui concerne la réduction de la pauvreté chez les retraités. Comme le notaient Michael Wiseman et Martynas Ycas dans un article publié dans le Social Security Bulletin, cette situation est remarquable parce que les dépenses du Canada en matière de pensions publiques sont bien moins élevées qu’en Suède ou dans d’autres pays européens. En ciblant les personnes âgées les moins nanties, le SRG est moins coûteux que l’assurance-vieillesse dans des pays comme la France et l’Italie, et plus efficace ; il permet en outre de maintenir les taux de contribution au RRQ et au RPC relativement bas (taux combiné de 9,9 p. 100 contre 18,5 p. 100 en Suède, par exemple). Compte tenu de ce succès relatif, la nécessité de préserver notre système public de pension tout en l’adaptant aux changements démographiques contemporains devient encore plus évidente.

Depuis les années 1980, des efforts ont été faits pour contrôler la hausse des dépenses dans le champ des pensions publiques. Au début des années Mulroney, par exemple, la question de la désindexation des prestations de la SV est devenue un enjeu politique des plus controversés. Face à la grogne populaire, le gouvernement a abandonné cette idée pour se tourner vers des ajustements fiscaux indirects qui ont permis à Ottawa de récupérer une partie de l’argent versé aux personnes âgées les mieux nanties. Plus tard, dans le budget 1996, le gouvernement Chrétien a dévoilé un plan visant à remplacer la SV et le SRG par un nouveau programme qui aurait officiellement aboli l’universalité des prestations de base fédérales. Cette controversée Prestation aux aîné(e)s a finalement été abandonnée, bien qu’elle aurait représenté une source d’économies à long terme pour le trésor fédéral.

Au Québec, la situation financière du RRQ s’est nettement détériorée. D’après la plus récente mise à jour actuarielle, en décembre 2009, la réserve du régime s’épuisera en 2037 et non en 2051 comme le prévoyait l’analyse de 2006. De même, le taux de cotisation d’équilibre qui permettrait de stabiliser le régime est aujourd’hui estimé à 10,95 p. 100, comparativement aux 10,54 p. 100 de l’analyse actuarielle de 2006.

En somme, les changements adoptés par Ottawa depuis les années 1980 en ce qui concerne la SV et le SRG ont été relativement modestes, surtout si on les compare à ceux introduits dans des pays comme l’Allemagne, la France, l’Italie, le Japon ou la Suède. En ce qui concerne le RRQ et le RPC, des réformes plus significatives (l’une à Ottawa et l’autre à Québec) ont été menées au milieu des années 1990, et ce, afin d’assurer la viabilité financière à long terme de ces deux programmes. Ainsi, à la suite de longues discussions entre Ottawa et les provinces, on a notamment augmenté les taux de cotisation et permis l’investissement d’une partie des surplus des régimes sur les marchés boursiers.

Mais que nous réserve l’avenir, exactement? Les bonnes nouvelles d’abord : notre situation démographique présente et future se compare favorablement à celle d’autres pays développés. Ainsi, d’après l’OCDE, en 2009, un peu moins de 14 p. 100 des Canadiens étaient âgés de 65 ans et plus. La même année, ce taux atteignait déjà 23 p. 100 au Japon, un chiffre qui, ici, ne sera pas atteint avant 2030.

Toutefois, le défi démographique est bien réel, et il semble plus accentué au Canada qu’aux États-Unis, un pays où le taux de fertilité à lui seul (2,1 enfants par femme) permet d’assurer la croissance de la population. Mais le Canada possède l’avantage de pouvoir accueillir de nombreux immigrants pour prévenir un possible déclin démographique, une option qui demeure impensable dans un pays comme le Japon. Même en France et en Suède, les gouvernements limitent le nombre de nouveaux arrivants devant la féroce résistance à l’immigration. Au Québec, l’immigration est une question identitaire controversée, mais il semble y avoir un consensus parmi l’élite politique au sujet de la nécessité d’utiliser cette voie pour affronter les changements démographiques à venir.

Toutefois, plusieurs mesures seront probablement nécessaires pour améliorer le financement des régimes publics et préserver, voire améliorer, la protection offerte aux personnes âgées à faible revenu.

Il convient de s’attarder davantage sur l’avenir du RRQ et du RPC. La crise financière de 2008 et les rendements négatifs des investissements réalisés au nom des deux caisses de retraite ont durement affecté les régimes.

Au Québec, où les prévisions actuarielles concernant le RRQ étaient déjà moins favorables que celles ayant trait au RPC, la situation financière du RRQ s’est nettement détériorée. D’après la plus récente mise à jour actuarielle, en décembre 2009, la réserve du régime s’épuisera en 2037, et non en 2051 comme le prévoyait l’analyse de 2006. De même, le taux de cotisation d’équilibre qui permettrait de stabiliser le régime est aujourd’hui estimé à 10,95 p. 100, comparativement aux 10,54 p. 100 de l’analyse actuarielle de 2006.

Bien qu’il s’agisse d’un problème à long terme, il est sans doute préférable de s’en occuper le plus rapidement possible, ce que recommande d’ailleurs le rapport actuariel du RRQ. Mais, en pratique, on ne pourra résoudre ce problème qu’en proposant des réformes parallèles du RRQ et du RPC. Pour maintenir la coordination entre ces deux régimes et éviter des écarts dans les taux de cotisation, par exemple, tout ajustement significatif devrait s’appliquer simultanément aux deux programmes. Il s’ensuit que toute discussion sur l’avenir du RRQ doit inclure, d’une manière ou d’une autre, Ottawa et les neuf autres provinces.

Or le RPC ne souffre pas du même problème que le RRQ. Ainsi, dans le rapport annuel de l’Office d’investissement du RPC, l’actuaire en chef du RPC prévoit toujours que le régime pourra maintenir son équilibre actuariel pour les 75 prochaines années sans aucune hausse des cotisations, et ce, malgré le taux de rendement négatif de 18,6 p. 100 au cours de l’exercice qui s’est terminé à la fin mars 2009. Évidemment, il ne s’agit là que de prévisions fondées sur l’idée d’un taux de rendement annuel moyen supérieur à 4 p. 100. Reste que, d’une manière générale, la situation financière à long terme du RPC est indéniablement plus enviable que celle du RRQ. Cette situation existe d’ailleurs depuis des années et n’a pas été causée par la crise financière mais plutôt par des conditions démographiques moins favorables dans la Belle Province que dans le reste du Canada. Le défi fiscal et démographique particulier auquel le Québec doit aujourd’hui faire face constitue en quelque sorte l’effet indirect de la décision de Jean Lesage de créer un régime de retraite public autonome dans la province.

Pour résoudre les problèmes anticipés du régime québécois, l’une des solutions avancées ― avant même la crise financière de 2008 ― serait de transférer des sommes du RPC au RRQ. Cette solution permettrait d’éviter que le Québec ait un taux de contribution plus élevé que le reste du Canada ; mais d’un point de vue macroéconomique, cette option est généralement considérée comme inacceptable. Néanmoins, et bien que des ajustements des prestations pour les survivants et les invalides puissent améliorer la situation du RRQ, toute diminution des pensions de vieillesse, déjà modestes (le taux de remplacement actuel est de 25 p. 100 pour les deux régimes), pénaliserait les moins nantis, ce qui n’est pas un scénario acceptable non plus, ni sur le plan social ni sur le plan politique, comme l’a déjà signalé Edward Tamagno du Caledon Institute. Il y a donc un casse-tête politique en perspective pour les acteurs fédéraux et provinciaux.

Avant de présenter notre proposition, tournons-nous brièvement vers la question du financement des programmes fédéraux comme la SV et le SRG, qui constitue un autre puzzle politique. Contrairement au défi que représente la réforme du RRQ et du RPC, cette question est inséparable de l’exercice budgétaire régulier du gouvernement fédéral. Les récents déficits fédéraux et les craintes concernant les coûts à long terme du vieillissement démographique pourraient amener les élus fédéraux à vouloir s’attaquer à ce problème, que ce soit de manière directe, à l’image du gouvernement Chrétien et de son projet de Prestation aux aîné(e)s, ou de manière indirecte, en étendant le dispositif fiscal mis en place à la fin des années 1980 par le gouvernement Mulroney pour « reprendre » l’argent versé aux mieux nantis. Chose certaine : de telles réformes seraient fort risquées sur le plan politique.

Il ne faudrait surtout pas que le contrôle des dépenses sociales se fasse au détriment des plus démunis. Les régimes publics de retraite canadien et québécois sont un outil efficace pour combattre la pauvreté chez les personnes âgées ― d’autant plus que les fonds privés de pension se trouvent dans un état de crise ―, et les réformes à venir devraient tout faire pour consolider, voire améliorer, cette situation.

Dans ce contexte, comme le recommandent plusieurs économistes, tel Jon Kesselman de l’Université Simon-Fraser dans le Globe and Mail du 18 décembre dernier, il serait temps de sérieusement examiner la possibilité d’augmenter les taux de remplacement du RPC et du RRQ afin de réduire la dépendance des retraités futurs par rapport aux pensions privées, de moins en moins fiables. Une telle augmentation ne serait possible qu’au moyen d’une hausse du plafond salarial des cotisations au RPC et au RRQ, lequel est demeuré très bas d’un point de vue comparatif (les gains admissibles ne sont que de 47 200 dollars en 2010, ce qui représente moins de la moitié du plafond salarial du régime fédéral aux États-Unis). Cette hausse indirecte des cotisations permettrait de bonifier les prestations des deux régimes tout en facilitant la résolution des problèmes financiers à long terme du RRQ. Mais il reste à savoir si les élus québécois et canadiens auront la volonté et, plus important encore, le courage de proposer une telle mesure qui, si elle risque d’être impopulaire, serait ô combien salutaire pour le pays.

Photo: Shutterstock

Daniel Béland
Daniel Béland is director of the McGill Institute for the Study of Canada and James McGill professor of political science at McGill University. Twitter @danielbeland and LinkedIn.

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