D’entrée de jeu, je dois dire que j’ai accepté sans hésitation de lire le livre d’Alain Dubuc parce que j’estime, tout comme l’auteur, qu’il est grand temps que les néofédéralistes et les néosouverainistes aient une conversation sur l’avenir de la nation québécoise. C’est ce que propose Alain Dubuc non seulement aux souverainistes, mais aussi à tous ceux et celles qui souhaitent, comme lors de l’élection du Parti québécois en 1976, que « demain nous appartienne ».

Je suis d’accord avec Alain Dubuc que désormais nous devons « continuer à [nous] poser la question de l’avenir du Québec, mais dans des termes résolument différents […] non pas en fonction de ce que le Québec était, mais en fonction de ce qu’il a réussi, de ce qu’il veut, de ce qu’il peut. » Il nous faut donc regarder en avant et définir les obstacles que le Québec devra surmonter pour répondre aux défis du XXIe siècle.

L’essai d’Alain Dubuc repose sur un constat qui nous a toujours semblé évident depuis le référendum de 1995, mais qui continue d’échapper à plusieurs : nous sommes « dans une situation de partie nulle. » Ce qui s’est passé, il y a plus de 10 ans, c’est qu’aucune décision n’a été prise ! Or, la non-décision demeure le pire scénario parce que personne ne peut revendiquer la victoire et que, si tous et chacun ont rangé leurs armes en attendant la prochaine bataille, le Québec n’avance plus sur le plan économique, qu’il n’a plus de projets porteurs.

Pour sortir de cette impasse, un peu comme Jean-François Lisée le proposait dans Sortie de secours, Alain Dubuc demande d’abord à « ses amis souverainistes » de mettre au placard pour un bon bout de temps leur option — non qu’elle n’ait pas un certain mérite —, parce que, selon lui, « la dynamique politique du projet souverainiste peut être un frein à un débat lucide sur nos problèmes et nos défis. » Dans un second temps, il propose de se lancer dans des projets rassembleurs et de susciter un nouvel engagement de l’État, une nouvelle Révolution tranquille, reposant sur trois stratégies : « favoriser l’investissement, investir en éducation et promouvoir l’innovation. »

Avant de présenter les principaux arguments d’Alain Dubuc, je dois dire que j’ai trouvé à la lecture de cet essai plusieurs pistes de convergence entre la démarche proposée par l’auteur et celle des collègues écossais regroupés dans la Scottish Council Foundation, un « think tank » indépendant qui a toujours cherché des avenues favorisant le développement économique de l’Écosse. Lorsque j’ai visité cet organisme au moment du référendum écossais de 1997, les Écossais étaient sur le point de voter en faveur de la création d’un Parlement écossais (Holyrood). Cette proposition venait du manifeste travailliste de Tony Blair, qui proposait courageusement une plus grande dévolution des pouvoirs à l’Écosse et au Pays de Galles. En parallèle, le gouvernement britannique créait la Constitution Unit, dont le mandat était de proposer des pistes de changement, de nouvelles politiques, afin de moderniser l’État britannique. Une visite rapide ces jours derniers du site de la Scottish Council Foundation permet de constater que la « conversation constitutionnelle » est toujours à l’ordre du jour et que nombre de propositions vont dans le sens de celles d’Alain Dubuc. Bref, le Québec n’est pas seul à réfléchir !

Avant de discuter de la première proposition d’Alain Dubuc de demander aux souverainistes un moratoire sur leur option, il me semble plus porteur de parler d’abord des finalités des stratégies de l’auteur pour favoriser un véritable dialogue, pour « donner au Québec son élan et pour combler ses retards », qui sont pour l’essentiel de nature économique. La liste des « nouvelles politiques » proposées par Alain Dubuc fait, de mon point de vue, consensus ; il s’agit d’un programme de gouvernement que je serais personnellement prêt à endosser dans la mesure où il fait surtout plus de gagnants que de perdants.

D’abord les investissements : Alain Dubuc souhaite un accroissement des investissements internes et il estime qu’il faut alléger le fardeau fiscal des entreprises québécoises en éliminant, par exemple, la taxe sur le capital. Toutefois, il faut aussi une stratégie pour aller chercher davantage d’investissements étrangers. Il est essentiel que nos premiers ministres fassent du démarchage un peu partout dans le monde, et en particulier aux États-Unis, pour amener davantage d’entreprises à venir s’installer au Québec. L’État a un rôle de premier plan à jouer ici et devrait aussi offrir une fiscalité compétitive afin de « soulager le capital », comme le Parti québécois le proposait lors de la dernière campagne électorale (p. 186). De plus, nous sommes d’accord pour une baisse graduelle de l’impôt sur le revenu personnel qui irait de pair avec une augmentation de la TVQ. Le gouvernement actuel du Québec a manqué une belle occasion en n’occupant pas le champ laissé libre par la réduction de la TPS. Il faut peut-être le rappeler.

Deuxièmement, l’éducation : Alain Dubuc reconnaît d’emblée que telle a été la priorité du Parti québécois d’André Boisclair lors de la dernière campagne électorale. C’est la raison principale de mon engagement politique et social depuis des années. Le sous-financement universitaire a des effets néfastes sur la qualité de l’enseignement, la recherche, l’innovation et sur la volonté d’un peuple à se dépasser. Le Québec doit être en tête de peloton sur le plan international en attirant non seulement des entreprises œuvrant dans la recherche et le développement et capables d’offrir des stages en haute technologie, mais aussi des organisations internationales ; il doit également faciliter le réseautage entre chercheurs.

Il faut rappeler que le Québec et, en particulier, les universités montréalaises comptent l’un des bassins les plus importants d’étudiants diplômés en Amérique du Nord et que nous attirons de nombreux chercheurs étrangers. Ce qu’il faut, c’est davantage d’investissement et que les entreprises continuent d’appuyer nos universités. Plusieurs gens d’affaires ont compris cette nécessité et contribuent généreusement aux campagnes de financement de nos universités. Par ailleurs, comment un étudiant peut-il se concentrer sur ses études quand il travaille plus de 25 heures par semaine parce que les frais de scolarité sont trop élevés ? C’est le cas dans plusieurs universités ontariennes où l’on prend désormais plus de six ans pour terminer un baccalauréat ! Mais il faut encore plus : un véritable virage éducation à tous les niveaux afin de redonner à nos jeunes le goût d’étudier et l’amour du travail bien fait.

Troisième chantier : promouvoir l’innovation. Ici, Alain Dubuc nous propose un changement dans nos stratégies économiques. Nous sommes d’accord que la clef des sociétés modernes se situe dans une productivité accrue, une structuration du pouvoir dans les régions ressources et une aide qui favorisent des projets d’envergure. Il est un peu triste de constater qu’Alain Dubuc a oublié de mentionner l’idée même du virage technologique proposée par le Parti québécois au début des années 1980, qui a été suivie par la stratégie des grappes industrielles du Parti libéral. Tout cela s’inscrivait dans le sens voulu par Alain Dubuc, soit de donner un élan à l’innovation au Québec. L’ouverture de notre commerce international, continental et interprovincial doit aussi être au rendez-vous.

Mais les réalisations de tous ces chantiers n’incombent pas uniquement à l’État. Je dois dire que j’ai été un peu surpris qu’Alain Dubuc parle peu des responsabilités et du rôle de nos capitaines de l’économie et du secteur privé. Il faut mentionner que la morosité économique actuelle au Québec est aussi attribuable aux échecs de nos grands entrepreneurs. Quand on n’est pas en mesure de faire construire une salle de concert, quand un groupe de gens d’affaires se fait rouler par un seul homme d’affaires américain et qu’on soit incapable de garder un club de baseball à Montréal, quand le Cirque du Soleil ne peut investir au Québec pour faire construire une salle de spectacle, on se désole de l’entrepreneurship au Québec ! Nous sommes d’accord avec Alain Dubuc que le temps est venu d’avoir des projets à l’image de ce qu’était le Québec dans les années 1960.

Mais revenons à la thèse principale du livre. Est-ce que tout ce qui se passe est véritablement la seule faute des souverainistes de tout acabit ? Il est d’ailleurs étonnant qu’Alain Dubuc cite tout au long de son essai des nations ou des régions qui ont non seulement connu un certain succès économique au cours des dernières années — comme l’Écosse, la Catalogne ou la Bavière — mais qui, aussi, ont toujours manifesté un fort sentiment autonomiste, en plus d’avoir des partis politiques indépendantistes.

À l’hypothèse d’Alain Dubuc que notre combat national constitue un frein à notre développement économique, j’aimerais opposer une autre : ce sont les nations ayant des identités fortes qui s’en tireront le mieux économiquement et pourront répondre aux défis de ce siècle. Le patriotisme économique n’est pas un frein, il est une condition essentielle au développement économique. Pour cela, il faut une grande conversation nationale ou, ce que j’ai appelé ailleurs, la naissance au Québec d’une véritable « économie identitaire », dont l’objectif est de faire naître cette volonté commune de travailler pour faire rayonner le Québec partout sur le globe. Il faut que tous travaillent de concert, au-delà des options politiques, à ce que le Québec fasse les bons choix. C’est dans ce sens que travaille la Scottish Council Foundation. Donc, voici ma proposition à Alain Dubuc : créer un organisme de réflexion indépendant, non partisan et non idéologique, qui regrouperait des personnalités politiques et économiques avec le but premier de proposer des projets emballants. En bref, ce qui nous manque clairement aujourd’hui au Québec, c’est du leadership.

L’essai d’Alain Dubuc est stimulant et pose clairement les bonnes questions. Il faut aussi être réaliste. Les souverainistes ne renonceront pas à leur option, ni les fédéralistes nationalistes à la leur qui, comme Alain Dubuc — il se définit comme « un nationaliste québécois qui n’appuie pas la démarche souverainiste » —, s’accommodent actuellement du statu quo tout en souhaitant vivement des réformes constitutionnelles : reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise, rédaction d’une constitution québécoise, etc.

Mais au-delà des débats entourant le statut constitutionnel du Québec, je suis convaincu qu’il existe de nombreux éléments de convergence entre néofédéralistes et néosouverainistes. Par ailleurs, il faut faire une distinction importante, qu’Alain Dubuc ne fait malheureusement pas toujours, entre le Parti québécois comme parti, comme gouvernement et comme porte-étendard de la souveraineté. Il faut le répéter : le projet d’indépendance n’appartient pas uniquement au PQ ; c’est un projet collectif que les Québécois, comme d’autres nations, choisiront peut-être un jour. Aucun parti ne peut écarter cette option, ni même le Parti libéral du Québec ! Il serait trop long ici d’élaborer à ce chapitre, mais Alain Dubuc doit reconnaître que cette idée transcende à bien des égards nos querelles politiques.

Alain Dubuc pourrait être souverainiste à une condition : « Si le Québec était riche, son poids dans la fédération serait plus important, ses rapports de force seraient meilleurs, sa capacité d’imposer ses vues aussi. Et si le Québec voulait quitter le Canada, l’aventure aurait plus de chances de bien se dérouler si le Québec était économiquement solide et capable de bien traverser les turbulences. » Il me semble qu’à ce chapitre, il n’y a pas de véritables différences entre certains néosouverainistes et néofédéralistes. Je suis persuadé que le dialogue est possible afin de créer « cette richesse », celle de vouloir se battre pour un Québec meilleur. La conversation nationale est possible. L’essai d’Alain Dubuc m’en a convaincu !

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