Le dimanche 13 mai, Pauline Marois annonçait officiellement sa décision de solliciter la direction du Parti québécois. Trois jours plus toÌ‚t, Tony Blair avait laissé savoir qu’il quitterait son poste aÌ€ la fin juin, apré€s dix années aÌ€ la té‚te d’un gouvernement travailliste. Le dimanche précédent, Ségolé€ne Royal avait échoué aÌ€ ramener le Parti socialiste français au pouvoir, mé‚me si elle avait fait bonne figure et accumulé un réel capital de sympathie pendant la campagne.

Comment ne pas relier ces trois événements, qui concernent tous le sort de la social-démocratie contemporaine. Pauline Marois a d’ailleurs tissé ces liens elle-mé‚me, en évoquant tant Tony Blair que Ségolé€ne Royal dans les différentes entrevues qu’elle a accordées apré€s avoir annoncé son retour.

Pour dire les choses simplement, Tony a réussi et Ségolé€ne a échoué. Pourquoi? Et quelles leçons Pauline peut-elle en tirer?

La premié€re différence, et la plus évidente, c’est que Blair a pris le controÌ‚le de son parti bien avant les élections de 1997, alors que Royal n’a pas pu le faire.

Pour Blair, la clé a été la modification en 1995 de la clause 4 de la charte du Parti travailliste, clause qui datait de 1918 et engageait le parti aÌ€ promouvoir la « propriété collective des moyens de production, de distribution et d’échange ». En pratique, cette clause n’avait gué€re d’incidence puisque, comme tous les partis sociaux- démocrates d’Europe, le Labour s’était depuis longtemps réconcilié avec le capitalisme. Symboliquement, cepen- dant, cette orientation pesait lourd. Défendre la clause 4, disait par exemple Arthur Scargill, alors président du syn- dicat national des mineurs, c’est « se battre pour l’aÌ‚me mé‚me de notre parti ». En faisant reconnaiÌ‚tre explicite- ment par ses militants l’importance du « marché » et des « rigueurs de la com- pétition », Blair s’assurait le leadership véritable de son parti.

Ségolé€ne Royal, en revanche, a hérité d’un programme adopté avant sa nomination comme candidate socialiste aÌ€ la présidence. Ce programme reflétait surtout les compromis acceptés par les différentes factions d’un parti divisé. Les relations de Royal avec les té‚tes d’affiche du parti ”” les « éléphants » ”” sont par ailleurs demeurées difficiles, mé‚me pen- dant la campagne électorale.

L’obligation de tenir un référendum aÌ€ courte échéance, c’était un peu la clause 4 du Parti québécois. Pour Pauline Marois, c’est maintenant une affaire pratiquement classée. Quant aux « éléphants » du PQ, apré€s la dure défaite de ce printemps, ils semblent tous pré‚ts aÌ€ se rallier.

Mais le succé€s de Blair n’était-il pas également attribuable aÌ€ son déplacement vers la droite? Sans doute, mais laÌ€ n’est pas l’essentiel. Apré€s 18 années dans l’op- position, le problé€me du Labour n’était pas tant d’é‚tre trop aÌ€ gauche que d’é‚tre loin du pouvoir, et perçu comme incom- pétent pour gérer l’héritage de presque deux décennies de thatchérisme. En renouvelant et en recentrant son parti, Blair a réussi aÌ€ contrer cette perception, alors mé‚me que les électeurs trouvaient le gouvernement conservateur de John Major désorganisé et trop aÌ€ droite.

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Le Parti québécois n’a pas aÌ€ faire ce chemin. C’est un parti qui a l’habitude du pouvoir, et qui accepte déjaÌ€ le marché, le libre-échange et les impéra- tifs de la compétitivité. Ce qui importe, c’est de ne pas se crisper sur des dogmes, comme en ce qui concerne les tarifs d’électricité par exemple.

Mais il ne s’agit pas non plus d’in- nover pour innover. Les méca- nismes participatifs évoqués par Ségolé€ne Royal étaient au gouÌ‚t du jour et pou- vaient apparaiÌ‚tre sympathiques, mais ils ne répondaient pas au défi principal d’une société aux prises avec un niveau élevé de choÌ‚mage, notamment chez les jeunes, les minorités et les femmes. Quant au « contrat premié€re chance » pour les jeunes sans qualification, il était en droite ligne avec des approches déjaÌ€ essayées et peu concluantes, en plus d’é‚tre manifestement improvisé.

En modifiant le vocabulaire de son parti et en ouvrant la porte au change- ment, Blair a renoué avec la tradition social-démocrate européenne, qui a toujours cherché aÌ€ concilier la crois- sance économique et la justice sociale. Quand il est arrivé au pouvoir en 1997, il lui fallait conjuguer cette orientation générale avec l’héritage de deux décen- nies de conservatisme, ce qui impli- quait une plus grande ouverture face au jeu du marché.

Dix ans plus tard, la situation a changé. En témoignent les réflexions d’Anthony Giddens, le sociologue lon- donien qui a été le maiÌ‚tre aÌ€ penser de Blair. Dans les années 1990, le pé€re de la « troisié€me voie » insistait beaucoup sur l’importance pour la gauche de se récon- cilier avec le capitalisme. Aujourd’hui, Giddens s’inquié€te plutoÌ‚t de la montée des inégalités, et il favorise des politiques plus ouvertement égalitaristes.

Au Québec, de toute façon, le ter- rain aÌ€ droite est déjaÌ€ occupé. Pour les souverainistes, d’ailleurs, il serait illu- soire de trop insister sur l’individua- lisme et sur le privé, puisque la réalisation de la souveraineté demande un élan qui ne peut é‚tre que collectif.

Si elle souhaite s’inspirer de Tony et de Ségolé€ne, Pauline n’a pas aÌ€ aller aÌ€ droite. Elle doit surtout retenir l’au- dace et la capacité de changer dans une perspective social-démocrate, en plus, bien suÌ‚r, d’assurer l’unité et la cohésion de son parti.

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