L’arrivée d’un nouveau gouvernement à Québec semble annoncer un réaménagement important de la politique familiale québécoise. Malheureusement, les échos en provenance de Québec semblent indiquer que les libéraux sont d’abord en quête d’économies à réaliser, plutôt qu’enclins à reposer la politique familiale sur de solides bases.

Or, puisque l’heure semble être à la réingénierie de l’appareil gouvernemental et des politiques publiques, il semble opportun de revenir sur les principes qui devraient fonder l’intervention publique envers les familles, soit l’équité, l’égalité et l’efficacité, et de repenser cette politique dans un cadre plus large, celui de l’investissement dans le capital humain.

Rappelons d’abord qu’en septembre 1997, Québec avait adopté une importante réforme de sa politique familiale autour de deux grands axes : remplacement de l’allocation familiale universelle par une allocation pour enfant ciblée en fonction du revenu familial et la mise sur pied d’un système de garderie à prix fixe pour tous les enfants, indépendamment du revenu familial. En 2002, les différents programmes québécois pour les familles (en argent, congés fiscaux et services) entrainaient des déboursés de l’ordre de 3 milliards de dollars, dont près de 50 p. 100 pour les services de garde. C’est un changement radical d’orientation : en six ans, l’aide en nature est passée d’environ 10 p. 100 du budget famille du gouvernement québécois a près de 48 p. 100.

Quoique populaire auprès des usagers, le « modèle » québécois d’allocations ciblées et de garderies a 5$ a suscité d’importantes critiques, non sans raison. D’une part, malgré le grand nombre de places actuellement disponibles (environ 160 000 places comparativement à 80 000 en 1997), cette politique ne rejoint qu’une partie de la population. En 2002, un peu plus de la moitié des enfants de moins de 5 ans (340 000) ne fréquentait pas les services de garde à 5$.

D’autre part, comme pilier d’une politique familiale, cette approche est inéquitable car elle favorise les familles à hauts revenus dont les deux parents travaillent selon des horaires conventionnels. Ainsi, plus de 50 p. 100 des enfants en services de garde a 5$ proviennent d’une famille ayant un revenu supérieur à 60 000$ alors que ces familles ne représentent qu’environ 36 p. 100 de toutes les familles avec au moins un enfant de moins de 5 ans. De leur côté, les enfants issus d’une famille à revenu modeste ou faible (<40 000$), qui représentent 40 p. 100 de toutes les familles (<5 ans), ne comptent que pour 20 p. 100 de tous les enfants en services de garde. Enfin, les enfants des familles qu’on peut considérer comme pauvres (18 p. 100 des enfants) ne représentent qu’environ 9 p. 100 de tous les enfants en services de garde. Il y a donc une forte auto sélection dans la participation aux services de garde a 5$ qui conduit à une répartition des bénéfices favorable aux plus hauts revenus. C’est dire que comme élément d’une stratégie de lutte à la pauvreté et d’incitation à intégrer le marché du travail, la garderie a 5$ s’avéré inefficace.

Le soutien public aux familles et la lutte à la pauvreté sont incontestablement des objectifs louables. Et le gouvernement du Québec, possiblement plus que tout autre gouvernement au pays, a mis en place un éventail de politiques propres à aider à relever ces défis, du congé parental (proposé) aux subventions aux services de garde, en passant par un programme de soutien du revenu et des allocations familiales non imposables. Par contre, la part des ressources publiques accordée à chacune n’est pas adéquate.

Ainsi, les subventions aux services de garde occupent une part nettement trop grande des ressources consacrées aux familles avec enfants au détriment d’un soutien financier direct aux familles. Non seulement cette politique profite-t-elle indument aux familles à revenus moyens et élevés dont les deux parents travaillent, mais en outre, parce que les allocations familiales sont dorénavant ciblées sur les familles à faibles revenus, elle laisse de nombreuses familles sans aucune autre reconnaissance publique que le crédit d’impôt non remboursable pour enfants à charge. Présentement, pour avoir droit au plein montant de l’allocation, une famille biparentale doit gagner moins de 21 000$ (625$ pour un enfant, 1 250$ pour deux). Par ailleurs, le montant de l’allocation diminue rapidement. Ainsi, avec un revenu familial de 26 000$, une famille biparentale avec deux enfants qui n’auraient pas recours aux services de garde a 5$ n’obtiendrait de Québec que 206$ par an.

Devant des ressources limitées, les décideurs politiques doivent faire des choix. Si Québec désire véritablement prévenir et réduire la pauvreté des enfants et encourager l’attachement au marché du travail, il devra revoir le financement qu’il consacre à chaque programme destiné aux familles et aux enfants.

En fait, la politique québécoise, tout en poursuivant des objectifs semblables, souffre des mémés faiblesses que les programmes mis en place via la Prestation nationale pour enfants (PNE) créée par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux en 1998. Bien qu’il ne participe pas formellement à cette initiative fédérale-provinciale, Québec a néanmoins bénéficié des prestations versées par Ottawa aux familles québécoises, et les programmes qu’il a adoptés sont tout à fait compatibles avec cette approche. Ainsi, la prestation québécoise est modulée sur l’aide fédérale, de sorte que, à chaque hausse de cette dernière, l’allocation du Québec diminue du même montant selon le principe d’une garantie maximale par enfant à ne pas dépasser. En d’autres mots, depuis 1997 avec les hausses successives de la prestation fédérale, Québec a réalisé des économies aux chapitres des allocations qu’il verse aux familles, lesquelles ont été consacrées au financement des services de garde. Par ailleurs, entre 2001 et 2006, Ottawa aura versé au Québec 520 millions de dollars pour financer des initiatives visant les familles et les jeunes enfants en situation de vulnérabilité, des sommes qui serviront aussi à financer les garderies.

Il est toujours délicat d’aborder la question des programmes sociaux au Québec en la posant dans le cadre des relations fédérales-provinciales. Historiquement, le Québec a toujours été extrêmement jaloux de ses compétences en ce domaine. Historiquement, Ottawa a néanmoins toujours été très présent, par la force de son pouvoir de dépenser. En fait, enfants et familles ont occupé une place prédominante dans le discours social sur les politiques publiques au niveau fédéral au cours des dernières années et Ottawa a introduit une importante réforme de ses propres politiques de soutien aux familles en 1993 avec l’adoption d’une prestation fiscale pour enfants, qui deviendra la prestation nationale pour enfants (PNE) en 1998. Via la PNE, Ottawa s’est trouvé à assumer une plus grande proportion du cout des programmes provinciaux destinés aux familles pauvres.

Le nouveau gouvernement Charest s’est dit prêt à reprendre le dialogue avec ses partenaires, notamment en ce qui a trait au partage des ressources fiscales. Nous sommes d’avis que la question des enfants et de la famille, parce qu’elle touche la question plus large du capital humain et exige des investissements considérables et coordonnés, devrait aussi et prioritairement faire l’objet d’un examen approfondi et commun par les deux niveaux de gouvernements.

Dans une étude tout récemment publiée par l’IRPP (« Assessing Family Policy in Canada : A New Deal for Families and Children », Choices, juin 2003), nous avons analysé et évalué la politique familiale canadienne et conclu que les mesures fédérales et provinciales des dernières années étaient inéquitables pour certaines familles canadiennes et n’atteignaient pas leurs objectifs de réduire la pauvreté chez les enfants, particulièrement la pauvreté extrême. Dans la dernière partie de cet article nous résumons les principales recommandations que nous y faisions concernant le soutien public des familles ayant de jeunes enfants, dans l’esprit de développer les compétences et le capital humain, en commençant par les trois éléments qui prennent trop de place dans notre portefeuille d’interventions.

On peut argumenter qu’au Canada certains éléments du portefeuille des interventions pour développer les compétences et le capital humain sont trop importants. Élaguer et réduire ces éléments permettrait de libérer des ressources publiques pour des investissements plus porteurs socialement et répondre à des besoins plus urgents. Trois types d’intervention peuvent être identifiés.

Des subventions publiques pour l’éducation postsecondaire excessives ”” Selon les statistiques de l’OCDE, le Canada est le pays avec la proportion la plus élevée de ressources publiques consacrées à ce niveau d’éducation. Or, les recherches empiriques suggèrent que la barrière financière n’est pas dissuasive, mais que se sont plutôt des facteurs de long terme comme la préparation durant les études secondaires, la réussite scolaire antérieure, la motivation et les attentes (façonnées par la famille et le milieu social) qui expliquent le mieux la fréquentation. D’ailleurs, la participation aux études postsecondaires a augmenté de façon importante, malgré la hausse des frais de scolarité. D’autre part, nos politiques en ce domaine doivent aussi prendre en considération le fait que le rendement économique de l’éducation est essentiellement capté par les diplômés, qui réduisent significativement leur probabilité de connaitre le chômage et qui peuvent escompter une augmentation de leur revenu de travail durant tout le cycle de vie. Il serait inefficace d’augmenter encore plus ces subventions afin de promouvoir la participation à l’éducation postsecondaire et ce d’autant plus que leur effet distributif n’est pas sans soulever des inquiétudes : les étudiants provenant de familles aisées sont fortement surreprésentés à l’université par rapport aux familles moins bien nanties. En ce sens, les dispositions et les transferts récemment mis en place par le gouvernement fédéral pour les étudiants et leurs familles, évalués à plus de 1 milliard de dollars pour l’année fiscale 2000-2001, et ceci en faisant abstraction des bourses du Millénaire, ne constituent pas une judicieuse utilisation de nos ressources.

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Une emphase exagérée sur des transferts en espèces trop ciblés sur les familles à faibles revenus ”” Un transfert en espèces vers les familles pauvres doit être évalué, a son titre de levier pour enrichir le capital humain des enfants, comme moyen utilisé par les parents pour créer un environnement et acheter des biens et des services favorisant leur développement physique, émotif, social et cognitif. Les évidences longitudinales dont on dispose sur l’effet du revenu familial indiquent que, sauf pour les familles très pauvres, l’impact d’un transfert en espèces est minime sur les indicateurs de développement des enfants. Une fois les besoins de base assurés, une hausse du revenu familial de 1 000$ ou 2 000$ améliore bien sur le niveau de vie de la famille mais sans effet notable sur les enfants. En revanche, les programmes d’éducation préscolaire, notamment ceux qui visent les enfants vulnérables (c’est-à-dire qui vivent l’expérience d’un épisode significatif d’un ou de plusieurs problèmes de développement comparativement à la moyenne de leur groupe de pairs), se caractérisent non seulement par un rendement très élevé mais apportent des bénéfices durables dans le temps avec des effets dynamiques positifs. D’où l’intérêt d’investissement tôt dans le capital humain car les bénéfices se répercutent sur toute la vie.

Une emphase indue sur les programmes de formation et de transition assistance sociale-travail pour les familles à faibles revenus et qualification ”” Pour réduire l’incidence de la pauvreté et de l’insuffisance du revenu, il est impérieux d’en examiner les causes. Les personnes avec peu de compétences professionnelles, de qualifications et d’éducation vont continuellement faire l’expérience du chômage, subir des périodes plus ou moins longues de chômage et de sous-emploi dans un monde qui vit constamment des changements économiques. Les solutions proposées et souvent adoptées font l’hypothèse qu’il est possible par de la formation ou par l’investissement dans le capital humain d’accroitre le niveau des compétences de la main-d’œuvre peu ou pas qualifiée. Malheureusement, les évidences empiriques indiquent que les investissements dans les personnes peu qualifiées et ayant dépassé un certain Age ont des rendements sociaux faibles ou nuls. Les programmes publics d’emploi et de formation sont peu efficaces et insuffisants pour sortir de la pauvreté la plupart des participants.

Au Canada comme au Québec, la politique familiale devrait reconnaitre la valeur de chaque enfant, tout en évitant de porter jugement sur les choix que les parents font relativement à la garde de leurs enfants, et aider à réduire les effets de la pauvreté sur les enfants. Les recherches empiriques touchant le bien-être et la santé des enfants et leur épanouissement une fois devenus adultes permettent de conclure que la meilleure stratégie publique consiste à adopter une perspective de cycle de vie et à investir dans le capital humain des enfants. Au cœur de cette stratégie, on devrait trouver les éléments suivants : faire coïncider les besoins des enfants avec leurs potentiels en portant attention aux circonstances propres à chaque enfant et à ses stades de développement, qu’il soit un nouveau-né, un bébé, un enfant d’Age préscolaire ou scolaire ; offrir aux parents un choix plus large en matière de conciliation des activités de travail et parentales pour toutes les familles sans égard à leur revenu ou leurs activités professionnelles ; et lutter contre la pauvreté.

Le tableau ci-dessous identifie les éléments d’une stratégie qui pourrait être implantée sur quelques années et qui répond aux critiques soulevées précédemment et met à contribution les deux paliers de gouvernements au Canada. On se contentera ici de donner une courte description de chaque mesure et de sa justification.

(1) Une allocation familiale universelle, modulée selon l’âge de l’enfant. L’universalité de l’allocation est la pierre d’assise de toute politique familiale. Une juste compensation pour les couts privés d’éduquer un enfant indique l’importance des enfants pour la société et la reconnaissance du rôle joué par les parents. Et ce indépendamment du revenu familial.

(2) Un programme de supplément au revenu de travail avec une prestation maximale modulée selon le rang de l’enfant. Une subvention à l’emploi-revenu de travail est la façon la plus directe de rendre plus intéressants financièrement l’entrée et le maintien sur le marché du travail des personnes avec un faible potentiel de rémunération. Une telle approche favorise l’inclusion sociale, promeut l’accumulation d’expériences de travail, récompense l’effort et se traduit pour les familles de ces personnes et pour leur communauté par des bénéfices non pécuniaires. De tels programmes existent ailleurs (États-Unis, Royaume-Uni, France) et ont été expérimentés au Canada. Les évidences empiriques indiquent qu’ils réduisent la pauvreté.

(3) Bénéfice en temps et bénéfices de congés parentaux. L’augmentation de la durée des congés parentaux payés par l’assurance emploi (a.-e.) est un progrès considérable pour le bien-être des nouveau-nés et de leurs parents, mais présentement le taux de remplacement du salaire des parents admissibles a l’a. -e. apparait faible ; il devrait plutôt passer à 75 p. 100. D’autre part, compte tenu du nombre important de mères (et de pères) qui ne sont pas admissibles à ces congés subventionnés (en fait environ 40 p. 100 des naissances), on pourrait envisager un paiement forfaitaire étalé sur 12 mois de 4 800$, mais payable à partir du septième mois de la grossesse. Cette somme reste modeste par rapport au montant d’environ 15 000$ actuellement payé par naissance en moyenne par l’a. -e.

(4) Il faut rendre disponible la maternelle à temps plein pour les 5 ans, comme le font déjà le Québec et le Nouveau-Brunswick, plutôt qu’à temps partiel (2 heures et demie) comme c’est le cas dans les autres provinces. Puis progressivement offrir des services de garde éducatifs à temps plein dans l’environnement des écoles primaires pour tous les enfants de 4 ans. C’est une tendance lourde qu’on observe dans les pays développés ainsi que dans les états américains que d’intégrer à l’école les enfants à partir de 4 ans. De tels services lorsqu’ils sont offerts par le système d’éducation assurent à tous les enfants une garantie d’accès, de fiabilité et de qualité, alors que le taux de fréquentation avoisine les 95 p. 100 même lorsque les parents ne travaillent pas. La maternelle favorise l’égalité des chances en permettant aux enfants de faire l’expérience d’environnements différents à un Age propice à ces nouvelles stimulations.

(5) Pour ce qui est des services de garde, le problème perd de son acuité si les autres propositions sont adoptées et si l’on tient compte de l’engagement d’Ottawa de transférer aux provinces et territoires 900 millions de dollars sur cinq ans afin de réduire le cout des services de garde pour les familles à faibles revenus (nous supposons que les provinces s’engagent pour 300 millions de dollars pour la même période). Pour la première année de la vie d’un enfant, les parents disposeront de temps et de ressources à lui consacrer sans être financièrement contraints à retourner sur le marché du travail. A ceci s’ajouterait une allocation familiale non imposable utilisable de façon discrétionnaire. Pour les 4-5 ans, la maternelle réglé le problème de la garde éducative durant l’année scolaire. L’allocation familiale ouvre l’option financière de l’achat de services de garde si le ou les parents travaillent à temps plein. Restent les 1-3 ans dont une proportion importante de mères décident de ne pas travailler ou de travailler à temps partiel. L’allocation familiale plus importante pour ce groupe d’Age offre un choix flexible a cet égard.

Au total, nos propositions impliquent des déboursés supplémentaires par rapport aux engagements déjà pris par les gouvernements d’environ 9,3 milliards de dollars (voir dernière colonne du tableau) dont 75 p. 100 seraient assumées par Ottawa. Le tableau (partie inférieure) identifie 5,5 milliards d’économies et de recettes potentielles, associées à une révision de programmes existants et à l’adoption des programmes proposés. Cette stratégie alternative apparait donc comme crédible financièrement si elle est déployée sur quelques années.

Les récentes initiatives fédérales et provinciales, que ce soit au Québec ou ailleurs, grâce à la Prestation nationale pour enfants, n’ont pas atteint leurs objectifs. Pour résumer, on dira qu’elles ne respectent pas les critères usuels d’efficacité (plus haut bénéfice par dollar dépensé), d’investissement social solide (rendement social élevé), d’incitation (encourager les comportements désirables), d’équité (traitement égal des familles) ou de justice (égalisation des chances pour les enfants). Ces initiatives échouent ces tests parce qu’elles s’appuient sur une vision de court terme et ne considèrent pas adéquatement la nature des problèmes existants.

Nous recommandons une politique qui récompense fortement les efforts de travail des parents à faible qualification ; le remplacement des prestations fiscales par une allocation familiale universelle pour chaque enfant ; et, finalement, la mise sur pied de services universels d’éducation préscolaire qui demeurent la meilleure approche pour apporter une aide immédiate aux jeunes enfants dans le but de les préparer à l’école.

 

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