Le Plan budgétaire 2011 déposé par le ministre des Finances Jim Flaherty le 22 mars dernier est d’une importance toute particulière pour trois raisons : faute d’obtenir l’appui des trois partis d’opposition, c’est un budget qui précède de quelques semaines les élections fédérales. Il jouera donc un rôle clé dans la prochaine campagne électorale. Le gouvernement Harper y affirme, de façon encore plus claire, ses choix idéologiques et son appui ou son rejet de divers modes de gestion (types de collecte de revenus, programmes de dépenses, projets d’investissement).

Ce Plan est aussi plus précis que le précédent quant aux mesures que le gouvernement entend adopter pour atteindre l’équilibre budgétaire et quant au besoin de dégager (ou non) des surplus qui lui donneront la marge de manœuvre nécessaire pour commencer à rembourser la dette d’environ 160 milliards de dollars accumulés durant le présent cycle baissier.

Finalement, ce Plan budgétaire nous permet d’analyser sur une décennie les choix budgétaires du gouvernement Harper, de l’exercice 2005-2006 à l’exercice 2015-2016. C’est ce que je me propose de faire dans cet article, en mettant l’accent sur l’évolution des grands agrégats budgétaires (revenus, dépenses et solde budgétaire) en pourcentage du PIB.

Il y a de nombreuses façons d’analyser l’évolution des variables budgétaires d’un gouvernement. Chaque méthode apporte un éclairage nouveau, et la somme des approches permet d’avoir une meilleure compréhension de la situation financière de ce gouvernement et de la direction générale que ce dernier imprime aux politiques publiques. L’intérêt d’une analyse en pourcentage du PIB est qu’elle élimine le biais engendré par la hausse des prix et la croissance économique. En l’occurrence, cette façon de faire permet de voir si les conservateurs planifient changer le ratio des dépenses totales ou des dépenses en transferts aux autres administrations par rapport à celui qui prévalait lors du dernier exercice du gouvernement libéral.

Le même type d’analyse sera fait pour les composantes des revenus totaux. On pourra ainsi mesurer l’effet direct des baisses de la taxe sur les produits et services (TPS) et de l’impôt des sociétés sur le ratio de l’ensemble des revenus au PIB.

Le tableau 1 présente l’évolution des revenus et des dépenses en se basant d’une part sur les données de 2005-2006 et celles de 2015-2016 présentées respectivement dans les plans budgétaires 2007 et 2011.

Ce qui frappe dans ces chiffres, c’est le fait que le taux de dépenses totales (les charges de programmes incluant le service de la dette) par rapport au PIB n’a que légèrement diminué (0,4 point de pourcentage) entre le début et la fin de la période analysée. Comme on le verra plus loin, cette légère baisse disparaît lorsqu’on exclut le service de la dette. Contre toute attente, et en dépit des réductions de dépenses réalisées par suite de l’examen de programmes, on n’observe donc pas une baisse significative qui témoignerait d’un effort soutenu pour réduire la taille du gouvernement. Signalons qu’il en fut ainsi pour les trois exercices précédents la récession (2006-2007, 2007-2008 et 2008-2009). À ce niveau élevé d’agrégation, on constate que le gouvernement conservateur a maintenu le taux de dépenses proche du niveau observé lorsqu’il a pris le pouvoir, exclusion faite de la période de récession/reprise, comme l’illustre le graphique 1.

Les ratios du total des revenus et du solde budgétaire au PIB ont diminué d’une façon plus marquée, de 1,3 point de pourcentage et de 0,8 point de pourcentage respectivement. C’est un changement important. Le gouvernement conservateur passe d’une situation de surplus budgétaire substantiel à une situation de léger surplus budgétaire. Il a ainsi réduit significativement le surplus de 13,2 milliards de dollars (1 p. 100 du PIB) observé en 2005-2006 et planifie avoir un surplus de 4,2 milliards de dollars (0,2 p. 100 du PIB) en 20152016. Soulignons qu’en 2015-2016, 1 p. 100 du PIB représentera près de 20 milliards de dollars. Notons également qu’avant la crise financière, le gouvernement Harper prévoyait réduire rapidement le surplus budgétaire à un niveau d’à peine 3 milliards de dollars (0,2 p. 100 du PIB). Nous verrons plus loin quelles composantes des revenus seront responsables de cette baisse. Le graphique 2 permet de visualiser cette baisse du ratio de revenus.

Le tableau 2 montre que le ratio des charges de programmes au PIB a très peu changé entre le début et la fin de la période de 10 ans que nous analysons.

La baisse de 0,4 point de pourcentage des dépenses totales reflète la baisse du ratio du service de la dette au PIB. Cette dernière baisse de 0,6 point de pourcentage s’explique par une augmentation de la dette moindre que celle du PIB (28 p. 100 contre 43 p. 100) et une diminution du taux d’intérêt moyen versé pour la dette entre ces deux exercices financiers (passant de 7 p. 100 à 6,4 p. 100). La remontée des taux d’intérêt devrait toutefois entraîner une hausse significative du service de la dette et forcer le gouvernement à réduire à plus long terme la croissance des charges de programmes. Il se pourrait que l’effort de réduction du taux de croissance des dépenses, qui était nécessaire pour le retour à l’équilibre budgétaire, soit suivi par une seconde vague de réduction/contraction.

Le tableau 3 présente les principales composantes des dépenses de programmes entre le début et la fin de cette période de dix ans (2005-2006 et 2015-2016).

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Dans les quatre catégories de dépenses présentées dans ce tableau, il n’y a pas de changements significatifs dans leur ratio au PIB. Ces chiffres donnent une autre perspective aux propos tenus par M. Harper lors de son entrevue à La Presse le 12 janvier dernier dans laquelle il affirmait : « Les transferts aux provinces ont augmenté d’une façon incroyable depuis notre arrivée au pouvoir. Je pense que notre bilan à cet égard est historique. » Point à noter, le ratio de dépenses du ministère de la Défense au PIB (exclusion faite des fonds supplémentaires au titre des opérations en Afghanistan) est demeuré stable ; le taux d’augmentation de ce poste budgétaire a donc été similaire à celui du PIB nominal, soit de près de 40 p. 100.

Comme on peut le voir au tableau 4, la baisse d’un point de pourcentage du ratio des revenus au PIB vient essentiellement de la baisse de l’impôt sur le revenu des sociétés (0,6 point de pourcentage) et de la baisse de la taxe sur les produits et services (0,4 point de pourcentage). Les réductions des revenus de ces deux sources se traduiront par un manque à gagner direct de l’ordre de 20 milliards de dollars en 2015-2016.

En somme, pour les exercices 2005-2006 et 2015-2016, les tableaux montrent qu’il y a très peu de changements dans le ratio de dépenses de programmes, par contre, au chapitre des revenus, on note une baisse d’un point de pourcentage, due aux baisses de la TPS et de l’impôt des sociétés, qui entraîne une forte réduction du surplus. On est donc très loin du scénario selon lequel la réduction du taux de dépenses serait suivie d’une baisse du taux de revenus. C’est un scénario fort différent qui s’est produit : une baisse du taux de revenus a pour effet d’effacer en grande partie le surplus budgétaire, tandis que le taux de dépenses de programmes demeure très stable. Notons que cette baisse du taux de revenus du gouvernement fédéral a permis de libérer de l’espace fiscal pour les gouvernements provinciaux, et cela pour un montant d’environ 17 milliards de dollars (de 2011) ou 1 p. 100 du PIB. Les provinces, tout particulièrement le Québec, ont commencé à occuper cet espace.

Pour terminer, quelques commentaires sur la réalisation de certains objectifs fixés par le gouvernement Harper lorsqu’il a pris le pouvoir en 2006.

  • L’objectif d’une plus grande rigueur dans les dépenses ne s’est pas matérialisé par une baisse du taux de dépenses. En fait, ce dernier, exclusion faite du service de la dette, s’est même légèrement accru. Selon le Plan budgétaire 2011, le solde budgétaire prévu pour 2015-2016 est de -0,3 milliard de dollars ; ce montant est affecté positivement par des mesures d’économie attendues de 7,4 milliards de dollars (coupes de dépenses ou réductions des échappatoires fiscales incluses dans les plans budgétaires 2010 (5,8 milliards de dollars) et 2011 (1,6 milliards de dollars). C’est un montant fort élevé, et il n’est pas du tout certain que le gouvernement réalisera cet objectif, même s’il cherche déjà, tel que mentionné dans le Plan budgétaire 2011 à ajouter à ces économies des coupes de 4 milliards de dollars dans les provisions budgétaires annuelles de fonctionnement des ministères. Il y a loin de la coupe aux lèvres…

L’objectif d’une plus grande rigueur dans les dépenses ne s’est pas matérialisé par une baisse du taux de dépenses. En fait, ce dernier, exclusion faite du service de la dette, s’est même légèrement accru.

  • L’analyse des données agrégées ne nous permet pas d’évaluer dans quelle mesure l’objectif du gouvernement fédéral de réduire les dépenses dans les domaines de compétence provinciale et d’accroître celles faites dans ses propres champs de compétence (sécurité frontalière, Défense nationale, droit criminel, entre autres) a été atteint. Il faudrait procéder à une analyse de données plus détaillées. Au niveau agrégé, on voit peu de changements, surtout quand on considère les transferts fédéraux aux provinces (autres que le programme de péréquation) et la hausse des investissements fédéraux dans les infrastructures des provinces et des municipalités. Le gouvernement Harper semble maintenir sa présence dans les domaines de compétence provinciale, mais de manière indirecte. Par exemple, au lieu de subventionner un système national de garderies, il verse une prestation universelle pour la garde d’enfants. De même, comme le gouvernement Martin, le gouvernement Harper est intervenu dans la gestion des systèmes de santé provinciaux. Par des arrangements fiscaux prévisibles à long terme (le Plan décennal pour consolider les soins de santé), il a même voulu donner une « garantie de délais d’attente raisonnable ». L’image du gouvernement fédéral venant au secours des gouvernements provinciaux est non seulement toujours présente, mais elle s’élargit par la mise en place de « quasi-transferts » municipalités. Il semble que le besoin d’une plus grande visibilité politique rende très difficile le retrait du gouvernement fédéral de ces champs de compétence provinciale, quel que soit le parti au pouvoir.
  • Le gouvernement Harper a réalisé sa promesse de réduire significativement les taux relatifs à la TPS et à l’impôt des sociétés. Toutefois, contrairement aux attentes, le ratio de l’impôt des particuliers au PIB est demeuré stable.
  • La réduction du surplus budgétaire s’est réalisée rapidement, mais son maintien à 3 milliards de dollars (0,2 p. 100 du PIB) n’a pas été possible à cause de la récession. Le retour en 2015-2016 à un surplus budgétaire d’une valeur représentant 0,2 p. 100 du PIB (4,2 milliards de dollars) est une coïncidence intéressante. Une des leçons de la dernière récession est qu’une contingence budgétaire ne représentant que 0,2 p. 100 du PIB ne fait pas long feu devant les soubresauts de la conjoncture internationale, d’où l’importance d’avoir un niveau d’endettement relativement faible. Un surplus budgétaire représentant 0,2 p. 100 du PIB semble relativement faible dans un contexte où le gouvernement désirerait effacer l’augmentation de la dette de 160 milliards de dollars qui sera portée au compte du présent cycle baissier. Il semble que le gouvernement Harper préfère réduire principalement le ratio de la dette au PIB par la croissance du PIB nominal. Il faudra attendre un autre plan budgétaire pour savoir si le gouvernement voudra à nouveau cibler à 25 p. 100 le ratio de sa dette au PIB et en combien de temps il voudra atteindre cet objectif. Dans le dernier exercice financier du Plan budgétaire 2011, celui de 2015-2016, le ratio de la dette au PIB atteint 29,7 p. 100. Il ne faudrait donc que deux à trois ans de plus pour atteindre cet objectif de 25 p. 100, si les tendances utilisées dans le Plan budgétaire 2011 se matérialisent.

Notre analyse montre clairement que le ratio de dépenses au PIB du gouvernement fédéral resterait inchangé entre les exercices 2005-2006 et 2015-2016. Cette stabilité peut sembler étonnante dans la mesure où elle va à l’encontre d’une idéologie conservatrice qui dit vouloir réduire la taille de l’appareil gouvernemental.

Je doute que ce résultat s’explique par la crise financière et la récession qui a suivi, qui auraient forcé le gouvernement à mettre en veilleuse cet objectif. Je pense plutôt que la raison principale est la difficulté qu’éprouve tout gouvernement minoritaire de couper des services publics. Si le Parti conservateur avait pu former un gouvernement majoritaire, il est possible que la réalisation de cet objectif aurait joué un rôle plus important avant le début de la récession. Il est également possible que le Plan budgétaire 2011 en eut été davantage imprégné.

Il me semble nécessaire de débattre de cette question dans la prochaine campagne électorale. Il serait également souhaitable de discuter quels services spécifiques offerts par le gouvernement fédéral devraient être coupés, réduits ou améliorés.

Photo: Shutterstock

Jean-Pierre Aubry
Jean-Pierre Aubry est économiste indépendant.

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