En France, ouÌ€ je passe l’année uni- versitaire en sabbatique, on peut voir une nouvelle annonce pu- blicitaire tré€s rigolote aÌ€ la télé. On y entend les paroles immortelles de Freddie Mercury et Queen (« You got mud on yo’ face/You big disgrace/Kickin’ your can all over the place/Singin’/We will we will rock you/We will we will rock you ») chantées par la voix pure d’un enfant mais personnifié par des adultes d’aÌ‚ge moyen ou mé‚me d’aÌ‚ge muÌ‚r. Le message? L’eau minérale Evian garde jeune. Tré€s malin. Et aussi tré€s anglais.

Il va sans dire que la musique po- pulaire en France aujourd’hui est américaine, et mé‚me nord-américaine : AÌ€ l’émission Top Pop (sic) on retrouve, en 24ié€me place, la Canadienne Avril Lavigne””qui, malgré son nom, n’est pas francophone et ne chante pas en français. (C’est le lot de la paternité que de connaiÌ‚tre Mlle Lavigne : aÌ€ leur aÌ‚ge, l’apré€s-ski, c’est devant la télé que ça se passe pour mes jeunes fils.)

Exemple plus littéraire, dans Le Figaro magazine. Profil de François Fillon, ministre des Affaires sociales. « Le style est soft, mais il ne faut pas s’y tromper, etc. etc. » Pardon, monsieur? « Le style est soft »? Mé‚me numéro : des comptes rendus sur les restos les plus cool de Paris; dans un théaÌ‚tre- péniche, on peux bruncher sur place avant le lever du rideau.

Les exemples de cette sorte sont nombreux et, riche de ma culture québécoise, je m’attendais dans les premié€res semaines de mon séjour aÌ€ voir les gendarmes linguistiques de l’Académie française intervenir sur le sujet, mais non. La seule académie dont on parle ici est la Star Academy, un « reality show » ouÌ€ une dizaine de jeunes compétitionnent pour gagner un contrat professionnel.

En fait, l’anglais est partout. Le planning, le management, le parking (avec des enseignes P partout), le busi- ness, le football, mé‚me les WC font par- tie du langage courant. Ayant remar- qué que les panneaux d’arré‚t disent « STOP », mon fils n’a pas cessé de rire. « Go! Go! Go! » crie son coach de foot pour les encourager, lui le petit Canadien, et toute l’équipe. L’anglais, semble-t-il, est comme ce fameux bruit de fond de l’univers : inéluctable.

Je me suis d’abord dit, comme anglophone de Montréal, qu’il était probablement inutile de légiférer con- tre tout ça””si l’anglais est si chic et si efficace, par exemple pour faciliter les interactions aÌ€ l’échelle européenne, l’intervention législative resterait sans doute sans effet. Ensuite, je me suis demandé quel espoir il existait pour le français en Amérique du Nord, s’il était en danger en France mé‚me?

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Mais ce n’étaient que des impres- sions immédiates. En fait, la France demeure tré€s française. Nous habitons un petit village, aÌ€ une heure de Gené€ve, ouÌ€ beaucoup de gens travaillent dans les professions libérales. Parmi nos voisins, plusieurs parlent l’anglais assez couramment, et aiment le parler, mais il y en a beaucoup d’autres””beaucoup plus que chez nous””qui ne le parlent pas du tout ; le quotidien se vit””aÌ€ l’ex- ception de quelques anglicismes””en français. Et en parlant entre eux, les Anglophones, car nous ne sommes pas les seuls aÌ€ é‚tre venus ici, parlent français, ce qui est d’ailleurs devenu plus courant aÌ€ Montréal aussi, certainement plus que ce n’était le cas lorsque mes parents étaient jeunes.

Bien qu’il soit délicat pour moi d’en juger, il semble que ce soit un tré€s bon français qu’on parle. AÌ€ en juger des devoirs que font mes deux garçons chaque soir, c’est sans doute duÌ‚ en grande partie au fait que le français est soigneusement enseigné aÌ€ l’école.

On apprend les ré€gles de la langue, et on les apprend par cœur. Quand je demande aÌ€ David, mon plus jeune, aÌ‚gé de sept ans, ce qu’il a fait aÌ€ l’école le matin, il me répond invariablement : « Lecture ! Lecture ! Lecture ! Tu sais bien, papa, c’est toujours la lecture ! » Et malgré son impatience, il apprend tré€s bien : prononciation (apré€s quatre mois ici son accent est aussi épais et crémeux que du camembert), orthographe (avec les controÌ‚les, ce qu’on ne fait que tré€s peu au Canada, me semble-t-il), écriture (en cursive dé€s le départ), et compréhension (il peut maintenant déconstruire presque n’im- porte quel mot, syllabe par syllabe, de n’importe quelle longueur). Mon aiÌ‚né, lui, fait ses dictées et ses verbes jour apré€s jour : présent, imparfait, passé simple, mé‚me le tré€s mystérieux sub- jonctif. Il les apprend lui aussi selon les bonnes vieilles méthodes, par cœur.

Certes, il n’y a pas la possibilité ici, celle qui a causé tant d’angoisse et de débats chez nous, que les nouveaux venus soient assimilés aÌ€ une commu- nauté anglophone. En France la majorité reste française. Mais il me semble que la meilleur politique lin- guistique, ici comme chez nous, reste pour tous une formation scolaire rigoureuse en français””suer sang et eau aÌ€ apprendre le subjonctif, et pourquoi pas, le futur antérieur !

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