Le regain d’intérêt pour les accords bilatéraux de libre-échange a résulté de l’impasse qu’a connue le cycle de Doha comme de la volonté des États de poursuivre une politique commerciale orientée vers le libre-échange afin d’en engranger les bénéfices, notamment en termes de croissance économique et d’emplois.

Du côté européen, la crise bancaire et financière doublée d’une crise budgétaire — qui a eu un impact sur la plupart des États membres de l’Union européenne (UE) — n’a fait que renforcer cette volonté de perpétuer une politique commerciale forte axée sur le libre-échange afin d’attirer de nouveaux investissements étrangers, de maintenir les emplois et d’en créer de nouveaux.

De son côté, le Canada a soutenu cette approche positive du libre-échange et a signé ces dernières années de nombreux accords bilatéraux. L’UE et le Canada cherchent ainsi à améliorer les conditions du libre-échange sans pour autant restreindre leur liberté de déterminer leurs propres politiques sociales, économiques et environnementales. L’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’UE est né de cette volonté commune.

Une zone de libre-échange au service d’entreprises innovantes

Ce type d’accord n’est pas sans conséquence tant pour les entreprises situées dans la nouvelle zone de libre-échange que pour celles se trouvant en dehors de la zone. Pour les premières, on observe un accroissement de l’activité économique en raison notamment de la réduction des obstacles au commerce, ce qui rend le marché des produits et des services plus concurrentiel. Quant aux secondes, l’attrait qu’exerce la zone de libre-échange pour elles fera augmenter les importations dans cette nouvelle zone.

Ainsi, l’ouverture des marchés canadiens et européens aura généralement une incidence positive sur les entreprises canadiennes et européennes qui seront en mesure de valoriser leurs produits et leurs services par la vente ou au moyen de collaborations, de partenariats ou encore de transferts technologiques profitables pour les deux parties. Certaines entreprises moins performantes et qui ont cessé d’investir dans la recherche et le développement de leurs produits ou services pourraient se sentir menacées face à l’élimination de mesures protectionnistes et avoir des difficultés à s’adapter à cette nouvelle réalité de marché. L’AECG devrait donc profiter davantage aux entreprises canadiennes innovantes et compétitives à la recherche de nouvelles parts de marché.

Les consommateurs pourront également en retirer quelques avantages en termes de diversification de l’offre de produits, d’amélioration de la qualité de certains produits et services ou de diminutions de prix. En outre, la dynamisation des marchés permettra un meilleur rouage de la chaîne des valeurs mondiales.

Les bénéfices selon les secteurs

Étant donné que le commerce des services représente une part importante du PIB canadien, ce secteur sera donc l’un des premiers bénéficiaires de l’AECG, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il bénéficiera d’une libéralisation complète. Celle-ci repose sur quelques principes fondamentaux, notamment l’égalité de traitement entre fournisseurs de services étrangers et fournisseurs locaux. L’AECG établit également un cadre à la négociation d’accords de reconnaissance mutuelle entre ordres professionnels. Il facilitera aussi les séjours temporaires des gens d’affaires à des fins professionnelles, permettant ainsi une plus grande mobilité des travailleurs au sein des entreprises et influant sur la productivité de celles-ci.

Une partie considérable de l’AECG est consacrée aux produits manufacturiers. Dans les secteurs clés, l’Accord éliminera près de 98 % des tarifs douaniers, l’un des principaux obstacles pour certaines entreprises manufacturières. Seuls quelques produits, notamment dans le secteur automobile et agricole, connaîtront une diminution progressive des droits de douane étalée sur une période pouvant aller jusqu’à sept ans. Quant aux barrières non tarifaires (telles que l’application différenciée de normes techniques et sanitaires entre deux pays), le Canada et l’UE procéderont dans la mesure du possible et à la demande d’une partie à l’Accord à l’harmonisation, ou tout au moins à la reconnaissance mutuelle, de leurs normes techniques et sanitaires respectives. En faisant disparaître les barrières tarifaires et non tarifaires, l’AECG donne aux entreprises manufacturières canadiennes un accès préférentiel au marché de l’UE.

Le secteur des ressources naturelles bénéficiera de l’entrée en vigueur de l’AECG par l’élimination immédiate des barrières tarifaires pour les produits issus des ressources naturelles, notamment les produits forestiers et minéraux. L’AECG prévoit également un mécanisme de coopération réglementaire concernant ces produits, qui favorisera à long terme les échanges commerciaux avec l’UE. En concentrant ses efforts sur ses secteurs les plus performants, soit les services, la production manufacturière et l’exploitation des ressources naturelles, le Canada sera en mesure d’accroître son flux d’échanges commerciaux vers l’Europe.

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L’entrée en vigueur

L’entrée en vigueur ne sera que provisoire. Cette situation s’explique par le fait que l’AECG a été qualifié de traité « mixte » par la Commission européenne, qui reconnaît ainsi qu’il porte non seulement sur les compétences dites exclusives de l’UE, mais également sur des compétences partagées et propres aux États membres. Par conséquent, sa ratification par les États membres de l’UE est nécessaire, ce qui pourrait prendre plusieurs années et représenter des délais importants en ce qui concerne son entrée en vigueur. L’application provisoire de l’Accord permet ainsi de réduire les inconvénients inhérents à la lenteur du processus de ratification.

Il est à noter que le chapitre huit — qui a été une source de conflits notamment en ce qui concerne les mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et les États sur le territoire desquels il y aurait eu des investissements — verra son application suspendue, à l’exception de quelques articles. Le mécanisme d’arbitrage entre investisseurs et États qui a été privilégié dans la rédaction de l’AECG n’entrera en vigueur qu’après l’approbation définitive de l’Accord par les Parlements de tous les États membres de l’UE. À la demande de la Belgique, la Cour de justice de l’UE doit également se pencher sur la compatibilité de ce processus d’arbitrage avec les traités européens. Si elle le juge incompatible, on pourrait assister à une réouverture des négociations entre le Canada et l’UE. Il n’en demeure pas moins que plus de 90 % des dispositions de l’Accord seront appliquées provisoirement le 21 septembre prochain.

Que retenir de l’AECG ?

L’AECG illustre la vision commune d’une politique commerciale axée sur le libre-échange, qui innove par sa portée éminemment large, étendant ses racines beaucoup plus loin que la simple élimination des barrières tarifaires et non tarifaires. Cet Accord est dit « de nouvelle génération », car il couvre l’ensemble des domaines d’activité de l’Organisation mondiale du commerce, mais également la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles, la coopération réglementaire et le développement durable. Cette ouverture vers le marché de l’UE permettra notamment aux entreprises canadiennes innovantes et compétitives d’exporter plus facilement dans l’UE, en faisant notamment valoir leurs atouts.

Grâce à l’AECG, le Canada pourra diversifier son bassin économique et amoindrir quelque peu sa dépendance envers ses voisins du Sud. Même si les économistes ne s’entendent pas sur les bénéfices précis de l’AECG, il n’en demeure pas moins qu’une augmentation du PIB, aussi tenue soit-elle, aura tout de même de l’importance pour de nombreux secteurs, sans compter les bénéfices autres résultant de la collaboration et de l’échange de savoir-faire.

L’auteur souhaite remercier Charlotte Dion pour sa contribution précieuse dans l’élaboration de ce texte.

Cet article fait partie du dossier Les politiques commerciales en des temps incertains.

Photo: Shutterstock


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Xavier Van Overmeire
Xavier Van Overmeire est avocat en droit des affaires et chef régional du commerce international à Dentons Canada. Il est également fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM).

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