Je lé€ve mon chapeau au remarquable travail accompli par MM. Charest et Pelletier lors de la dernié€re conférence des premiers ministres sur la santé. Mais apré€s toutes les déclarations et analyses parues dans les journaux sur l’entente asymétrique que le Québec a réussi aÌ€ négocier avec Ottawa au cours de cette conférence, je ne peux m’em- pé‚cher de penser qu’il y a quelque part un malentendu.

Dans cette entente, on oublie trop souvent de le mentionner, « le Québec souscrit globalement aux objec- tifs et principes généraux énoncés par les premiers mi- nistres fédéral, provinciaux et territoriaux dans le communiqué du 15 septembre 2004, dont l’objectif con- cernant l’accé€s en temps opportun aÌ€ des soins de qualité et celui visant aÌ€ réduire les délais d’attente. » Il confirme également « que son engagement aÌ€ l’égard des principes qui fondent son systé€me public de santé ”” soit l’univer- salité, la transférabilité, l’intégralité, l’accessibilité et l’ad- ministration publique ”” coïncide avec celui de l’ensemble des gouvernements du Canada ». En retour, le Québec obtient une reconnaissance de son droit d’exercer ses pouvoirs souverains en matié€re de santé de façon asymétrique pour tenir compte de sa réalité et de ses priorités spécifiques. Il obtient aussi une confirmation qu’il n’a de compte aÌ€ rendre aÌ€ personne d’autre qu’aÌ€ l’électorat québécois en ce qui a trait aÌ€ l’exercice des pou- voirs que lui confie en propre la Constitution.

Symétrie de principes et objectifs communs librement assumés par les partenaires de la fédération ; asymétrie des politiques et des moyens, y compris les moyens financiers, mis en branle par les divers États-membres pour réaliser ces objectifs ; enfin, obligation pour chaque ordre de gouverne- ment de répondre démocratiquement de l’exercice de ses pouvoirs souverains et de ses priorités budgétaires devant son propre électorat : tout cela me paraiÌ‚t é‚tre l’ABC du fédéralisme. Un ABC qu’on célé€bre aujourd’hui comme une trouvaille, tant le « nation building » unitaire et la mise en tutelle des provinces par le pouvoir de dépenser d’Ottawa sont entrés dans les mœurs du pays.

Ce qui devrait nous étonner dans cette entente, ce n’est pas que le Québec ait obtenu la reconnaissance de son droit aÌ€ l’exercice asymétrique de ses pouvoirs souverains sous le chapeau des principes et objectifs communs pan- canadiens auxquels il a souscrit, c’est que les autres provinces n’aient pas exigé le mé‚me type d’entente pour coller aÌ€ leurs besoins particuliers et demeurer maiÌ‚tresses de leurs priorités budgétaires.

Ce renoncement des provinces du ROC aÌ€ faire respecter leur droit aÌ€ la dif- férence et leur souveraineté locale en consentant sans restrictions aÌ€ dépenser, selon les priorités en soins de santé fixées par Ottawa, les sommes que M. Martin leur consent, apré€s les avoir affamés depuis 1995, n’annonce rien de bon pour un Québec décidé aÌ€ corriger le déséquilibre fiscal qui per- vertit aujourd’hui l’essence mé‚me du fédéralisme canadien.

Bien documenté par la Commission Séguin et par les travaux du nouveau Conseil de la fédération, ce déséquilibre fiscal permet aÌ€ Ottawa de pratiquer ce que Tom Courchene appelle un « fédéralisme du sablier ». Un fédéralisme ouÌ€ tout doit passer par le goulot d’étranglement du « systé€me- de-santé-priorité-numéro-un », dont les couÌ‚ts s’envolent mais que les provinces doivent continuer aÌ€ admi- nistrer et aÌ€ financer, en laissant leurs autres missions aÌ€ découvert pour arri- ver aÌ€ se conformer aux conditions que le gouvernement fédéral attache aÌ€ ses contributions aléatoires aux pro- grammes de santé. Car on ne le répé€tera jamais assez, de 50 p. 100 aÌ€ l’origine, ces contributions ont chuté aÌ€ 16 p. 100 avant que la Commission Romanov ne recommande de les porter éventuellement aÌ€ 25 p. 100 pour retourner aÌ€ la situation qui prévalait avant le budget Martin de 1995.

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Reste, malgré cela, un fait avec lequel tout le monde doit aujour- d’hui composer : la vaste majorité des Canadiens, au Québec et hors Québec, tiennent aÌ€ préserver l’intégrité de « leur » systé€me de santé public, quitte aÌ€ s’en remettre aux gros sous d’Ottawa pour garder les provinces au pas. Les premiers ministres provinciaux n’ont donc aucune chance d’obtenir une correction du déséquilibre fiscal actuel pour redonner une saine autonomie financié€re aÌ€ leurs gouvernements, s’ils ne consentent pas aÌ€ en payer le prix. Et je soutiens depuis des années, avec Tom Courchene, que ce prix c’est l’au- todiscipline que les provinces doivent s’imposer entre elles en se donnant, par codécision au sein d’un Conseil de la fédération, des principes et des objectifs communs, de mé‚me que des normes communes minimums, sanc- tionnés par une dénonciation publique des gouvernements délin- quants via un rapport annuel d’experts indépendants. Cela suppose de la part de toutes les provinces, y compris le Québec, de solides convictions fédéra- listes et une volonté ferme d’assumer elles-mé‚mes, plutoÌ‚t que de se les faire imposer par Ottawa, les responsabilités pan-canadiennes voire internationales qui découlent de leurs pouvoirs souverains locaux.

Si les provinces ne sont pas pré‚tes aÌ€ s’autodiscipliner de la sorte, elles n’auront ni la crédibilité morale ni la force politique qu’il leur faudra pour mettre fin aux paiements « conditionnels » d’Ottawa et obtenir la juste part de l’assiette fiscale qui leur revient de droit pour exercer de façon autonome et responsable les pou- voirs souverains qu’elles détiennent en vertu de la Constitution.

Tant du coÌ‚té du Québec que des provinces du ROC, il y a encore beau- coup de chemin aÌ€ parcourir pour en arriver laÌ€. Dans le domaine de la santé, les premiers ministres provinciaux ont mené une admirable réflexion depuis 1995, et la loi canadienne a au moins le mérite de définir clairement les principes communs que les provinces peuvent s’obliger aÌ€ respecter pour garantir l’intégrité du systé€me de santé canadien, le jour ouÌ€ Ottawa se retirera de leurs plates-bandes et qu’elles auront récupéré leur autonomie fiscale appuyée par un systé€me de péréqua- tion fédéral duÌ‚ment revu et corrigé.

Mais quels sont les principes, les objectifs communs et les normes communes minimums auxquels les provinces seraient pré‚tes aÌ€ s’obliger pour récupérer leur autonomie fiscale dans le domaine de l’éducation post- secondaire et de l’aide sociale, ouÌ€ le pouvoir de dépenser fédéral a suscité les querelles que l’on sait autour des bourses du Millénaire, des subsides aux universités, de la formation de la main-d’œuvre et du plafonnement des transferts au chapitre de l’assis- tance sociale (cap on CAP) imposé unilatéralement aux provinces riches par le gouvernement Mulroney?

En attendant l’avé€nement de cet inter-provincialisme responsable, décla- rer qu’on va dépenser pour d’autres mis- sions étatiques les sommes qu’on est allé chercher aÌ€ Ottawa pour les services de santé est sans doute, pour le Québec, une façon claire de refuser le « fédéralisme du sablier» pratiqué par Ottawa. Mais ce genre de propos, tout comme l’émer- gence tolérée au Québec d’une médecine aÌ€ deux vitesses, avec la multiplica- tion de cliniques payantes comme Médisys, ne peut que nuire au combat pour l’autonomie fiscale des provinces dont M. Charest s’est fait le champion aÌ€ plus long terme. Car la crédibilité de la parole donnée par une province est cruciale dans ce combat. Ou bien les provinces, et sin- gulié€rement le Québec, feront la preuve qu’elles peuvent s’autodiscipliner effi- cacement pour préserver l’intégrité de notre systé€me de santé public et assurer l’unité et la cohérence d’une authen- tique union fédérale canadienne, ou bien le reste du pays continuera de con- sentir au « nation building » unitaire canadien fondé sur le pouvoir de dépenser d’Ottawa. Et le Québec devra dire adieu aÌ€ la correction du déséquilibre fiscal qui nourrit aujourd’hui ce pouvoir de dépenser et le fédéralisme tutélaire qu’il engendre.

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