Il n’y a pas eu d’entente sur la santé le 15 septembre 2004. On ne parle mé‚me pas d’une entente-cadre, de nature administrative, comme celle de 1999 sur l’union sociale. Les premiers ministres ont simplement convenu d’émettre deux communiqués, l’un énonçant l’engagement des provinces aÌ€ présenter aux citoyens des informa- tions comparables sur les temps d’at- tente et aÌ€ préparer un plan de mise en œuvre graduelle de nouveaux services de soins aÌ€ domicile, l’autre ajoutant que le gouvernement du Québec fera la mé‚me chose, mais aÌ€ sa façon. Ces com- muniqués n’engagent mé‚me pas le gouvernement fédéral aÌ€ augmenter et aÌ€ indexer ses transferts. La contribu- tion financié€re d’Ottawa, qui constitue de toute évidence le nœud du pro- blé€me, est mentionnée séparément dans une « annonce » fédérale.
Formule souple et peu compromet- tante, le communiqué s’est imposé depuis quelques années comme une sorte d’ultime plancher de la coopération. On a d’abord écarté les ententes constitu- tionnelles au profit d’ententes adminis- tratives, puis, graduellement, ces dernié€res ont été ramenées aÌ€ des commu- niqués, ce qui permet aux uns de parler un peu librement d’ententes et aux autres d’en nier la signification et la portée aÌ€ long terme. Quant aux annonces, il ne s’agit plus vraiment de coopération. Cha- cun peut faire des annonces.
Des communiqués et une annonce donc, mais ne s’agit-il pas de docu- ments lourds de sens? d’une avancée importante? d’une percée majeure pour le Québec?
En un sens, oui. Il y a eu bien des ententes, des communiqués et des annonces depuis le début des années 1990 (sur la santé, les prestations pour enfants ou la main-d’œuvre) mais jamais n’avait-on accepté de parler ouvertement d’asymétrie dans la fédération. Le gouvernement du Québec voit dans ce premier pas un grand succé€s et envisage de tabler sur celui-ci pour aller de l’avant sur d’autres questions.
On verra. En attendant, il faut bien admettre que, au-delaÌ€ du principe, on parle d’une asymétrie remarquablement légé€re. Le communiqué, en effet, ne recon- naiÌ‚t au Québec que la possibilité d’établir ses propres indicateurs comparables, dans un domaine qui relé€ve sans ambiguïté de ses compétences. Les autres provinces, quant aÌ€ elles, feront de mé‚me en tenant compte de « points de repé€re » communs. Pour l’essentiel, son communiqué distinct permettra donc au Québec d’émettre d’autres communiqués distincts en la matié€re dans les années qui viennent. On comprend les électeurs québécois d’é‚tre demeurés un peu tié€des lors des élections partielles du 20 septembre !
L’enthousiasme des observateurs s’explique, évidemment, par la lourdeur des blocages antérieurs. Dans un pays qui a fait de la dissonance cognitive aÌ€ ce propos un mode de fonctionnement, la reconnaissance du fait québécois, mé‚me aÌ€ dose homéopathique, apparaiÌ‚t quand mé‚me réconfortante et permet, soyons bon prince, d’é‚tre un peu plus optimiste.
Parlant d’homéopathie, que dire du volet santé de ce nouveau plan décennal? Plus d’argent, des objectifs additionnels et de meilleurs indicateurs, n’est-ce pas aller encore un peu plus loin dans une mé‚me logique de sys- té€me, logique qui n’est pas sans pro- blé€mes? Probablement, et aÌ€ mon sens il s’agit plutoÌ‚t d’une bonne nouvelle.
Dans tous les pays développés, on parle de réformer des systé€mes de santé que l’on estime trop et de plus en plus couÌ‚teux. Avec des succé€s tré€s variables, presque tous les gouvernements pensent ces réformes sur un mode libéral et pré- conisent, encouragés en cela par les grandes organisations internationales, plus de marché, plus de compétition et plus de tickets modérateurs. Pourtant, comme le note le politologue Bruno Palier dans un remarquable petit ouvrage sur le sujet (La réforme des sys- té€mes de santé, Paris, PUF, 2004), ces réformes ne fonctionnent aÌ€ peu pré€s jamais. Paradoxalement, au nom du marché, elles proposent de généraliser les traits des modé€les qui sont les moins performants, soit les EÌtats-Unis et la Grande-Bretagne. Ces réformes réduisent rarement les couÌ‚ts et elles augmentent surtout les inégalités, en transférant cer- taines des dépenses du secteur public vers les usagers. Dans les circonstances, on peut se féliciter du relatif blocage de notre systé€me de santé.
Les soins de santé couÌ‚tent cher parce que nous sommes riches. Les citoyens des pays développés veulent des soins de qualité pour tous et ils sont disposés aÌ€ en payer le prix. Ils n’ont pas tort puisqu’ils sont aussi plus en santé que jamais.
Tant que l’on n’aura pas une approche véritablement convaincante aÌ€ proposer, il vaut mieux préserver nos acquis et consacrer aÌ€ la santé les ressources que le débat démocratique nous suggé€re d’y affecter. En attendant, si on veut vraiment faire des réformes, on pourra toujours approfondir et donner un sens aÌ€ l’asymétrie, en commençant avec l’assurance-médicaments par exem- ple. En juillet 2004, les provinces ont pro- posé un nouveau programme national en la matié€re, avec droit de retrait avec compensation pour le Québec. Ce pro- gramme aurait permis une avancée réelle et tangible de l’asymétrie. Les commu- niqués de septembre 2004 ne mention- nent mé‚me pas l’idée.