Avez-vous déjà tenté de critiquer la droite identitaire au Québec ? Ce n’est pas chose facile. Elle instrumentalise la langue, l’identité et l’histoire pour diviser la population et créer un espace de griefs ou toute critique est impossible. Ceux qui contestent les politiques de droite sont accusés de ne pas défendre les valeurs québécoises, et même de ne pas vouloir défendre la nation québécoise. Comme s’ils étaient de mauvais Québécois. 

En somme, la droite identitaire au Québec – qu’elle se dise de droite ou non – emploie des stratégies populistes, voire autoritaires. Sans vouloir tomber dans les raccourcis ou les exagérations, puisqu’il n’y a pas de fascistes au Québec, il est quand-même intéressant de comprendre les méthodes employées par les populistes – consciemment ou non –, telles que décrites par le philosophe Jason Stanley, qui s’est intéressé à la « légalisation » du fascisme aux États-Unis : 

« Le fascisme se nourrit d’un récit d’humiliation nationale supposée perpétuée par des ennemis internes, dit-il. Défendre un passé national fictif glorieux et vertueux, et présenter ses ennemis comme calomniant sournoisement la nation à ses enfants, est une stratégie fasciste classique pour attiser la colère et le ressentiment. » 

Humiliation nationale. Ennemis internes. Un passé fictif glorieux. Avouons que sur ces plans, nous ne sommes parfois pas si loin. 

Le ressenti plutôt que la réalité 

Les populistes, dont le présent gouvernement fait partie, adoptent un discours qui n’est pas empirique, jouant plutôt sur le ressenti. Un exemple flagrant est la loi 21, qui interdit les signes religieux chez les employés de l’État en position d’autorité et chez les enseignants. Oublions que la loi affecte de façon disproportionnée un petit segment de la population (les femmes musulmanes qui portent le voile) et qu’elle va à l’encontre de la Charte québécoise des droits et libertés (que le gouvernement a modifié sans l’unanimité de tous les partis et en utilisant le bâillon, une première). 

Oublions aussi qu’elle a surtout un impact à Montréal, où résident la plupart des Québécoises musulmanes. Retenons surtout qu’elle a été votée pour contrer le prosélytisme religieux à l’école, alors que ce problème n’existe tout simplement pas. On a donc soustrait la loi 21 à la Charte québécoise non pas pour répondre à un réel enjeu de société, mais plutôt pour réconforter une idée fictive de l’identité québécoise historique.  

Une autre nécessité du populisme est de créer des griefs mais ne pas reconnaître les griefs des « autres ». Dans une entrevue avec Patrick Huard réalisée l’an dernier, le ministre responsable des Affaires autochtones Ian Lafrenière a esquivé les questions de M. Huard sur le racisme systémique vécu par les francophones dans les années 1930 à 1980. En gros, il dit : « avec mon âge, je ne suis pas capable de juger », ce qui semble être une fuite un peu facile. Patrick Huard, lui, a fait remarquer au ministre Lafrenière que le Principe de Joyce, qui vise à garantir aux Autochtones un accès équitable aux services de santé et sociaux, « aurait pu être écrit par le Parti Québécois en 1972 ». 

Clairement, la ligne de parti de la CAQ et celle des populistes est de nier même la discrimination historique des francophones pour ne pas devoir reconnaître celle faite aux autres groupes… sauf si c’est pour mousser les divisions. Donc, on refuse la réalité empirique quand ça ne cadre pas avec la propagande souhaitée. Mais, quand ça appuie le narratif, on crie haut et fort à la discrimination et à la soumission des francophones par les « méchants anglos ».   

Qui est Québécois ? 

« Pour moi, un Québécois, c’est quelqu’un qui décide qu’il l’est, disait Pierre Falardeau. Quelle que soit sa langue, son origine ethnique, son sexe, sa couleur de peau, sa religion. Un peuple c’est fait de ça. Ça n’existe pas ça les Québécois ‟de souche”. Il y a des Québécois de toutes les câlices de souches ! Je veux pas savoir d’où le monde vient, je veux savoir où il va ! » 

Personne n’osera mettre en doute la ferveur indépendantiste du réalisateur de Speak White, Elvis Gratton, Octobre et 15 février 1839. Pourtant, Falardeau n’est jamais tombé dans une définition de l’identité qui morcelle ou divise, et qui exclut plus qu’elle ne rassemble. 

Au lieu de débattre à propos de qui est Québécois et qui ne l’est pas – ce qui, par définition, n’est pas très démocratique –, nous serions mieux servis en nous interrogeant sur comment faire le Québec. 

Il va de même avec l’attaque contre les « wokes ». Encore une fois, on tire sur la gâchette de l’arme utilisée par des réactionnaires qui résistent à l’évolution d’une société reflétant de plus en plus la diversité de sa population, et non plus seulement celle des ayants droits conventionnels : hommes, blancs, chrétien, d’une culture et sexualité traditionnelles. 

Il est également ironique de constater que ceux qui prétendent défendre le français reprennent sans le traduire un terme anglais américain. De plus, ils en déforment le sens, comme le montre la définition du dictionnaire Merriam-Webster : « Conscient et activement attentif à des faits et des enjeux importants (particulièrement les enjeux raciaux et de justice sociale) [traduction] ». Qu’y a-t-il de si menaçant dans cette définition, qui mérite d’en faire une insulte ? 

 

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Se faire confiance 

Certaines prémisses du débat linguistique et identitaire doivent être revues. Le français doit primer, être la langue commune et promue partout au Québec. Mais faut-il se fermer à l’incroyable richesse d’avoir la possibilité d’être bilingue dans la langue de communication mondiale ?  

L’anglais est historiquement implanté à Montréal. Il a donné naissance à une culture unique au monde et à des créateurs sans pareils. Il est une force qu’on peut accueillir sans complexes, si on se donne la peine de dépasser les griefs historiques. On doit se souvenir des époques où le français était méprisé et amoindri. Cet effort de mémoire est important et doit continuer. Mais on ne peut en rester là si on veut construire une société du 21e siècle. C’est précisément ce que souhaitent les populistes, qui instrumentalisent les blessures historiques pour nous garder dans la colère et le ressentiment.  

En fait, lorsqu’ils dénigrent ainsi le Québec qu’ils prétendent défendre, les populistes identitaires tombent eux-mêmes dans le piège du « Québec bashing ». Pour eux, le Québec est trop fragile et notre langue officielle trop faible pour qu’elle puisse s’affirmer sans attaquer et diminuer les autres. C’est la même logique qui nie l’existence du racisme systémique dont sont victimes les Autochtones ou les personnes de couleur, parce que les populistes identitaires y voient une attaque potentielle contre le Québécois moyen, ou en tout cas contre l’idée qu’ils s’en font. 

Un Québec confiant n’aura pas honte de se souvenir du racisme systémique dont ses habitants ont souffert, même si ça l’amène à accueillir les doléances d’autres peuples qui le vivent, ici comme ailleurs. Il ne verra pas comme une menace les autres langues qui s’ajoutent au français et dont les locuteurs aident ultimement à sa diffusion. Le Québec est beaucoup plus fort que la vision que les populistes identitaires en ont. Les quatre derniers siècles, souvent traversés dans l’adversité, l’ont bien montré. 

Enseignons les langues avec acharnement. Je n’ai jamais bien appris le français à l’école. Je ne connais personne qui peux dire avoir appris l’anglais ou le français en tant que langue seconde correctement à l’école. Dans bien des pays d’Europe, qui pourtant n’a pas une communauté anglophone historique, on apprend l’anglais dès le primaire. Parfois, même, une troisième langue. Ce sont des pays où l’immigration est moins importante qu’ici. Pour quelle raison le Québec s’enliserait-il dans un refus de manier plusieurs langues ? 

Je suis de langue maternelle italienne et j’ai étudié en anglais jusqu’à l’université. Je suis un fervent défenseur du français, j’aime le français et la culture française du Québec. Mais faire la promotion du français ne passe pas seulement par l’imposition de lois, de règles et d’interdictions. On adopte une langue pleinement quand on l’aime.  

Le monde est complexe, l’identité aussi. Mais la complexité, enrichissante, se plie difficilement aux slogans réducteurs. Acceptons la multiplicité des individus et de la société. Une société moderne, surtout une société d’immigration comme la nôtre, a une identité plus nuancée que simplement anglophone, francophone ou autre. Mes propres identités sont multiples. C’est « messy », mais c’est une force qui permet de naviguer dans le monde avec un peu plus d’empathie. On reconnaît les « autres » parce qu’on reconnaît que l’autre est en nous aussi.  

N’oublions pas que 14 % des Québécois sont nés ailleurs et que 9 % sont des immigrants de seconde génération. C’est aussi ça l’identité québécoise. Le seul État francophone du continent doit se souvenir que l’identité ne se force pas, ne s’impose pas. Nous sommes les mieux placés pour accueillir la différence en Amérique.  

*** 

« Je me sentais proche d’eux parce qu’ils ne se résignaient pas à voir disparaître toute trace française en Amérique du Nord […] ces gens qui tentait de donner forme à ce petit coin de continent américain […] pour maintenir sur le sol américain une autre culture, une autre option. » 

Leonard Cohen 

 

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Rudy Barichello
Rudy Barichello est cinéaste. Il est né à Montréal de parents immigrants italiens, a grandi et étudié en anglais jusqu’à l’université. Aujourd’hui, il vit et travaille dans les trois langues qu’il maîtrise, selon l’interlocuteur du moment.

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