Lorsqu’elle s’est déclarée dans la ville de Wuhan en Chine en décembre 2019, personne ne pouvait imaginer que la maladie à coronavirus allait se propager si rapidement dans le monde entier au point de devenir une crise sanitaire mondiale. Elle a imposé des choix qui ont démontré l’impréparation des États et ont amené une prise de conscience des limites objectives des systèmes sanitaires. La pandémie a ceci de singulier que même les pays les plus prospères qui sont dotés de systèmes de santé performants payent un lourd tribut en termes de pertes de vies, d’engorgement des hôpitaux et d’épuisement des professionnels qui combattent la maladie.

Alors que les pays développés ont déclaré être en « situation de guerre » contre la pandémie et déploient des moyens financiers colossaux pour la combattre, on peut penser qu’il est malvenu de demander (ou de s’attendre à) une quelconque solidarité de leur part envers des pays en développement. Or ces derniers ne disposent pas d’un système universel de santé publique ni de ressources financières pour compenser les pertes économiques engendrées par la crise sanitaire. De plus, leurs systèmes de santé peu développés (ou inexistants) sont déjà paralysés par d’autres maladies, comme le paludisme et la rougeole, sans parler d’autres maladies chroniques.

L’intérêt d’un soutien à l’Afrique

Même si l’Afrique a été tardivement touchée par la pandémie, 47 États sur les 54 que compte le continent ont enregistré des cas de COVID-19. Le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique), agence spécialisée de l’Union africaine, rapporte 16 640 cas confirmés et 878 décès pour l’ensemble du continent en date du 15 avril 2020. Les pays les plus gravement touchés sont l’Afrique du Sud, l’Égypte et l’Algérie. Il faut garder en tête qu’on sous-estime globalement la situation en raison des faibles capacités de beaucoup de pays à réaliser les tests.

Les réactions rapides des États pour fermer leurs frontières, confiner les populations et réaliser des campagnes de sensibilisation sont un révélateur des craintes suscitées par une propagation fulgurante de la COVID-19 sur le continent. Le secrétaire général de l’ONU António Guterres prédit une hécatombe pour le continent africain ; il affirme qu’il risque d’y avoir des millions de morts du coronavirus s’il n’y a pas une action coordonnée internationale. Il estime qu’un investissement de 3 000 milliards de dollars serait nécessaire pour éviter la propagation sans limites de l’épidémie. Cette déclaration sur fond de catastrophisme, qui a révoltée bon nombre d’Africains (qui la trouvaient à la fois exagérée et stigmatisante), vient en écho à l’alarme donnée par le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui appelle les gouvernements africains à « se réveiller » face à la pandémie et à prendre des mesures énergiques pour éviter des drames humains d’une ampleur sans précédent.

Mais que faire dans des pays où la survie quotidienne relève du miracle pour de larges proportions des populations tant urbaines que rurales ? Comment agir dans un contexte de sous-équipement sanitaire de certains pays de l’Afrique subsaharienne, qui ne comptent que 1 médecin pour 10 000 habitants contre 24 médecins pour 10 000 au Canada, et qui vivent des drames générés par les conflits et des catastrophes liées aux changements climatiques ? Comment mettre en œuvre des mesures de confinement pour des populations majoritairement cantonnées dans une économie de débrouille qui les oblige à se déplacer quotidiennement pour assurer leurs besoins de base ― notamment se nourrir ―, si bien qu’elles se trouvent devant une seule alternative : le coronavirus ou la famine ?

Le continent africain ne peut être laissé seul à son sort. C’est même dans ce contexte de crise généralisée que la solidarité internationale et des réponses coordonnées à l’échelle mondiale sont encore plus impératives.

Le continent africain ne peut être laissé seul à son sort. C’est même dans ce contexte de crise généralisée que la solidarité internationale et des réponses coordonnées à l’échelle mondiale sont encore plus impératives. Le premier ministre Justin Trudeau l’a souligné à la réunion du G7 (par visioconférence) à la mi-mars : « … aider les autres, c’est une façon de s’aider aussi. » Quant au quotidien Le Monde, il rappelle dans un éditorial que vaincre la COVID-19 suppose d’aider l’Afrique. Si les pays du Nord arrivent à endiguer la pandémie à l’intérieur de leurs frontières nationales et que les pays en développement continuent de se battre contre la COVID-19, le problème n’aura pas été réglé. António Guterres, dans l’entretien cité plus haut, abonde dans ce sens : « … la maladie reviendra du Sud vers le Nord. Alors, c’est dans l’intérêt des pays du Nord de faire cet investissement massif en Afrique. » Si les autres continents arrivent à juguler le fléau de la COVID-19 et que les pays africains continuent d’y faire face, les risques de contamination ne disparaîtront pas à l’échelle planétaire en raison des mobilités et des dynamiques de la mondialisation.

Les États africains doivent être conscients de leurs propres responsabilités et s’engager résolument dans la lutte contre la pandémie en adoptant des mesures appropriées aux plans sanitaire, économique, environnemental, politique et institutionnel, en faisant preuve d’une gestion vertueuse des ressources publiques affectées à cet effet et en prenant des actions adéquates pour aider leurs populations.

Le soutien international pourra ainsi apparaître comme un appoint à ces efforts faits sur le plan national. Celui-ci pourrait revêtir des formes variées. La première priorité est certainement d’accompagner les pays africains dans le rehaussement considérable de leurs capacités de riposte sanitaire à la COVID-19 : relèvement du plateau technique, augmentation de l’équipement de protection, mobilisation des ressources humaines et matérielles nécessaires. La prise en charge des conséquences sanitaires devrait aller de pair avec un renforcement de la résilience socioéconomique face à la pandémie. Plusieurs mécanismes peuvent être envisagés pour y arriver : aide alimentaire d’urgence, appui aux plans de gestion des conséquences de la pandémie, allègement de la dette, soutien aux plans de relance économique post-pandémie, subventions institutionnelles, etc.

Ainsi, pour répondre à la demande des pays les moins nantis, les Nations unies se sont ― finalement ― accordées sur un premier texte depuis le déclenchement de la pandémie. Le jeudi 2 avril, l’Assemblée générale de l’ONU a approuvé par consensus une résolution appelant à l’« intensification de la coopération internationale » et « au multilatéralisme » pour combattre la pandémie. Elle demande au système des Nations unies de « travailler avec tous les acteurs concernés afin de mobiliser une réponse mondiale coordonnée à la pandémie et à ses effets sociaux, économiques et financiers négatifs sur toutes les sociétés ».

Pour un leadership international du Canada

Le Canada est appelé à assumer un leadership plus marqué dans le mouvement de solidarité envers les pays les moins nantis, notamment les pays d’Afrique subsaharienne. Le gouvernement a montré au cours des derniers mois sa volonté d’être solidaire des pays en difficulté. Dès le 11 février 2020, il a versé 2 millions de dollars à l’OMS pour qu’elle aide les pays vulnérables à se préparer à la COVID-19. Le 11 mars, il a annoncé un soutien financier additionnel de 50 millions de dollars à l’OMS et à d’autres partenaires pour lutter contre la crise sanitaire. Finalement, le 5 avril, la ministre du Développement international Karina Gould a dévoilé que cette enveloppe sera augmentée à 159,5 millions de dollars (comprenant la somme de 50 millions accordée le 11 mars) pour soutenir les efforts internationaux de lutte contre la pandémie. Ces apports permettront aux pays bénéficiaires de faire face aux effets désastreux de la pandémie qui amplifient leurs vulnérabilités déjà très prononcées aux plans économique, sanitaire, environnemental et social.

Le Canada a un rôle de premier plan à jouer dans cette coordination des efforts multilatéraux face à la COVID-19. Il a été l’un des premiers pays à débloquer un soutien financier aux pays en difficulté malgré quelques réactions négatives de son opposition, notamment du Parti conservateur, aux yeux de qui l’aide aux pays étrangers pouvait attendre et les efforts devaient porter exclusivement sur le soutien aux Canadiens. Le Canada a toujours privilégié une approche multilatérale dans son aide au développement. Cette approche est encore plus indispensable à l’heure de la COVID-19, qui n’a que faire des frontières. Sans prêcher pour une instrumentalisation de son soutien, le Canada trouve ici de belles occasions de marquer des points dans sa quête d’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Le vote de la majorité des pays africains lui étant indispensable pour damer le pion à ses deux concurrents européens que sont l’Irlande et la Norvège.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

Photo : Rue animée à Dakar, au Sénégal, novembre 2019. Shutterstock / Curioso.Photography.

Do you have something to say about the article you just read? Be part of the Policy Options discussion, and send in your own submission, or a letter to the editor. 
Marie Fall
Marie Fall est professeure en coopération internationale, géographie et aménagement durable à l’Université du Québec à Chicoutimi, responsable du Laboratoire d'études et de recherches appliquées sur l'Afrique.
Mamadou Dimé
Mamadou Dimé, sociologue, est enseignant-chercheur au Département de sociologie de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, au Sénégal.

You are welcome to republish this Policy Options article online or in print periodicals, under a Creative Commons/No Derivatives licence.

Creative Commons License