Dans plusieurs pays, les citoyens applaudissent dans l’embrasure de leurs portes et sur leurs balcons pour manifester leur reconnaissance aux travailleurs de la santé. La crise sanitaire met en lumière une évidence flagrante, mais souvent ignorée : sans eux, notre système de santé ne pourrait fonctionner. Toutes les formes de soins nécessaires pour réagir à la crise de la COVID‑19 exigent l’intervention du personnel de la santé. Sans eux, les respirateurs ne fonctionneraient pas et les tests de dépistage ne se feraient pas.

Sur les graphiques d’évolution épidémiologique, les capacités du système de santé sont représentées par une droite horizontale, correspondant au seuil de saturation. Aplatir la courbe a pour objectif de ralentir la propagation du virus afin que le taux d’infection ne dépasse pas les capacités. Or la droite sur le graphique donne l’impression que celle-ci est fixe. Ce n’est pourtant pas le cas.

La distanciation sociale aide à diminuer la demande de services de santé, mais que faire pour renforcer la capacité du système et garder une longueur d’avance sur la montée de la courbe épidémique ?

Un des buts de la distanciation sociale est de donner le temps nécessaire au réseau de la santé pour qu’il puisse accroître sa capacité en ressources physiques. Toutefois, même s’il apparaît que nous aplatissons la courbe, les données qui permettent d’établir les modèles sont entourées d’incertitudes. Par exemple, on ne sait pas s’ils tiennent compte de toutes les capacités de l’effectif du réseau de la santé et, si c’est le cas, de quelle façon.

La capacité du réseau ne se limite pas au nombre de médecins, d’infirmières, d’inhalothérapeutes ou d’autres professionnels. Les champs d’exercices et les activités réservées varient grandement selon les populations à soigner, le cadre de travail et les règles de chaque profession. Il faut donc évaluer l’effectif en tenant compte de l’existence des compétences transférables.

En effet, la modélisation des effectifs ne devrait pas uniquement représenter l’organisation habituelle du travail. En temps de crise, lorsque le système de la santé doit se mobiliser et faire preuve de résilience et de réactivité, il faudrait tenir compte des aménagements possibles et montrer quelle capacité pourrait être déployée si l’on faisait un usage optimal des ressources disponibles.

Autrement dit, comment tirer le plein potentiel des effectifs du réseau de la santé pour hausser les capacités ?

Pour affronter la crise, il faudra réorganiser des tâches et tirer profit de l’éventail complet des compétences des effectifs. Par nécessité, les milieux à faibles ressources sont habitués à faire plus avec moins, mais aujourd’hui, même les pays les plus riches repensent le partage des tâches et redéploient les ressources humaines à leur disposition.

Au Royaume-Uni par exemple, toutes les personnes qui possèdent des compétences en sédation, dont les infirmières dentaires du National Health Service, ont été rappelées au travail pour participer à la lutte contre la COVID‑19. En Australie, les physiothérapeutes ont été intégrés aux équipes de soins respiratoires intensifs. D’autres bassins de main-d’œuvre, notamment les stagiaires et les retraités, ont également été mobilisés.

Pour bien accomplir cette réorganisation, il faut savoir qui sont les membres du personnel de la santé, où ils se trouvent et quelles sont leurs compétences. Ça peut sembler simple, mais en réalité, au Canada, les données à ce sujet sont souvent fragmentées, désuètes ou difficiles d’accès.

Avec une meilleure banque de données sur les effectifs en santé, nous pourrions acquérir la souplesse nécessaire pour permettre aux professionnels de réagir efficacement face aux pandémies.

Avec une meilleure banque de données et une meilleure coordination de l’affectation des effectifs, nous pourrions résoudre de nombreux problèmes du réseau de la santé et acquérir la souplesse nécessaire pour permettre aux professionnels de réagir efficacement face aux pandémies.

Le temps est venu pour les dépositaires de données sur le personnel de la santé — les autorités réglementaires, les assureurs, les employeurs, les associations professionnelles, les établissements scolaires et tous les ordres de gouvernement — de coopérer à la collecte et à l’échange d’information.

Les procédures et les solutions que nous aurons adoptées par nécessité durant la pandémie devraient être conservées et améliorées après la crise. Il faut saisir l’occasion de renforcer notre système de santé. Tant maintenant qu’en temps normal, l’efficacité du système repose sur l’accès à des données récentes de qualité supérieure, propres à éclairer la prise de décision.

La création d’une banque de données des effectifs permettra de préserver le bien-être et la productivité du personnel de la santé. Nous serons en mesure d’assurer leur sécurité, puisque nous pourrons prédire qui aura besoin de matériel de protection et veiller à ce que cet équipement indispensable soit mis à leur disposition au bon endroit et au bon moment. Nous serons également capables de protéger la santé psychologique des travailleurs en prévoyant des charges de travail raisonnables et des mesures de soutien adéquates.

Il est plus que jamais temps de manifester notre appui à nos précieux travailleurs de la santé en les incluant explicitement dans la planification de la gestion des effectifs et en instaurant des politiques et des pratiques de protection. Autrement, autant applaudir d’une seule main.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

Photo : Des travailleurs de la santé d’un hôpital de Valence, en Espagne, répondent par leurs applaudissements à ceux des citoyens qui les encouragent chaque soir. Shutterstock / mediamasmedia.

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Ivy Lynn Bourgeault
Ivy Bourgeault is a professor in the school of sociological and anthropological studies at the University of Ottawa and leads the Canadian Health Workforce Network.
Sarah Simkin
Sarah Simkin est chercheuse au Réseau canadien des personnels de santé et à l’Université d’Ottawa.
Caroline Chamberland-Rowe
Caroline Chamberland-Rowe est chercheuse au Réseau canadien des personnels de santé et à l’Université d’Ottawa.

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