«Les Canadiens font partie de ceux qui doivent payer les prix les plus élevés pour des médicaments d’ordonnance au monde », admet le gouvernement fédéral dans son communiqué de presse annonçant le rapport provisoire du Conseil consultatif sur la mise en œuvre du régime national d’assurance-médicaments. Et quoique le gouvernement, dans son budget du 19 mars, réaffirme son intention d’établir un régime national, il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

Les Canadiens auraient souhaité obtenir des détails sur la mise en œuvre et le financement d’un tel régime. Le rapport (dont le budget reprend les principaux éléments) fait plutôt trois recommandations de base, en proposant de créer une agence nationale des médicaments, de dresser une liste nationale complète des médicaments d’ordonnance et d’investir dans des systèmes de technologie de l’information à l’appui. Ce sont de très petits pas mais, au moins, ils vont dans la bonne direction.

Selon un récent sondage national, au moins 20 % des Canadiens ont, pour les médicaments d’ordonnance, une couverture insuffisante ou pas de couverture du tout. De plus, 23 % des participants mentionnent qu’eux-mêmes ou un membre de leur ménage n’ont pu prendre les médicaments dont ils avaient besoin en raison de leur coût. En 2016, plus de 700 000 Canadiens ont dû se priver de nourriture pour pouvoir payer leurs médicaments.

Alors, qu’est-ce qui nous empêche d’instaurer un régime national d’assurance-médicaments ?

Le système actuel, inefficace, constitué de régimes privés et publics disparates dans lesquels une grande part des coûts est assumée par les bénéficiaires eux-mêmes, profite généreusement à des sociétés et des particuliers aux poches pleines. Ces sociétés et ces nantis ont intensifié leur campagne contre un régime national d’assurance-médicaments dès que le gouvernement fédéral s’est dit prêt à étudier la question. « Le club qui roule sur l’or » est composé des géants pharmaceutiques et de l’industrie des assurances de même que de milliardaires, au pays comme à l’étranger.

Les politiques sur les médicaments d’ordonnance au Canada devraient être élaborées en fonction de l’intérêt véritable des Canadiens et non pas fondées sur le pouvoir des lobbyistes. C’est pourquoi une coalition d’organismes revendique depuis plus de 20 ans un régime national d’assurance-médicaments fondé sur les principes d’universalité, d’accessibilité, d’intégrité et de transférabilité, un régime administré par l’État et à payeur unique.

La Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers a demandé à la chercheuse universitaire Sharon Batt de mener une étude et de rédiger un rapport mettant en lumière les motivations des richissimes entreprises et individus qui s’opposent au régime.

Nous n’avons pas été surpris de lire, dans le rapport, que le secteur pharmaceutique et celui des assurances baignent dans un contexte commercial extrêmement lucratif pour eux… et coûteux pour le reste d’entre nous. Afin de protéger leurs profits, les lobbys des compagnies pharmaceutiques et d’assurances ont entrepris une campagne méthodique, bien financée, dans le but de convaincre le gouvernement fédéral de ne pas donner suite à un régime à payeur unique et fondé sur le bon sens.

Des sommes colossales sont en jeu

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Les géants pharmaceutiques font des profits faramineux (plus de 20 % par année). Le prix des médicaments a augmenté, et les médicaments brevetés et très dispendieux constituent 40 % des ventes au Canada — ce chiffre était de 8 % en 2006. Les compagnies d’assurances couvrant les soins de santé au Canada, déréglementées en 1990, font des profits dans les milliards grâce au très lucratif marché des prestations de maladie.

Le rapport de Sharon Batt révèle que la campagne contre le régime national d’assurance-médicaments, menée par Le club qui roule sur l’or, avait trois principaux objectifs. Le premier était d’influencer le pouvoir central, en inondant la Colline du Parlement de lobbyistes et en faisant des annonces ciblées. En 2017 et 2018, les activités non commerciales du représentant de l’industrie pharmaceutique Médicaments novateurs Canada ont augmenté de 500 %. Le nombre de leurs réunions s’est accru considérablement, passant de 18 en 2017 à 104 en 2018, année où le gouvernement Trudeau a annoncé le Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments. Le deuxième objectif était de semer le doute dans la population en faisant circuler dans les médias grand public des rumeurs et opinions en défaveur d’un régime à payeur unique. Le troisième objectif a été d’inciter Washington à exercer une pression diplomatique et commerciale sur Ottawa.

Un régime national d’assurance-médicaments intelligent et bien conçu, pour tous et à payeur unique, se traduirait par des milliards de dollars d’économies dans le secteur de la santé, créerait un système de soins de santé plus solide et permettrait de meilleurs traitements pour des millions de Canadiens. Selon les études, en l’absence d’un tel régime, le Canada gaspille jusqu’à 14 000 dollars à la minute, sept jours sur sept, dans le secteur de la santé, et des milliers de Canadiens meurent prématurément chaque année parce qu’ils ne peuvent payer les médicaments qui leur sont prescrits.

Les Canadiens sont prêts. Selon un nouveau sondage d’opinion mené par Environics auprès du grand public, 84 % d’entre eux appuient la couverture des médicaments d’ordonnance par un régime public de soins de santé, comme c’est le cas pour la couverture des soins médicaux et hospitaliers.

Une victoire politique est possible à celui qui osera agir fermement en faveur d’un régime national d’assurance-médicaments. Comme le conclut Sharon Batt : « Les Canadiens doivent exiger que nos représentants élus adoptent des politiques éclairées qui défendent les intérêts de tous les Canadiens plutôt que seulement ceux des bien nantis. »

Nous sommes prêts pour un régime national d’assurance-médicaments… ici et maintenant.

Photo : Shutterstock / Belish


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Linda Silas
Linda Silas est présidente de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers (FCSII), représentant près de 200 000 infirmières et infirmiers, ainsi que des étudiantes et étudiants en sciences infirmières au pays.

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