On peut, bien sër, se fier aux sondages faits tout de suite après l’élection de Stéphane Dion au congrès libéral de décembre dernier pour noter une hausse ”” significative mais modeste ”” des appuis au PLC. On peut aussi se fier au comportement des principaux acteurs de la scène politique, un indicateur qui tend à être beaucoup plus fiable à long terme.

Au moment où j’écris ces lignes, tout juste un mois après l’élection de Stéphane Dion, on constate qu’il a réussi à consolider l’alliance entre un premier ministre libéral à Québec et un premier ministre conservateur à Ottawa, une alliance qui semble aujourd’hui aussi forte qu’au temps de Robert Bourassa et Brian Mulroney.

Peu avant l’élection de M. Dion, le gouvernement de Jean Charest avait pourtant commencé à prendre ses dis- tances du gouvernement Harper, en particulier en ce qui a trait aux questions environnementales. Depuis, on a assisté à un recentrage du gouvernement Harper et à un rapproche- ment marqué entre Québec et Ottawa.

Pourquoi? Parce que le gouvernement Charest, dont le mandat traditionnel de quatre ans se termine au printemps de 2007, a un intérêt marqué à discuter de la place du Québec au sein de la fédération canadienne avec un gou-vernement conservateur plutôt qu’avec le PLC dirigé par Stéphane Dion.

En clair, les fédéralistes du Québec ”” dont la grande majorité se retrouve dans la mouvance du Parti libéral du Québec ”” n’ont pas la même vision du Canada que Stéphane Dion et sont plus à l’aise avec celle de Stephen Harper. Comme le disait Jean Charest au lendemain de l’élection de M. Dion, « il devra se mettre à l’écoute du Québec ».

Au plan personnel, cela remonte à la nomination de M. Dion comme ministre fédéral des Affaires intergou- vernementales, peu après le référendum de 1995, à l’époque où Jean Charest était le chef conservateur à Ottawa. M. Charest était vite devenu le principal et le plus efficace critique des initiatives du gouvernement fédéral que l’on avait fini par appeler « Plan B », que ce soit le ren- voi à la Cour suprême sur l’accession à la souveraineté ou la loi sur la clarté.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Jean Charest au Québec, en avril 2003, les relations entre M. Dion et le gouvernement du PLQ ne se sont pas améliorées. Comme ministre de l’Environnement, M. Dion avait de si mauvais rapports avec son homologue québécois, Thomas Mulcair, que celui-ci avait déclaré à l’Assemblée nationale, après une réunion avec M. Dion, que « le mot ”œméprisant” ne suffit pas pour décrire ce que j’ai rencontré ».

Le ministre le plus fédéraliste du gouvernement fédéraliste du Québec avait même ajouté qu’après avoir ren- contré M. Dion, il pouvait comprendre pourquoi des gens pouvaient devenir souverainistes !

M. Dion s’est également opposé à une initiative du gouvernement Harper qui allait tout à fait dans le sens des demandes traditionnelles du PLQ, soit d’accorder une place au Québec dans la délégation canadienne à l’UNESCO. 

Dans le récent débat sur la reconnaissance du Québec comme nation, M. Dion a fini par voter pour la résolution présentée par le premier ministre Harper, mais seulement après s’y être opposé au cours d’un débat interne au PLC.

Cependant, la principale différence entre le PLQ et le PLC de Stéphane Dion touche la question du déséquilibre fis- cal. M. Dion refuse toujours de reconnaître qu’il existe un déséquilibre entre les revenus disponibles aux deux paliers de gouvernement et les respon- sabilités que doivent assumer les provinces.

Il a pourtant ouvert une porte en se disant d’accord avec une réforme de la péréquation, ce que M. Charest a qualifié d’encourageant mais insuffisant.

Il faut noter que, pour le gou- vernement Charest, le déséquilibre fis- cal n’est pas uniquement un problème de chiffres et de surplus fédéraux, mais surtout une question de responsabi- lités. Ainsi, les provinces auront, au cours des prochaines années, des responsabilités, comme la santé ou les infrastructures, qui coëteront de plus en plus cher.

Il faut noter que M. Dion est très certainement plus respectueux des champs de compétences des provinces qu’on ne l’a traditionnellement été au Parti libéral du Canada. Pas question pour lui, par exemple, de s’ingérer dans des domaines comme l’éduca- tion : à l’époque, il s’était opposé à l’initiative du gouvernement Chrétien de créer les Bourses du millénaire.

Mais il reste que les différences sur la conception du fédéralisme entre les libéraux de Québec et d’Ottawa sont majeures. Ajoutons à cela les difficultés bien connues de M. Dion de travailler avec des gens avec lesquels il n’est pas d’accord. Il n’est pas étonnant alors qu’on assiste à un rapprochement entre le gouvernement de Jean Charest et celui de Stephen Harper, une alliance qui ne va pas sans rappeler celle qui existait entre Robert Bourassa et Brian Mulroney.

Le récent recentrage du gouverne- ment Harper, qui s’est manifesté surtout par le remaniement ministériel du 4 janvier dernier, va tout à fait dans le sens de ce que souhaiterait le PLQ.

Le ministre Benoît Pelletier, responsable des relations fédérales- provinciales dans le gouvernement Charest, ne tarissait pas d’éloges envers ce recentrage et n’y voyait même pas la pointe d’un opportunisme électoral.

La nomination de John Baird à l’Environnement, disait-il, est une indication d’un virage vert, cher au gouvernement du Québec. La démo- tion de Vic Toews de la Justice devenait une indication du recentrage du gou- vernement et marquait un rapproche- ment vers les valeurs québécoises, plus axées sur la réhabilitation que la puni- tion. Même l’arrivée de Rona Ambrose aux Affaires intergouvernementales était bien vue : M. Pelletier avait bien travaillé avec elle quand elle était dans l’opposition et critique de ce dossier.

Mais si l’intérêt de M. Charest est manifeste, quel est donc l’in- térêt de Stephen Harper de régler le dossier du déséquilibre fiscal et de met- tre en place le « fédéralisme d’ouver- ture» dont il avait parlé lors de la dernière campagne électorale? La possibilité de l’élection du Parti québécois.

M. Harper a besoin de la réélection de Jean Charest, parce que l’arrivée d’André Boisclair et d’un gouvernement souverainiste serait le pire des scénarios pour lui, compromet- tant ses propres chances de réélection.

Largement considéré comme le père de la loi sur la clarté””en fait, M. Dion ne l’estimait pas nécessaire ”” le nouveau chef libéral aurait un net avantage sur M. Harper en ce qui concerne la question de l’unité nationale, qui a toujours été la force, pour ne pas dire le fonds de commerce, du Parti libéral.

Mais il est aussi évident que certains plans de réformes institu- tionnelles de M. Harper, en particulier la réforme du Sénat, seraient probable- ment compromis si M. Boisclair devenait premier ministre.

En fait, on pourrait presque dire qu’en plus du couple Charest-Harper il s’en est formé un autre, tout aussi intéressant, celui de Stéphane Dion et André Boisclair, l’un servant de repoussoir à l’autre, comme à l’époque Jacques Parizeau parlait de Jean Chrétien comme de son « vilain de western ».

Ce n’est certainement pas la pre- mière fois dans l’histoire canadienne que l’on constate que souverainistes québé- cois et libéraux fédéraux sont, en quelque sorte, des alliés objectifs; leurs idéologies sont bien différentes, mais leurs intérêts électoraux tendent plutôt à converger.

C’est ce qui fait qu’au cours des prochains mois la priorité politique du gouvernement Harper devra être la réélection de Jean Charest. Cela devra se manifester de façon particulière lors du prochain budget fédéral, où le gou- vernement du Québec s’attend à voir au moins un début de règlement du déséquilibre fiscal.

Si, en plus, il devait régner une cer- taine harmonie entre Québec et Ottawa en ce qui concerne les dossiers les plus importants, comme l’environnement ou la justice, il est bien possible qu’on observe, le temps venu, un regain d’ap- puis pour les conservateurs fédéraux.

Jusqu’à maintenant en tout cas, l’ar- rivée de M. Dion à la tête du Parti libéral a correspondu, selon les sondages, à une hausse des appuis aux PLC, mais tout indique qu’elle soit géo- graphiquement plutôt limitée. Les libéraux auraient regagné leurs appuis traditionnels dans la grande région de Montréal, mais ceux-ci demeureraient fort modestes dans le reste du Québec.

Cela signifie que M. Dion pourrait sans doute reprendre la demi-douzaine de sièges traditionnellement libéraux que le Bloc québécois lui a ravis à la dernière élection.

Dans le reste du Québec, cepen- dant, on assisterait plutôt à une lutte à deux entre le Bloc québécois et les con- servateurs, ce qui permettrait à ceux-ci d’augmenter éventuellement leur nom- bre de sièges au Québec. À l’inverse, une meilleure performance de M. Dion pourrait diviser le vote fédéraliste, ce qui favoriserait le Bloc québécois.

Comme dans le temps de Robert Bourassa et Brian Mulroney, l’aide du PLQ sur le terrain pendant la campagne électorale pourrait se révéler cruciale pour les conservateurs, qui n’ont tou- jours pas de véritable organisation élec- torale au Québec.

Un tel renvoi d’ascenseur avait permis aux conservateurs d’obtenir deux gouvernements majoritaires de suite pendant les années 1980. Mais c’était avant l’existence du Bloc québé- cois, aussi ne faut-il pas s’attendre à ce que les conservateurs balaient le Québec francophone comme ils l’avaient fait en 1984 ou 1988.

Lors du prochain scrutin fédéral, dans plusieurs régions du Québec, les luttes les plus intéressantes seront celles qui opposeront les candidats conserva- teurs à ceux du Bloc québécois. 

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