
Je commençais aÌ€ me dire que Beijing était plus propre qu’en 1997; plus propre aÌ€ en juger par la quantité moindre de déchets de toutes sortes jonchant le sol. Mais le nombre de voitures a grandement augmenté, et l’air pique les yeux et la gorge. L’eau n’est toujours pas potable et mé‚me les locaux la font scrupuleusement bouillir avant de la consommer. Et je suis tombé sur cet article du China Daily, publication quasi officielle. En date du 17 mai 2005, le ministre chinois de l’Agence d’EÌtat de Protection de l’Environnement (SEPA, State Environment Protection Administration), Xie Zhenhua, expliquait que la dégrada- tion de l’environnement en Chine s’était accélérée, au point de remettre en cause la croissance, car ses couÌ‚ts pourraient atteindre « au moins 15 p. 100 du PIB ». Il gaÌ‚chait ainsi le spectacle d’une Chine sur la voie d’un développement rapi- de et du meilleur des mondes.
Malgré les investissements importants consentis par le pays dans la lutte contre la pollution et la protection de l’en- vironnement, expliquait le ministre, la rapidité du développe- ment et ses formes menacent la durabilité de la croissance.
Le ministre a étayé ses dires avec ces faits trou- blants : pré€s de 37 p. 100 du territoire (3 500 000 km2) est affecté par une forte érosion, et cette surface aug- mente de 15 000 km2 chaque année. Plus de 90 p.100 des rivié€res qui traversent des villes sont « tré€s polluées ». Les usages de l’eau ont dépassé le seuil de danger en Chine du Nord, mettant en question la pérennité de la ressource, et les aquifé€res voient leur niveau diminuer sans cesse dans la plaine de Chine du Nord, région qui produit environ 40 p. 100 des céréales chinoises. Va-t-on vers une crise réelle de l’eau en Chine? Celle-ci pourrait- elle s’étendre aÌ€ d’autres régions?
La plaine de la Chine du Nord est confrontée aÌ€ un grave problé€me de rareté de la ressource en eau. Cette si- tuation tré€s préoccupante, qui se traduit par des tensions croissantes pour le partage d’une ressource relativement rare en Chine du Nord, est aÌ€ l’origine du grand projet de transfert massif Sud- Nord du Yangze vers le Huanghe (fleuve Jaune) et la région de Beijing et Tianjin.
Voici seulement 20 ans, la ques- tion de la disponibilité de la ressource pour les villes ne se posait gué€re en Chine, mais la consommation a cruÌ‚ si rapidement que le nord du pays fait maintenant face aÌ€ une situation de manque chronique. Depuis 1995, la demande aÌ€ Pékin est supérieure aÌ€ la capacité du réseau, obligeant les autorités aÌ€ mettre en œuvre un sys- té€me de rationnement et aÌ€ augmenter les tarifs de l’eau. A Beijing, ceux-ci sont passés de 2 yuans (24 ¢) en 2001 aÌ€ 4,5 yuans (54 ¢) en mai 2005.
Pourtant, les Chinois ne sont pas des Américains ou des Canadiens : pas de piscines privées ici, ni de pelouses aÌ€ arroser en permanence, ni mé‚me d’allée de garage aÌ€ nettoyer au jet d’eau par des propriétaires paresseux. Bien entendu, les Chinois lavent leurs voitures : avec un petit seau d’eau. Plusieurs personnes m’ont mé‚me confié recycler l’eau du bain pour la chasse d’eau, par exemple. Mais Beijing n’est pas Montréal ni Toronto : 8,3 millions d’habitants en 1970, 13 millions en 2004. Une popula- tion encore en forte croissance, un niveau de vie en hausse qui induit une augmentation de la demande en eau, en hygié€ne accrue (personnelle, lessive) et en équipements publics de loisirs (fontaines, piscines publiques, parcs aÌ€ arroser), et des fuites dans un réseau énorme expliquent la croissance con- tinue de la demande.
Le pompage excessif de la nappe phréatique a fait plonger le niveau de celle-ci de 6 m sous la surface en 1950 aÌ€ 50 mé€tres en 1994, puis aÌ€ 61 mé€tres en 1999, soit une baisse de pré€s d’un mé€tre par an. La pollution vient aggraver le manque d’eau. Les équipements de traitement des eaux usées urbaines comme industrielles sont souvent sommaires, tandis que la pollution d’origine agricole s’étend. Les décharges et les dépotoirs sont peu réglementés et non isolés ; de leurs montagnes de déchets s’écoule un li- quide indéfinissable qui s’infiltre dans les aquifé€res ou rejoint les cours d’eau.
En 1995, un rapport de la Commission d’EÌtat aÌ€ la Planification estimait que 74 des 270 villes manquant d’eau avaient vu leurs réserves hydrauliques contaminées par la pollu- tion. On l’a vu, pré€s de 90 p. 100 des cours d’eau traversant des aggloméra- tions sont considérés comme tré€s pol- lués et leur eau impropre aÌ€ la consommation. Cette pollution incite, aÌ€ son tour, les autorités locales aÌ€ multi- plier les forages et les pompages dans les aquifé€res afin de disposer d’une eau de qualité acceptable, contribuant en cela aÌ€ la baisse rapide du niveau de ces nappes.
Par ailleurs, si la consommation en eau a explosé dans les villes, la consommation rurale n’est pas demeurée en reste. Les surfaces agri- coles irriguées ne représentaient que 16 p. 100 de la surface agricole utile en 1949, contre 45 p. 100 en 1975. Dans le nord du pays sont concen- trées 70 p. 100 des terres irriguées pour 20 p. 100 de l’eau disponible. L’irrigation y est surtout assurée par un nombre croissant de puits de plus en plus profonds pour exploiter les nappes phréatiques, ce qui a provo- qué la chute globale des nappes des plaines du nord du pays d’environ 1,5 m par an de 1993 aÌ€ 1998. Depuis le début de la décennie 1990, le fleuve Jaune se tarit régulié€rement sur des tronçons de plus en plus longs, 704 km pendant 226 jours en 1997.
Face aÌ€ une demande sans cesse crois- sante, le gouvernement a lancé en décembre 2002 un grand chantier : détourner les eaux du Yangze ou de ses affluents vers le nord de la Chine par trois canaux majeurs. Le premier, ou voie occidentale, aÌ€ partir de l’amont du Yangze, suppose la traversée d’une zone tré€s montagneuse, pour apporter 19,5 milliards de m3 par an dans le cours du haut fleuve Jaune ; le second dériverait 15 milliards m3 de la rivié€re Han vers le fleuve Jaune et la région de Beijing ; le troisié€me, aÌ€ l’est, reprendrait le tracé du Grand Canal du VIIe sié€cle vers Tianjin pour y acheminer 9 milliards de m3. AÌ€ titre de comparaison, le débit du Saint- Laurent aÌ€ Québec est de 315 milliards de m3 ; l’ensemble des transferts d’eau massifs construits pour le complexe de la baie James (dérivation des rivié€res Opinaca, Eastmain et Caniapiscau) représente 52 milliards de m3, mais sur des distances beaucoup plus courtes.
Ces projets supposent des travaux d’une tré€s grande ampleur : le tracé de dérivation de la rivié€re Han, par exem- ple, implique la construction de 1 500 ouvrages (viaducs et tunnels) et le déplacement de 220 000 personnes. Les couÌ‚ts du percement de ces trois canaux, déjaÌ€ envisagés en 1952, étaient estimés aÌ€ environ 15,4 milliards de dollars en 1998, mais les énormes difficultés tech- niques que représentent les deux pre- miers tracés amé€nent certains analystes aÌ€ envisager des couÌ‚ts beaucoup plus élevés. Les travaux de construction du canal oriental vers Tianjin ont débuté en décembre 2002. Le canal central a été entamé en décembre 2003, tandis que le tracé occidental est en étude de faisabilité. Le couÌ‚t d’aménagement des deux canaux en chantier était estimé aÌ€ 180 milliards de yuans (21,5 mil- liards de dollars en 2001) ; depuis, ces estimations ont plus que triplé. Quant au projet occidental, il implique des difficultés techniques (percement d’aqueducs, construction de longs via- ducs et de grands barrages en zones montagneuses, sismiques et éloignées ; dénivellations de 350 aÌ€ 520 mé€tres au total aÌ€ faire franchir par l’eau pompée, d’ouÌ€ des couÌ‚ts énergétiques impor- tants) qui supposent l’engagement de crédits majeurs ; or, cet engagement majeur de fonds publics dans des zones peu habitées, mé‚me si elle a une finalité globale, enthousiasme peu de parti- sans. AÌ€ l’heure actuelle, il n’est pas certain que ce tracé sera construit.
Ce sont ces perspectives budgé- taires qui avaient conduit le gouverne- ment aÌ€ espérer pouvoir repousser le projet, mais la succession de sécheresses catastrophiques en Chine du Nord au cours des années 1995-2002 l’a forcé aÌ€ le remettre aÌ€ l’ordre du jour.
Le ministre des Ressources hydrauliques, Wang Shucheng, aurait préféré des mesures incitatives d’économie d’eau et de tarification afin de faire baisser la consommation. Les critiques du projet font justement valoir que les sommes qui y sont affectées pourraient é‚tre plus judicieusement investies dans la définition de pro- grammes d’amélioration de l’usage de l’eau, ou dans l’importation de denrées agricoles de faible valeur (comme les céréales) pour permettre une spécialisa- tion sur des cultures de plus forte valeur ajoutée. Environ 20 milliards de m3 d’eau permettent de produire 20 Mt de blé, soit une valeur approximative de 2,4 milliards de dollars par an, au cours de 1999 (tendance aÌ€ la baisse). Cette valeur excé€de-t-elle l’amortissement du canal et la valeur du développement industriel que favoriserait l’emploi de l’eau aÌ€ cette fin? Rien n’est moins suÌ‚r, surtout avec la spirale ascendante des budgets prévisionnels du chantier.
Le vent s’était levé ce jour-laÌ€ aÌ€ Beijing. Il portait une fine poussié€re jaune qui s’infiltrait partout, tourbillon- nait dans les rues, piquait les yeux et incommodait la respiration. Ces épisodes de vents chargés de poussié€re du nord-ouest se sont multipliés depuis une vingtaine d’années ; ils traduisent la dégradation des sols et la désertifica- tion, jusqu’aux portes de la capitale.
Dans le nord-ouest de la Chine, le sol, mince et sec, n’a pas supporté d’é‚tre éventré pour é‚tre soumis aux pratiques de la culture intensive. Autrefois de vastes steppes destinées aÌ€ l’élevage extensif, ces espaces sont en train de se désertifier, car le sol, une fois dégradé, ne retient plus son humus, emporté par le vent, et découvre le sable sous-jacent.
Plus aÌ€ l’ouest et au nord, dans les montagnes qui enserrent le fleuve Jaune et que parcourt la fameuse Grande Muraille, la foré‚t n’existe pratiquement plus. On a du mal aÌ€ croire, aÌ€ contempler ces montagnes pelées, qu’elles étaient encore couvertes de foré‚ts denses il n’y a pas si longtemps. Les arbres ont été abat- tus, pour le bois et pour faire place aÌ€ de nouvelles parcelles cultivées. Un nou- veau ré€glement interdit désormais la mise en valeur de nouveaux champs en pente, mais il est déjaÌ€ bien tard. Sans les foré‚ts, le sol ne retient plus l’eau ; l’im- pact des inondations lors des périodes de fortes précipitations est augmenté et le maintien d’un bon débit en période sé€che est anéanti.
Aujourd’hui, le débit du fleuve Jaune est plus contrasté : les crues sont plus violentes, les étiages plus bas que jamais. Et ces impacts néfastes imposent des investissements majeurs aux pouvoirs publics, tout comme ils réduisent davantage la ressource en eau.
Privé du couvert protecteur de la foré‚t, exposé directement aux précipita- tions et au vent, le sol subit une tré€s forte érosion. De tré€s grandes quantités de sédiments sont emportés par le ruis- sellement et se retrouvent dans le fleuve et ses affluents. En se déposant au hasard des courants, ils constituent des barrages naturels qui favorisent les inon- dations. La quantité de sédiments est telle (pré€s de 600 kg par mé€tre cube d’eau en période de crue) que le lit du fleuve remonte peu aÌ€ peu au- dessus de la plaine environ- nante, provoquant de fréquentes inondations.
Pour contrer ces impacts dramatiques, les pouvoirs publics doivent édifier des digues toujours plus hautes pour enserrer le cours du fleuve. Ils doivent aussi cons- truire de grands réservoirs pour lutter contre les inondations, mais ces bar- rages sont rapidement envasés, ce qui favorise l’évaporation de grandes quantités d’eau. Enfin, afin d’assurer le mouvement continu de ces sédiments, il faut consacrer des volumes impor- tants d’eau du fleuve aÌ€ leur seul trans- port vers l’aval.
Comment réduire les impacts désas- treux induits par la surextension de l’agriculture en Chine du Nord sans renoncer aÌ€ cette activité économique importante? Cette option, envisagée par certains membres de l’administration, est politiquement difficile aÌ€ mettre en œuvre, pour plusieurs raisons : d’abord, il y a l’obsession chinoise de l’autosuffi- sance alimentaire. Surtout, il y a l’impact social et politique : que ferait-on des cen- taines de milliers de paysans privés de travail? Les laissera-t-on grossir les villes, déjaÌ€ au bord de l’asphyxie tant leur expansion est rapide et dépasse leurs moyens financiers pour construire loge- ments et infrastructures? Et que se passera-t-il lorsqu’ils y grossiront les rangs des choÌ‚meurs? Ou alors, les forcera-t-on aÌ€ demeurer aÌ€ la campagne, pour former des foules de choÌ‚meurs ruraux mécontents? Le risque politique pour le régime est trop grand.
Alors, plutoÌ‚t que de sacrifier l’agri- culture familiale de la Chine du Nord, le gouvernement a décidé de mitiger les impacts : construire le transfert Sud-Nord, pour soulager les villes et les campagnes assoiffées ; lancer des programmes de développement de meilleures techniques d’irrigation ; forcer les provinces aÌ€ appli- quer sévé€rement les restrictions aÌ€ l’ex- ploitation forestié€re et aÌ€ reboiser.
L’effort de reboisement semble réel. Autour de Beijing, partout l’on voit ces bandes plantées d’arbres sur d’anciennes parcelles agricoles, en bordure des routes, ouÌ€ les autorités savaient que les gaz d’échappement toxiques rendaient les légumes impropres aÌ€ la consommation. Afin de mieux favoriser l’infiltration des eaux de ruissellement dans le sol, un programme de reboisement massif sur 160 000 hectares a également été lancé autour du réservoir Miyun, qui alimente la capitale. Il était temps : le réservoir paraiÌ‚t dramatiquement tari. Aux abords de la Grande Muraille, chaque parcelle pentue a aussi reçu son arbrisseau. Mais le panora- ma ne révé€le pas souvent de grands espaces reboisés, ni d’arbres plantés autour des terrasses pour en limiter l’érosion. On peut certes se demander si ces efforts le long des routes ou dans un lieu touristique reflé€tent un réel effort de reboisement, ou servent une fonction avant tout cosmé- tique, destinée aux touristes?
L’expansion agricole est désormais difficile en Chine du Nord, dans la plaine centrée autour de Beijing : l’eau qui sera détournée du Yangze aura sans doute pour seule finalité la consomma- tion urbaine et le maintien de l’activité agricole. Pour réduire sa dépendance alimentaire, qui s’accroiÌ‚t avec l’aug- mentation de la population et son enrichissement (de meilleurs revenus entraiÌ‚nent une plus forte consomma- tion, de viande en particulier), le gou- vernement chinois a lancé de vastes programmes de mise en valeur du Nord-Est, l’ancienne Mandchourie, dotée de tré€s bons sols (tchernozems), en particulier dans la province du Heilongjiang, frontalié€re de la Russie.
En 2004, cette province était la pre- mié€re productrice de riz ; elle produisait 34 p. 100 du soja chinois et une forte pro- portion de son maïs et de son blé. Mais les techniques de production intensives développées dans cette « nouvelle fron- tié€re » agricole affectent déjaÌ€ l’environ- nement : afin de maximiser les surfaces utiles, les bandes riveraines, censées sépar- er les champs des rivié€res, sont réduites au minimum. De grandes quantités de pesti- cides, d’engrais chimiques et de sédi- ments sont drainées par le ruissellement et polluent le bassin de la Songhua, prin- cipale rivié€re qui draine le Nord-Est, avant de rejoindre l’Amour. Les prélé€vements importants pour l’agriculture irriguée et les besoins des villes représentent déjaÌ€ de telles ponctions que le niveau de la rivié€re est, depuis plusieurs années, de plus en plus bas, un phénomé€ne que renforcent l’exploitation des foré‚ts et le drainage sys- tématique des espaces humides pour les convertir en champs.
Outre la destruction des habitats naturels que cette pratique entraiÌ‚ne, la disparition des foré‚ts, et surtout des marais, prive les cours d’eau de leur pouvoir de filtration et surtout de réten- tion d’eau : en éliminant l’éponge que sont les foré‚ts et les marais, l’agriculture accélé€re la circulation des eaux, dont le volume diminue sitoÌ‚t la crue printanié€re évacuée. De plus, afin de soutenir une demande en eau également tré€s forte dans le bassin de la Liao, dans la province du Liaoning, un projet de grand transfert d’eau a été ébauché : il prévoit de détourner une part notable des eaux re- lativement propres de la Nen, le princi- pal affluent de la Songhua, vers la Liao, diminuant d’autant les ressources du bassin de la Songhua.
Ces problé€mes se combinent avec une pollution urbaine et industrielle en forte expansion : Harbin compte déjaÌ€ 4 millions d’habitants, alors qu’on n’y trouvait que 750 000 habitants apré€s la Seconde Guerre mondiale, et 2,4 mil- lions en 1980. Les eaux de la Songhua y empestent et affichent une couleur gris- vert peu aguichante; on se demande ce que font de leurs prises les pé‚cheurs du dimanche, assis sur les berges.
Au Heilongjiang, les installations de traitement des eaux usées sont encore moins développées que dans la plaine du Nord, quand elles ne sont pas totalement absentes, comme aÌ€ Heihe, ville-champignon du nord de la province, sur les bords de l’Amour, qui bénéficie de son statut de port d’entrée franc face aÌ€ la Russie : 100 000 habi- tants en 1990, 300 000 en 2004, une industrie naissante, une agriculture en pleine expansion, mais aucune usine d’épuration… Les égouts se déversent directement dans le fleuve, aÌ€ quelques pas des parcs publics.
La Russie, en aval de la Chine, se préoccupe de plus en plus de la pollution croissante et des impacts des aménagements du Heilongjiang. Le traité sino-russe de 1915 prévoyait une forme de gestion concertée des eaux de l’Amour ; mais il est bien suÌ‚r oublié, apré€s toutes les révolutions qui sont passées par la Russie et la Chine.
Dans la foulée du traité de 1993 de ré€glement de litiges frontaliers sur l’Oussouri, un autre affluent majeur de l’Amour, un accord a été signé sur l’har- monisation de la gestion des terres et des eaux dans le bassin de la rivié€re, qui forme la frontié€re entre la province russe de Primorie et le Heilongjiang : la pro- tection de l’environnement arrive en dernier de la liste des objectifs. De toute façon, l’accord n’a toujours pas été rati- fié, et malgré les appels répétés des autorités russes, aucune négociation n’a été entamée sur la coordination des poli- tiques de l’eau entre les deux EÌtats. La pollution de l’Amour, aboutissant dans la mer d’Okhotsk puis dans la mer du Japon, est telle que le Japon et la Corée commencent aÌ€ s’en inquiéter, aÌ€ preuve leur participation aÌ€ l’organisation d’un important colloque sur la question aÌ€ Vladivostok aÌ€ l’automne 2004.
Les Russes commencent aÌ€ s’in- quiéter, et les universitaires chi- nois que j’ai rencontrés aussi. Interrogés sur les perspectives d’avenir, ils lé€vent les bras en signe d’impuis- sance. Certes, le gouvernement a con- science des problé€mes. Mais ne serait-ce que restreindre la pollution, avant mé‚me de la résorber, couÌ‚te cher, tout comme réduire la surconsomma- tion de l’eau par le secteur agricole. Le principal objectif du gouvernement demeure la croissance. Si la croissance peut favoriser l’émergence d’entrepris- es plus « vertes », tant mieux ! Et il est vrai que Beijing a fermé autoritaire- ment certaines entreprises qui ou- trepassaient de façon trop marquée la réglementation environnementale. Mais, aÌ€ court terme, il est probable que la situation continuera de s’aggraver.
Il est regrettable d’assister ainsi aÌ€ la dégradation des écosysté€mes de part et d’autre, faute de coordination bina- tionale entre la Chine et la Russie. Il ne faudrait toutefois pas y voir la preuve d’un antagonisme séculaire entre les deux pays, ce genre d’explication déterministe n’apportant pas grand- chose, mais bien plutoÌ‚t la marque de priorités politiques placées ailleurs.
Cela traduit également une certaine réticence aÌ€ s’engager dans des processus institutionnels de négociations en vue de gérer la ressource en eau, ce qui li- miterait nécessairement la souveraineté de l’EÌtat. En ce sens, le cas du bassin de l’Amour n’est malheureusement gué€re différent de nombreux autres aÌ€ travers le monde, ouÌ€ des EÌtats tré€s soucieux de préserver leur pré-carré de souveraineté rechignent aÌ€ entreprendre de réelles négociations avec leurs voisins.
Par contraste, la relative bonne entente entre le Canada et les EÌtats- Unis au chapitre de la gestion des eaux transfrontalié€res, que ce soit au niveau fédéral (traité de 1909 sur les eaux li- mitrophes) ou des EÌtats et des provinces (Charte des Grands Lacs, négociations en cours sur l’Annexe 2001), paraiÌ‚t un modé€le du genre, malgré ses défauts.