Le secteur des produits biologiques connaît actuellement au Canada un essor important et devient de plus en plus une composante incontournable du paysage agroali- mentaire canadien. Les nouvelles tendances « santé » et « sécu- rité » en matière de consommation alimentaire ainsi que l’intéré‚t accru pour l’environnement stimulent grandement cette industrie, et ce, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde.
Avec l’avènement d’un nouveau marché pour ces pro- duits, les superficies consacrées à l’agriculture biologique ont rapidement progressé, alors que les entreprises de trans- formation et les circuits de distribution se sont organisés pour développer une offre variée et adaptée aux goûts des consommateurs. Toutefois, au Canada, en dépit de ce dynamisme et de la croissance de la consommation, le secteur montre quelques signes de faiblesse tout en étant aux prises avec des contraintes qui risquent de pénaliser son développement stratégique à moyen et à long terme.
Selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, le secteur canadien des produits biologiques demeure modeste et il est en retard sur les États-Unis et la Communauté européenne. En l’occurrence, on observe sur le marché canadien des produits biologiques un décalage croissant entre l’offre et la demande. La consommation augmente à un rythme plus rapide que celui de l’approvisionnement domestique. Ce décalage structurel entre l’offre et la demande favorise inévitablement la pénétration des produits étrangers qui occupent aujourd’hui une place dominante, entre 80 et 85 p. 100, dans les ventes de produits biologiques aux Canadiens. Le « secteur biologique » pourrait donc manquer des rendez- vous importants et ne pas bénéficier de toutes les retombées positives de ce marché porteur si le problème persiste.
La croissance annuelle du marché mondial des produits biologiques se maintient à plus de 20 p. 100 depuis les dix dernières années. Les ventes de produits biologiques aug- mentent plus rapidement que n’importe quel autre segment de l’industrie alimentaire et sont estimées, pour l’année 2003, à près de 25 milliards de dollars américains.
Les crises alimentaires (vache folle, fièvre aphteuse, etc.) qui, ces dernières années, ont secoué plusieurs pays (Angleterre, France, etc.) expliquent entre autres l’engouement des consom- mateurs pour les produits biologiques. Toutefois, on ne peut voir ces crises comme étant à l’origine du développe- ment mondial du secteur biologique, mé‚me si elles l’ont accéléré à partir de la seconde moitié de la dernière décennie. En effet, alors que l’évolution du marché de l’alimentation a été caractérisée, dès les années 1970, par une tendance à la saturation en volume, on a assisté dans les années 1980 à une tentative de dif- férenciation des produits axée davan- tage sur des critères liés à la santé et aux qualités nutritives des aliments. Ainsi, il y a eu une croissance de la demande pour les produits naturels, supplémentés et biologiques. Par la suite, vers le milieu des années 1990, le battage médiatique ayant entouré les crises alimentaires suc- cessives a déclenché un véritable boom dans la consommation de produits biologiques, accompagné par la création d’un marché de niche avec des produits à forte valeur ajoutée. Depuis, cette croissance s’appuie sur une prise de con- science grandissante des consomma- teurs quant à l’importance de la santé, de la sécurité alimentaire et de l’envi- ronnement, ainsi que sur le développe- ment du secteur (produits biologiques d’excellente qualité, vente dans les supermarchés, etc.).
À l’heure actuelle, la part mondiale des denrées alimentaires bio- logiques ne représente que 2 p. 100 des ventes totales de produits alimentaires et leur consommation se concentre surtout dans les pays développés. Les principaux produits biologiques recherchés par le marché mondial sont les produits provenant de climats tropicaux (café, cacao, thé, fruits et légumes tropicaux, épices et herbes, fruits séchés et noix), les produits en vrac destinés à la transformation (céréales, oléagineux, etc.) et, dans les pays plus nordiques, les produits frais (fruits et légumes), surtout en dehors des saisons de culture. À cela s’ajoutent les produits de boulangerie, les pro- duits laitiers et les viandes.
Les États-Unis et l’Europe représen- tent les deux plus importants marchés au monde pour les produits biologiques avec des parts respectives d’environ 50 p. 100 et 45 p. 100 du marché mondial sur le plan des ventes. En 2003, les ventes au détail de ces produits aux États-Unis va- rient de 11 à 13 milliards de dollars améri- cains, comparativement aux ventes qui s’établissent entre 10 et 11 milliards de dollars américains du côté européen. On estime, par ailleurs, que les ventes sur le marché américain pourraient atteindre 20 milliards de dollars américains en 2005 et 30 milliards en 2007.
Dans le cas de l’Europe, les ventes de produits biologiques ont connu une crois- sance fulgurante depuis la seconde moitié des années 1990, mais cette expansion commence à ralentir, montrant un taux de 8 p. 100 en 2002 et en 2003, compara- tivement à des taux variant de 20 à 40 p. 100 quelques années auparavant. Pour l’année 2003, les ventes de produits biologiques représentent de 1 à 5 p. 100 des ventes totales de produits alimentaires selon les pays. En 2005, cette proportion devrait croître et atteindre de 5 à 10 p. 100. Quatre pays totalisent plus de 60 p. 100 des ventes au détail des produits biologiques sur le marché européen, soit l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et la France.
À l’instar du marché mondial, la demande canadienne pour les pro- duits biologiques a rapidement pro- gressé au cours des dernières années. On estime la croissance annuelle des ventes biologiques à 20 p. 100 depuis cinq ans, alors qu’elle n’a été que de 1 p. 100 pour le marché global de l’alimentation au cours de la mé‚me période.
Les ventes au détail des produits biologiques sont estimées entre 850 mil- lions et 1 milliard de dollars américains et elles constituent un marché de créneau dans la plupart des régions du Canada, avec une part des ventes qui ne dépasse pas 2 p. 100 du total de la con- sommation alimentaire. Les dépenses pour les produits biologiques sont estimées à 18 $ US par personne et la Colombie-Britannique est la province où il se consomme le plus de produits biologiques au pays. On prévoit qu’en 2007, les ventes de ces produits devraient dépasser les 2 milliards de dol- lars américains.
Mais comme la demande pour les produits biologiques excède l’offre intérieure, le déficit est comblé par des importations (en provenance surtout des États-Unis) dans une proportion de 80 à 85 p. 100 des ventes au détail. Cette situation n’est pas unique au Canada, bien que ce pourcentage soit plus élevé que celui qu’on observe dans plusieurs autres pays.
Les importations cana- diennes en provenance des États- Unis sont constituées principalement de produits transformés et préemballés dans une proportion de 80 p. 100, alors que le reste comprend les fruits et les légumes frais. Le Canada est presque autosuffisant quant à la demande de produits laitiers avec un taux de 90 p. 100, comparativement à 22 p. 100 pour les produits frais et 10 p. 100 pour les produits d’épicerie.
La plupart des exportations cana- diennes de produits biologiques sont destinées aux États-Unis (41 p. 100), à l’Europe (38 p. 100) et au Japon (4 p. 100). Les produits exportés sont les céréales et les graines oléagineuses, les produits transformés, le sirop d’érable, les pommes et les légumes. Le blé biologique constitue, et de loin, la marchandise la plus exportée par le Canada avec une valeur à l’exportation de plus de 18 millions de dollars en 2003 et le pays accapare près de 27 p. 100 du marché mondial du blé biologique. La Saskatchewan, l’Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique sont les principales provinces productri- ces et exportatrices de produits biologiques canadiens.
Le secteur de la transformation ali- mentaire biologique peut é‚tre con- sidéré comme un secteur naissant en raison de sa faible capacité, du nombre restreint de transformateurs et du manque d’infrastructures. Les entre- prises canadiennes de transformation alimentaire biologique sont essen- tiellement de petite taille. Par rapport à la valeur des livraisons totales du secteur de la transformation alimen- taire, la contribution de l’industrie biologique demeure marginale, mais cette part pourrait croître au cours des prochaines années pour atteindre 10 p. 100. En Colombie-Britannique, où l’on compte près du cinquième des transformateurs et manutentionnaires certifiés biologiques au pays, la valeur de cette industrie était estimée à plus de 16 millions de dollars en 2003.
Selon les statistiques disponibles, on dénombre environ 500 transforma- teurs et manutentionnaires dans le secteur biologique canadien. La majorité des entreprises opèrent dans la fabrica- tion de commodités de base (biscuits, pains et boulangerie, fruits et légumes, viandes, grignotines, etc.). Les installa- tions de conditionnement et de criblage des grains, les meuneries, minoteries et boulangeries sont les plus nombreuses. Certains transformateurs sont à la fois distributeurs et détaillants, surtout pour ce qui est des grains, des minoteries et des produits céréaliers et de boulangerie. On trouve aussi des transformateurs tra- ditionnels qui emballent des produits biologiques tels que les laiteries, les huiles et les fruits.
Ces dernières années, le rayon des produits laitiers des magasins de pro- duits biologiques est celui qui a enre- gistré le plus fort taux de croissance (50 p. 100 par an), offrant par ce fait mé‚me aux transformateurs des occasions intéressantes. Au pays, on trouve quelques entreprises d’importance, dont les entreprises québécoises Moulin Abénakis qui est à la fois un fabri- cant et un distributeur de produits dont la culture et la transformation sont « certifiées biologiques » et la Meunerie Milanaise inc. qui produit des farines et des pâtes alimentaires biologiques. Également, Nature’s Path Foods Inc. est un grand fa- bricant canadien de céréales biologiques et de produits de boulangerie qui possède des installations en Colombie- Britannique et dans la région de Washington. Certaines entre- prises sont de grands fabricants qui ont des usines de transfor- mation au pays, comme Hain Celestial Canada, et qui exercent leurs activités directement sur le marché canadien.
En dépit de la variété des produits biologiques transformés, le secteur de la transformation alimentaire biologique reste peu développé avec un nombre insuffisant d’entreprises et peu d’infrastructure. Le phénomène est dû, entre autres choses, aux obsta- cles que rencontrent les transforma- teurs, notamment
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une offre intérieure inappropriée quant à certains ingrédients biologiques, combinée à des prix trop élevés ;
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une réglementation sur la salubrité et l’innocuité qui convient davan- tage aux grandes entreprises. Les coûts liés au respect des normes en matière de transformation alimen- taire et de produits biologiques sont élevés pour une petite ou moyenne entreprise ;
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la difficulté pour les fabricants tra- ditionnels d’accepter de trans- former des produits biologiques en raison des problèmes liés aux risques de contamination croisée ; le marché de l’alimentation biologique est pris d’assaut par les grands joueurs américains de l’ali- mentation, comme Kellogg, Kraft et d’autres, et il compte un nombre impressionnant de marques privées qui viennent s’ajouter à celles qui existent déjà. Il est donc de plus en plus nécessaire de personnaliser son produit pour le rendre unique ;
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le phénomène de la concentration de la distribution rend l’accès au marché biologique plus difficile pour les petits producteurs et les transfor- mateurs indépendants, ce qui sou- vent les oblige à comprimer constamment leurs propres coûts et à faire des compromis sur le plan de la qualité des produits.
Bref, l’industrie de la transformation alimentaire biologique bénéficie d’une forte demande. Mais le secteur doit surmonter encore plusieurs con- traintes s’il veut améliorer son rende- ment. Par ailleurs, dans l’avenir, l’intéré‚t grandissant de certains pays pour l’introduction des denrées biologiques sur le marché, comme la Chine et le Brésil qui sont en mesure de commercialiser une grande variété de produits à des prix très compétitifs, va accroître la concurrence et entraîner les prix des produits à la baisse.
Bien qu’elle existât dès les années 1960, l’agriculture biologique canadienne s’est récemment dévelop- pée en passant de 1 174 fermes biologiques en 1992 à 3 134 en 2003. La production est en pleine croissance (environ 20 p. 100 par an) et a engen- dré des recettes agricoles de plus de 600 millions de dollars en 2000 et 2001, ce qui correspond à 1,2 p. 100 du total des recettes agricoles canadiennes.
La répartition des fermes par province, pour l’année 2003, montre que la Saskatchewan dépasse large- ment les autres provinces avec ses 1 049 fermes biologiques, soit 34 p. 100 des fermes biologiques cana- diennes. Suivent dans l’ordre le Québec avec 610 fermes, l’Ontario, la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Manitoba et les provinces de l’Atlantique. Soulignons que l’agricul- ture biologique représente à peine 1 p. 100 des superficies agricoles au pays. Les grandes cultures dominent la production biologique ; suivies de celle des fruits, légumes et produits de serre, alors que les animaux ou les pro- duits d’origine animale arrivent au troisième rang.
Malgré son dynamisme, la produc- tion agricole biologique ne comble pas la demande intérieure canadienne. Différentes raisons semblent expliquer cette situation :
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la difficile conversion vers le biologique pour les producteurs agricoles, qui se traduit par des méthodes de production dif- férentes, des obstacles d’ordre réglementaire ou institutionnel tels que les normes de certification strictes et coûteuses, un soutien financier inapproprié et la rareté des intrants disposant d’une certi- fication biologique (ex. : semences). La présence de ces con- traintes limite le nombre de pro- ducteurs qui font la transition ; l’existence d’un décalage temporel entre la capacité de production (temps d’adaptation aux mé- thodes de production biologique, coûts plus élevés de la production biologique, rendements agricoles inférieurs) et l’évolution de la demande. Notons que, pendant la période de transition, le rendement des cultures biologiques est généralement inférieur et, pour plusieurs, il ne s’accroîtra qu’après trois, quatre ou cinq années. Ces facteurs contribuent à limiter les quantités disponibles ;
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un approvisionnement intérieur qui, souvent, doit subir la concur- rence des produits d’importation offerts à prix plus bas ;
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dans certains cas, il est plus simple pour le producteur biologique cana- dien d’exporter à l’étranger que de trouver des acheteurs canadiens.
Plusieurs constats peuvent é‚tre faits au terme de cette analyse. D’abord, il y a le fait que le marché canadien des produits biologiques reste marqué par une insuffisance chronique de l’offre intérieure; celle-ci n’arrive pas à satis- faire une demande qui est à l’heure actuelle en pleine croissance. Néanmoins, ce marché comporte un grand potentiel et constitue un nou- veau créneau d’importance pour les fabricants canadiens pour les années à venir, et avec raison. La demande canadienne de produits biologiques semble dans une phase d’expansion et les marchés extérieurs, notamment américain et européen, représentent des débouchés tout aussi intéressants.
Toutefois, il est facile de constater que certains facteurs, tels que les prix élevés des produits, la difficulté d’ac- céder aux marchés de masse et l’ab- sence de véritable organisation industrielle comme de cohésion entre les différents maillons du secteur, for- ment un obstacle de taille au développement. De plus, l’arrimage de cette filière transversale à d’autres fi- lières dont l’approvisionnement est plutôt sectoriel serait un atout pour améliorer la position de l’industrie canadienne et sa compétitivité.
Cet article est tiré de « Les produits biologiques : quel est leur avenir sur le marché canadien? » Bioclips+ (janvier 2005), qui peut être consulté en ligne à www.mapaq.gouv.qc.ca