C’est un cliché que de le dire : « les temps ont changé ». Sur le plan social, les changements qui sont survenus et qui se sont accélérés depuis le début des années 1960 ont eu des répercussions incalculables sur les habitudes de déplacement de la population : les familles se sont décomposées puis se sont recomposées, les horaires se sont diversifiés puis complexifiés, les villes se sont étalées, les lieux de travail se sont décentralisés. Mé‚me les lieux de loisirs se sont multipliés et se sont souvent éloignés. Tout cela dans un contexte d’individualisme croissant et sur fond d’explo- sion du taux de motorisation de la population. D’un coÌ‚té, la mobilité de la population s’est donc accrue de façon considérable alors mé‚me que, de l’autre, les besoins pour des routes prédéterminés aÌ€ des moments prédéterminés ont, en proportion, diminué, conséquence de la diversification des habitudes de déplacement.
Mal outillées pour faire face aÌ€ ces changements, les sociétés de transport public ont vu leur part de marché dimi- nuer au fil des ans. Sauf aÌ€ l’heure de pointe, l’automobile privée a capté l’essentiel de l’accroissement de la demande de mobilité. Les faits parlent d’eux-mé‚mes : il y a aujourd’hui, au Québec seulement, 600 000 voitures de plus qu’en 1997, année de la signature du protocole de Kyoto ; entre 1990 et 2000, les émissions des voitures et des camions y ont aug- menté de 18 p. 100, alors que l’objectif de Kyoto est une réduction de 6 p. 100. Le paradoxe c’est que l’accélération de cette fuite en avant s’est produite simul- tanément avec la montée de la con- science écologique de la population et que les gens étaient de plus en plus nombreux aÌ€ remettre en question cette évolution sans trop savoir comment s’y prendre. Et si l’intermodalité, ou la « mobilité intégrée » comme on la qual- ifie le plus souvent en Europe, faisait partie de la solution?
Il est clair que les gestionnaires du transport public devront s’efforcer, dans l’avenir, de proposer des réponses radicalement différentes pour é‚tre en mesure de faire face effi- cacement aux changements en cours. Cette érosion de leur part de marché couÌ‚te non seulement tré€s cher mais elle affecte, en plus, négativement le bilan environnemental des services qu’ils proposent. En effet, un autobus qui roule presque vide en dehors des périodes de pointe perd beaucoup de son efficacité face aÌ€ son principal concurrent, l’automobile, relative- ment aux émissions polluantes émises par kilomé€tre-personne par- couru. Ce bilan mitigé s’alourdit lorsqu’on tient compte des problé€mes de financement fréquemment ren- contrés par les sociétés de transport et qui les empé‚chent de se doter de véhicules mieux adaptés aux dif- férentes circonstances ou présentant un meilleur bilan éco-énergétique.
Comme ce contexte risque de per- durer, d’autres avenues devront é‚tre explorées par les sociétés de transport pour les aider aÌ€ améliorer leur bilan, les formes classiques de combinaisons modales telles que le train, le métro et l’autobus ayant montré leurs limites. Il faudra, dans l’avenir, voir plus large et réussir aÌ€ greffer efficacement d’autres composantes aÌ€ ce « cocktail modal » de base, de manié€re aÌ€ augmenter la com- pétitivité relative du transport public vis-aÌ€-vis de la propriété individuelle d’un véhicule. On se doit de le recon- naiÌ‚tre : la conception dominante qui prévaut pour définir ce type de service est issue directement du XIXe sié€cle. Or, qu’on le veuille ou non, c’est large- ment l’automobile qui a façonné le monde d’aujourd’hui et qui continue aÌ€ profiter des tendances lourdes qui pré- valent dans l’évolution des comporte- ments en matié€re de déplacement.
Il importe de « combattre le feu par le feu » ! La vision en silo des différents moyens de transport n’a plus sa place. Si les sociétés de transport désirent réelle- ment mettre fin aÌ€ l’érosion de leur part de marché, elles devront donc élargir leur champ d’intervention et se percevoir dorénavant comme des gestionnaires de la mobilité et non plus seulement comme des gestionnaires d’un type pré- cis de véhicule, que ce soit le train, l’au- tobus, le métro, etc. ou tous ceux-laÌ€ réunis. Dans un tel contexte, il ne serait plus question d’exclure l’automobile de leur champ de compétence. Bien au con- traire, l’automobile serait alors appelée aÌ€ jouer un roÌ‚le déterminant dans le cadre d’une offre améliorée et répondant mieux aux impératifs de la vie moderne.
De par la liberté de mouvement iné- galée qu’elle procure, l’automobile constitue aujourd’hui un ingrédient essen- tiel de la mobilité aÌ€ laquelle aspire la majorité de la population. Avec ses horaires rigides et ses itinéraires prédéterminés, il serait illusoire de ne pas reconnaiÌ‚tre que le transport en commun est incapable de con- currencer efficacement ce mode pour l’ensemble des déplacements que désire pouvoir effectuer la majorité des individus.
Est-ce que ceci signifie que ce service n’aura éventuellement plus sa place et qu’il faudra renon- cer aÌ€ le supporter? Loin s’en faut. De plus en plus d’inter- venants sont d’avis, au con- traire, que l’intégration de l’accé€s aÌ€ des automobiles disponibles en libre-service aÌ€ l’offre traditionnelle des transporteurs publics pourrait en augmenter l’attrait de mé‚me que l’efficacité de manié€re si- gnificative. Ceci permettrait aux usagers de choisir librement, selon le trajet aÌ€ effectuer, les modes les plus appropriés en tenant compte de leur efficacité rela- tive et de leur couÌ‚t respectif : chaque mode pouvant alors é‚tre utilisé de manié€re optimale.
Cette approche recé€le le potentiel théorique de permettre aÌ€ nos sociétés de faire face aÌ€ l’accroissement de la demande appréhendée, en terme de mobilité, sans que ceci ne se traduise par une augmentation du volume de la circulation. Les impacts environnemen- taux négatifs du transport pourraient ainsi é‚tre contenus, voire réduits, sans qu’il ne soit nécessaire, pour ce faire, de restreindre la mobilité de la population ce qui est par ailleurs généralement dif- ficile aÌ€ vendre politiquement.
Affirmer ceci ne revient-il pas aÌ€ exiger la quadrature du cercle? Non, car des précédents existent. Et aussi sur- prenant que cela puisse paraiÌ‚tre, le Canada fait déjaÌ€ figure de pionnier en la matié€re. En effet, c’est en 1994, aÌ€ Québec, qu’est né le plus ancien service de « voiture partagée » en opération en Amérique. Les termes « auto-partage » ou « voiture partagée » sont utilisés ici indifféremment comme synonymes de « voiture libre-service ». Les Français par- lent plus couramment, quant aÌ€ eux, de « voitures en temps partagé » ou mé‚me de « car-sharing » aÌ€ l’instar des Américains et de leurs voisins européens.
Plus de 200 000 personnes dans le monde ont déjaÌ€ adhéré aÌ€ ce type de service qui est par surcroiÌ‚t maintenant accessible dans pré€s d’une vingtaine de pays et dans plus de 550 villes. Au Canada, on compte plus de 10 000 usagers, dont 7 000 sont abonnés aÌ€ Communauto, une compagnie québé- coise qui dispense ses services dans les régions de Québec, de Montréal, de Sherbrooke et de Gatineau. Les 3 000 autres usagers se trouvent principale- ment aÌ€ Vancouver, Toronto et Ottawa.
Le principe est simple, l’«auto- partage » ou la voiture dite « libre- service » est un service de mobilité avancé, qui offre la flexibilité d’une voiture tout en éliminant, pour ses adhérents, la nécessité d’en posséder une. Ces véhicules peuvent é‚tre réservés aÌ€ l’heure ou aÌ€ la journée et la facturation de leur utilisation est le résultat d’une combinaison des fac- teurs « temps d’utilisation » et « nom- bre de kilomé€tres parcourus ». Avec cette formule, on remplace, fonda- mentalement, la possession d’un bien de consommation usuel, aÌ€ savoir l’au- tomobile, par la vente d’un service. La structure tarifaire qui en résulte a pour effet de remplacer par des couÌ‚ts va- riables les couÌ‚ts fixes relativement élevés (mais qui passent trop souvent inaperçus) normalement attribuables aÌ€ une automobile quand on en est pro- priétaire. Cette situation se traduit en un puissant incitatif pour réduire l’usage de ce mode de transport. De plus, les adhérents aÌ€ ce services ont tendance aÌ€ augmenter de manié€re importante l’usage des autres modes de déplacement.
L’objectif, en fait, est de créer des liens entre les services existants de manié€re aÌ€ mieux concurrencer la pos- session d’un véhicule, que ce soit en termes de confort ou de couÌ‚t. Pour les transporteurs publics, les impacts les plus immédiats de ce type d’alliance sont d’améliorer la qualité de leur offre en répondant mieux aÌ€ l’ensemble des besoins de leurs usagers, d’ac- croiÌ‚tre et de fidéliser leur clienté€le, et d’améliorer leur image corporative graÌ‚ce aÌ€ cette démonstration de leur capacité d’innovation.
L’auto-partage agit comme un catalyseur qui permet de rendre plus efficace et de mieux rentabiliser les investissements qui sont consentis dans le domaine du transport collectif. Sur le plan environnemental, de nom- breux impacts positifs sont également mesurés aÌ€ la suite de l’adhésion d’un groupe d’individus aÌ€ un service d’auto- partage. Selon deux études publiées récemment par le Transportation Research Board aux EÌtats-Unis et le Mobility Service for Urban Sustainability en Europe, l’auto- partage permet :
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une réduction importante (de l’or- dre de 50 p. 100) du taux de motorisation ;
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une réduction de 30 aÌ€ 50 p. 100 (selon les études) du nombre de voyageurs-kilomé€tres effectués en automobile ;
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une réduction de la consommation en énergie ;
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une réduction importante des émissions de gaz aÌ€ effet de serre (le potentiel estimé, pour le Québec, se situerait entre 0,16 et 0,25 méga- tonne d’émissions de CO2 par année et il est probable que celui-ci serait dans les faits supérieur) ;
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une réduction proportionnelle des autres polluants attribuables aÌ€ l’au- tomobile.
Ce service agit, de plus, comme un facteur de concentra- tion plutoÌ‚t qu’un facteur d’étalement urbain. Il induit un style de vie qui contribue aÌ€ stimuler la consommation locale, aÌ€ revitaliser les commerces de proximité et aÌ€ améliorer, d’une manié€re générale, la qualité de la vie en ville.
Un autre avantage tré€s significatif de ce service, dans le contexte d’une alliance entre les sociétés de transport public, c’est que l’accroissement du nombre de trajets qu’ils géné€rent est effectué, en forte proportion, en période hors-pointe, le soir ou en fin de semaine. Les sociétés de transport peuvent donc accommoder ces nouveaux déplacements sans couÌ‚ts additionnels graÌ‚ce aÌ€ une offre largement excédentaire durant cette période. Cet afflux de nou- veaux clients permet également aÌ€ ces sociétés d’améliorer leur bilan environ- nemental en augmentant la charge moyenne de leurs véhicules.
Plusieurs expériences mises de l’a- vant, en Europe notamment, ont permis de démontrer que l’introduc- tion de certaines offres tarifaires inté- grant l’automobile libre-service a permis aux sociétés de transport d’augmenter leurs revenus en dépit des rabais consentis. On parle, par exemple, de rabais sur l’achat de lais- sez-passer mensuels en échange de l’engagement d’un abonnement annuel. Une vingtaine de contrats de cette nature ont déjaÌ€ été conclus, aÌ€ ce jour, en Allemagne, entre des entre- prises d’auto-partage et des sociétés de transport en vertu desquels les clients de l’un gagnent des avantages chez l’autre partenaire, et vice-versa. C’est le cas notamment aÌ€ Aix-La-Chapelle, aÌ€ Berlin, aÌ€ Bré‚me et aÌ€ Dresde.
AÌ€ Zurich, en Suisse, une telle entente a vu le jour dé€s 1995 avec la société de transport de Zurich (Verkehrsbetriebe Zürich, VBZ). D’autres sociétés de transport, dont la Société des chemins de fer fédéraux suisse (CFF), ont suivi. Des études ont permis de démontrer que les sociétés de transport ont largement profité de leur alliance avec la voiture libre-service et que leurs revenus ont augmenté graÌ‚ce aÌ€ ces expériences de « mobilité combinée ». Une frontié€re a donc été franchie, et la glace est bel et bien rompue.
On parle en Suisse d’un bassin potentiel de 1,7 million d’adhérents pour les services d’auto-partage. C’est considérable dans un pays qui ne compte que quelque 6.5 millions d’habitants. Une étude similaire réalisée en Allemagne mais utilisant une méthodologie différente mentionnait 2,45 millions d’usagers potentiels dans ce pays de 80 millions d’habitants. D’autres études réalisés ici et laÌ€ parlent d’un bassin de 2 millions d’adhérents en Hollande. En Sué€de, on parle d’entre 800 000 aÌ€ 1,1 million de ménages dont environ 200 000 seraient déjaÌ€ muÌ‚rs pour cette éventualité si le service était immédiatement mis aÌ€ leur disposi- tion. Que ces chiffres puissent é‚tre con- testés et que les méthodologies utilisées soient perfectibles ne fait aucun doute. Cela dit, laÌ€ n’est pas la question. Ce qu’il importe de retenir de ces initia- tives et de ces tentatives de projection c’est surtout le potentiel théorique de la voiture libre-service et de son intégra- tion aÌ€ l’offre des transporteurs publics dans un contexte d’intégration modale.
Trop de paramé€tres nous échap- pent encore pour déterminer avec pré- cision la taille du marché de l’auto-partage. Ce qui est certain, cependant, c’est que la taille de celui-ci dépendra largement de l’attitude que les autorités adopteront aÌ€ l’égard de ce service dans l’avenir. Le défi est le sui- vant : réussir aÌ€ mettre en place le con- sensus nécessaire pour maximiser l’avantage comparatif de la voiture libre-service face aÌ€ la propriété individuelle d’un véhicule.
Au-delaÌ€ des ententes déjaÌ€ conclues avec des sociétés de transport public, voici quelques exemples des privilé€ges qui ont déjaÌ€ été accordés ou qui pourraient l’é‚tre aux utilisateurs des voitures libre-service : accé€s aÌ€ des voies réservées aux autobus et aux taxis, privilé€ge pour le stationnement, avantages fiscaux, congés de taxe sur les produits et services. Les EÌtats qui surmonteront ce défi (et il est de taille), réussiront aÌ€ se doter d’un outil complémentaire aÌ€ la fois gratuit et non coercitif pour mieux maiÌ‚triser l’évolution de la situation des trans- ports chez eux.
Dans les faits, une seule question reste pertinente dans ce contexte. Et celle-ci s’applique parfaitement au cadre cana- dien : compte tenu de la situa- tion qui prévaut dans le secteur des transports et eu égard aux engagements pris par la plupart des EÌtats dans la foulée de l’accord de Kyoto, peut-on raisonnablement se payer le luxe de ne pas pousser plus loin les investigations déjaÌ€ amorcées dans un domaine aussi prometteur?
Pour un observateur averti, la réponse aÌ€ cette question semble aller de soi : ce service a en effet fait ses preuves ; ses retombées positives sont bien documentées ; son effet catalyseur est largement reconnu ; il s’agit d’un projet a priori rassembleur ; et il nécessite obligatoirement une implication de l’EÌtat pour libérer tout son potentiel.
Sans compter que ce service est déjaÌ€ beaucoup mieux développé au Canada que dans la plupart des pays ouÌ€ les autorités ont déjaÌ€ pris le parti d’en faire activement la promotion et de le supporter.
Malheureusement, il y a tré€s loin de la coupe aux lé€vres et l’intéré‚t des gou- vernements jusqu’ici (tous paliers con- fondus) s’est surtout caractérisé par un manque de leadership et de suite dans les idées. De plus, malgré un discours ambiant ouÌ€ il est sans cesse question de la rareté relative de d’argent neuf, les organes de l’EÌtat semblent paradoxale- ment complé€tement désemparés lorsqu’ils se voient sollicités pour autre chose que de l’argent. Pourtant, ce dont ce service a principalement besoin, aÌ€ la base, c’est d’un appui stratégique et moral susceptible d’en asseoir la légiti- mité afin de susciter l’adhésion des autres partenaires étatiques pouvant contribuer aÌ€ son déploiement : les sociétés de transport, les villes, les com- missions scolaires, les établissements du réseau de la santé (pour l’obtention d’espaces de stationnement), etc.
Au Québec, par exemple, déjaÌ€, en 1999, le gouvernement avait inclus l’au- to-partage dans son Plan d’action québé- cois 2000-2002 sur les changements climatiques. AÌ€ premié€re vue, donc, un grand pas en faveur de la reconnaissance officielle de ce service venait d’é‚tre franchi. Malheureusement, l’absence de mécanisme permettant aÌ€ l’EÌtat de con- crétiser ses intentions aÌ€ cet égard a fait en sorte qu’aucune initiative concré€te n’en a découlé. Et, aÌ€ la fin de 2002, lorsque le gouvernement du Québec décida de mener une nouvelle consultation afin de définir une nouvelle fois sa stratégie en vue de Kyoto, il n’était déjaÌ€ plus ques- tion du Plan d’action 2000-2002. Le do- cument avait d’ailleurs été effacé depuis belle lurette, déjaÌ€, du site Web du mi- nisté€re de l’Environnement tout comme l’idée de l’auto-partage qui était, elle, disparue des propositions préliminaires de solutions devant é‚tre discutées en com- mission parlementaire. Ça c’était en février 2003 ; en novembre 2004, la po- pulation du Québec fut aÌ€ nouveau con- sultée sur un projet de plan de développement durable.
Pendant que chez nous on consulte, des actions tré€s concré€tes sont prises un peu partout dans le monde. En Grande-Bretagne, pays ouÌ€ l’auto-partage ne compte que 2 200 adhérents (contre, rappelons-le, 7 000 au Québec et plus de 10 000 au Canada), le gouvernement a déjaÌ€ lancé les bases, en 2004, d’une action concertée de l’EÌtat pour « stimuler, accompagner et organiser le développement de l’auto- partage » (CERTU, 2005) ; l’An- gleterre rejoint en cela l’Italie (3 500 adhérents), qui s’est déjaÌ€ commise en faveur de l’auto- partage aÌ€ l’échelle nationale et qui a débloqué 9,3 millions d’eu- ros pour supporter les initiatives dans ce domaine. En Sué€de, pays ouÌ€ l’auto-partage ne compte que 2 000 adhérents, l’Administra- tion nationale des routes a déjaÌ€ commandité et publié plusieurs rapports sur le sujet. En France, ouÌ€ ce service est encore dans un état embryonnaire (moins de 2 000 adhérents), le gouverne- ment a déjaÌ€ financé plusieurs études sur le sujet et lancé une démarche devant mener aÌ€ l’adoption d’une définition légale de l’auto-partage. Ceci, dans le but d’é‚tre mieux en mesure d’encadrer et de supporter le développe- ment de ce service (de telles initiatives ont également été instaurées ou sont en voie de l’é‚tre en Angleterre, en Belgique et en Sué€de).
Plus pré€s de nous, aux EÌtats-Unis, soulignons l’initiative du maire de San Francisco (3 500 adhérents), Gavin Newsom, qui s’est engagé aÌ€ rendre l’auto-partage disponible aÌ€ 90 p. 100 des habitants de sa ville lors de la dernié€re campagne électorale. Pré‚chant d’ailleurs par l’exemple, le maire Newsom faisait la une du The Examiner de San Francisco, le 11 novembre dernier, alors qu’il troquait sa limousine de service pour un abon- nement au service local d’auto- partage. Le 4 mars dernier, c’était au tour du maire de Philadelphie, John Street, d’imiter son collé€gue en s’ins- crivant au service de PhillyCarShare (1 500 adhérents). Le maire se joignait ainsi aux 200 employés municipaux qui participaient déjaÌ€ aÌ€ un projet pilote tré€s novateur ayant permis aÌ€ la ville d’économiser pré€s de 2 millions de dollars annuellement en misant sur ce service pour réduire la taille de sa flotte de véhicules de service. Et on ne parle mé‚me pas ici des pays les plus avancés en la matié€re que sont la Suisse, l’Allemagne, la Hollande et l’Autriche.
Heureusement, sur le plan local, d’autres partenaires se sont montrés déjaÌ€ beaucoup plus réceptifs et se sont engagés, en janvier 2005, sur la voie de la « mobilité combinée ». C’est le cas du Réseau de transport de la Capitale (RTC), aÌ€ Québec, qui a été la premié€re société de transport au Québec aÌ€ franchir ce pas. Et cela fonctionne ! DéjaÌ€ 10 p. 100 des usagers de Communauto aÌ€ Québec se sont prévalus de cette offre qui leur donne accé€s, de mé‚me qu’aÌ€ leur famille immédiate, aÌ€ « L’abonne BUS ». L’abonne BUS consiste en un forfait d’abonnement annuel aux services du RTC graÌ‚ce auquel les clients de Communauto peuvent bénéficier d’une réduction de 10 p. 100 sur le prix d’achat de leurs 12 lais- sez-passer mensuels. Les revenus du RTC, au chapitre de la vente de ses laissez-passers, se sont déjaÌ€ accrus de 17 p. 100 aupré€s des usagers de Communauto et ce, malgré le rabais qui leur a été consenti.
C’est dire que les résultats observés en Europe ont le potentiel de se maté- rialiser ici. Des discussions sont main- tenant en cours entre Communauto et la Société de transport de l’Outaouais (STO) de mé‚me qu’avec la Société de transport de Montréal (STM) pour met- tre en place des offres semblables. L’Agence métropolitaine de transport de Montréal (AMT) est également en accord avec le principe et prévoit négocier un accord similaire avec Communauto d’ici le printemps 2006, pour le bénéfice des usagers qu’elle dessert en banlieue. Ailleurs au Canada, une entente de cette nature a également été conclue entre Virtucar (une compagnie d’auto-partage) et OC- Transpo aÌ€ Ottawa.
Est-ce aÌ€ dire que nous assisterons bientoÌ‚t au Canada aÌ€ un effet « bouledeneige »? Il est trop toÌ‚t pour le dire car d’autres partenaires, les autorités municipales notam- ment, devront se sentir interpellés pour que la voiture libre-service puisse déployer un réseau efficace sur leur territoire. La population se devant d’é‚tre desservie laÌ€ ouÌ€ elle habite, c’est-aÌ€-dire en plein cœur des quartiers résidentiels, la question du stationnement constitue un enjeu considérable dans le dossier de l’auto- partage. Et laÌ€ aussi les habitudes découlant d’une vision de l’utilisation strictement privée de l’automo- bile s’opposent aÌ€ l’élargissement de son usage aÌ€ des fins collectives. Par exemple, on craint de créer un précé- dent en accordant des privilé€ges aux véhicules libre-service sur des espaces publics hors rue. En ce qui concerne l’attribution d’emplacements sur rue, notamment en bordure de trottoir (la seule solution envisageable si on désire supporter ce service dans une optique de service de consommation de masse), on refuse de faire les compromis néces- saires dans les politiques de nettoyage des rues ou dans celles reliées au déneigement.
Des interrogations re- latives aÌ€ l’équité de telles décisions sont régulié€re- ment soulevées par les élus ou les fonctionnaires appelés aÌ€ trancher sur ces questions. Pourtant, il existe différentes manié€res déjaÌ€ bien acceptées et reconnues de respecter le principe d’équité dans la gestion des ressources publiques et d’encadrer le développement de services de nature publique bien qu’ils soient parfois gérés par des entreprises privées comme l’est l’auto-partage au Québec. C’est le cas, notamment, de la gestion des espaces de stationnement publics cédés en concession aÌ€ des com- pagnies dans de nombreuses villes, dont Montréal, de l’industrie du taxi, de plusieurs routes de transport public en banlieue. Et que dire des milliers d’emplacements publics concédés aÌ€ des individus en bordure de trottoir, le plus souvent gratuitement, pour garer un véhicule dont ils sont les propriétaires?
De fait, pour de nombreux inter- venants, la voiture libre-service ne fait pas encore partie de la solution mais bien du problé€me. On se soucie peu du fait que chaque véhicule libre- service mis en service au Canada dessert, en moyenne, plus de 20 per- sonnes et que ce service réduit la demande en espaces de stationnement plutoÌ‚t que de l’augmenter. AÌ€ plusieurs endroits, on bloque sur les recettes que les villes perdraient prétendument en retirant quelques parcomé€tres pour faire de la place aÌ€ des véhicules en temps partagés dans un secteur parti- culié€rement stratégique alors mé‚me que celles-ci refusent, pour la plupart, de considérer, par exemple, la possibilité de louer ces emplacement laÌ€ ouÌ€ il n’y a justement pas de parcomé€tres et laÌ€ ouÌ€ l’espace n’est normalement pas tarifé ; ce qui se traduirait pourtant par des revenus additionnels substantiels pour ces villes. Une partie de ces revenus pourrait mé‚me servir, par ric- ochet, aÌ€ financer directement les opérations des transporteurs publics
Ça bouge, cependant, dans cer- taines villes. C’est le cas aÌ€ Vancouver ouÌ€ le conseil s’appré‚te aÌ€ adopter un ré€glement qui incitera les construc- teurs d’habitation aÌ€ fournir des espaces de stationnement aux véhicules libre-service en leur permet- tant, en échange, de réduire leurs obli- gations quant au nombre d’espaces que ceux-ci devraient autrement inclure dans leurs projets : chaque place allouée aÌ€ l’auto-partage sera ainsi substituée aÌ€ la construction de trois aires de stationnement. AÌ€ Montréal, apré€s Outremont en 2004, un projet pilote prévoyant le station- nement en bordure de trottoir doit avoir lieu prochainement dans l’un des arrondissements de la ville en vertu du premier plan stratégique de développement durable de la collecti- vité montréalaise qui vient tout juste d’é‚tre adopté (janvier 2005).
Les progré€s sont lents, certes, mais ils sont palpables. Et il est plus que probable que les obstacles mentionnés s’estomperont dans l’avenir avec une meilleure connaissance de la formule et de ses retombées. Mais, il n’y a rien de plus difficile aÌ€ faire évoluer que les mentalités. Non pas précisément celles de la population mais bien celles de ses corps constituants. Et c’est sur cette bar- rié€re, jusqu’ici, que s’est le plus forte- ment heurté ce genre de service au Canada. C’est d’ailleurs ce qui nous dis- tingue de l’Europe, et mé‚me des EÌtats-Unis : aÌ€ savoir, l’absence presque totale d’implication des paliers de gouverne- ment supérieurs. Ceux-ci auraient pu, pourtant, é‚tre beaucoup plus pro-actifs depuis 10 ans et assumer un roÌ‚le de catalyseur important aupré€s des dif- férents partenaires potentiels et des insti- tutions. L’Italie n’a-t-elle pas modifié son code de la route par décret et ce, dé€s 1998, afin que l’auto-partage soit consi- déré comme un service de transport en commun? Pourquoi n’en ferait-on pas autant au Canada? Cela dit, on ne peut s’empé‚cher de remarquer, d’autre part, et c’est laÌ€ que réside l’aspect encourageant, la réceptivité tré€s forte de la population canadienne aÌ€ l’égard de l’auto-partage.
On peut consulter plusieurs des travaux et rapports mentionnés dans son article à : www.commauto.com