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Le prochain gouvernement fédéral que nous élirons, quel qu’il soit, en aura plein les bras. L’économie canadienne est obstinément morose. Les conflits mondiaux et les différends commerciaux mobilisent de l’attention et du temps précieux. Le logement, le climat, l’immigration, la réconciliation avec les Autochtones et les perturbations causées par l’intelligence artificielle s’ajoutent à la longue liste.

Le séparatisme québécois pourrait aussi redevenir d’actualité d’ici 2026, ce qui attirerait les tentatives d’ingérence étrangère comme un aimant.

Pour affronter ces écueils, le premier ministre, quel qu’il soit, devra se pencher sur les capacités, les performances et la productivité de la fonction publique. Il aura besoin d’un ministère fort à sa disposition. Ce serait néanmoins une erreur d’encombrer le Bureau du Conseil privé (BCP) d’un grand nombre de nouvelles fonctions, comme cela a été le cas dans le passé.

Au fil des années (au cours desquelles j’ai eu le privilège d’exercer de multiples fonctions sous plusieurs premiers ministres), le Bureau du Conseil privé a subi de nombreux changements, mais ses fonctions essentielles demeurent celles qui soutiennent les délibérations du cabinet et les rôles uniques joués par le premier ministre. Il s’agit notamment des relations avec les premiers ministres des provinces et d’autres dirigeants internationaux. Le BCP s’assure aussi du flot des décrets et nominations de l’exécutif.

Il existe également des équipes chargées de la sécurité nationale et du renseignement, tandis que d’autres doivent apporter un soutien consultatif sur les questions économiques et fiscales dans le cadre de l’élaboration des budgets fédéraux, en collaboration avec le ministère des Finances.

Le champ d’action potentiel du BCP est aussi vaste que les responsabilités suprêmes des principaux dirigeants du pays. C’est pour cette raison qu’il est souvent tentant pour un premier ministre d’ajouter des unités spéciales au BCP pour signaler qu’une question est prioritaire et qu’elle a besoin d’une dose supplémentaire d’orientation qui vienne du haut de la pyramide.

Au fil du temps, les fonctions spécifiques des équipes qu’on a ajoutées ou retirées au BCP ont toujours reflété les besoins des premiers ministres et l’époque qui les a vu gouverner.

Parmi les ajouts récents, on peut noter les relations canado-américaines, les villes, les questions autochtones et la première mouture d’un conseiller scientifique en chef, sous Paul Martin. Un groupe de travail sur l’Afghanistan, un autre sur l’harmonisation de la réglementation entre le Canada et les États-Unis, et un conseiller spécial en matière de passage de clandestins et de migration illégale, sous Stephen Harper. Un conseil jeunesse du premier ministre, un conseiller spécial sur les enjeux liés à la communauté LGBTQ2 et une unité des résultats et de la livraison, sous Justin Trudeau.

Mon conseil au prochain premier ministre : il devrait s’abstenir de faire des ajouts à la pièce au BCP pour envoyer des signaux politiques, et se montrer impitoyable lorsqu’il s’agit de les éliminer.

Avant d’en arriver là, la priorité devrait être de s’assurer que le BCP est à même de bien mener ses fonctions essentielles traditionnelles. Qu’il s’en tienne à son rôle central de soutien du cabinet. Qu’il soit agile et réactif face aux questions émergentes. Qu’il utilise des équipes de travail à court terme et des comités ministériels habilités à obtenir des résultats.

Des centres de pouvoir complémentaires

Ce serait une erreur de considérer le Bureau du Conseil privé comme une sorte de directeur des opérations relevant directement du premier ministre, comme cela a été suggéré récemment.

Le rôle du BCP n’en est pas un de commandement et de contrôle.

L’influence du greffier, qui dirige le BCP, ne provient pas de son autorité exécutive, mais de sa proximité avec le premier ministre. Les ministres et les hauts fonctionnaires se préoccupent de ce que le greffier pense et conseille – en matière de politique publique, mais aussi en ce qui concerne leurs performances et leurs opportunités professionnelles. Ils considèrent le greffier comme une personne capable de résoudre des problèmes, d’éliminer les obstacles, d’aplanir les frictions avec leurs ministères ou d’aider à régler les désaccords avec leurs collègues du cabinet.

Le véritable pouvoir du greffier est lié à son rôle lors des remaniements ministériels ou de la nomination des hauts fonctionnaires. Ce sont les conseils du greffier qui déterminent où aboutissent les sous-ministres, ainsi que leur rémunération annuelle.

De plus, en choisissant chaque année une ou deux priorités communes au sein de la fonction publique – les « priorités du greffier » – le greffier exerce également une influence considérable sur elle.

Cependant, l’autorité réelle et l’impact sur la gestion et la livraison des services par la fonction publique fédérale sont conférés par la loi au Secrétariat du Conseil du Trésor.

Le Secrétariat du Conseil du Trésor est le gardien incontournable de plus de 300 organismes fédéraux dont les plans d’affaires, les demandes de financement, les réorganisations et d’autres décisions administratives doivent être autorisés. Il est le « centre » d’où émanent les politiques, les réglementations et les directives en matière de gestion financière, de ressources humaines, de technologies de l’information, de marchés publics, de prestation de services, de sécurité et bien d’autres aspects du « comment » de la fonction publique.  Il a notamment publié un guide sur l’utilisation de l’intelligence artificielle.

De plus, le Conseil du Trésor est l’employeur de la plupart des fonctionnaires fédéraux. Il s’occupe des négociations collectives au nom de presque tous les ministères et détermine les règles du jeu en matière de classification et de recrutement. C’est lui qui a déterminé les modèles changeants et controversés du travail hybride pour les fonctionnaires.

Rationaliser le processus décisionnel

Le prochain gouvernement serait bien avisé d’accorder une attention particulière à l’efficacité et à la productivité de la fonction publique, mais ce n’est pas en grossissant le BCP qu’il y parviendra. Le meilleur moyen d’y arriver serait plutôt de renforcer le rôle du Conseil du Trésor. Il n’y a pas de chemin vers une réforme sérieuse de la fonction publique qui ne passe pas par le Conseil du Trésor.

De meilleurs résultats pourraient être obtenus de plusieurs façons, notamment en :

  • Renommant le Conseil du Trésor et lui donner une nouvelle image en tant que Conseil de gestion et de mise en œuvre, afin d’exprimer clairement l’étendue et la profondeur de son rôle;
  • Ajoutant la mention « directeur des opérations du gouvernement du Canada » aux titres du ministre et du sous-ministre;
  • Publiant le rapport annuel sur la fonction publique par l’intermédiaire du ministre du Conseil de gestion et de mise en œuvre plutôt que par le greffier du BCP;
  • Créant un conseil consultatif permanent sur la fonction publique et en le plaçant sous l’autorité du ministre du Conseil de gestion et de mise en œuvre, qui serait tenu de publier ses rapports;
  • Finançant de la recherche et des consultations dans le but de générer une chaîne continue d’idées et de contributions sur la manière de rendre la fonction publique fédérale plus efficace et plus productive;
  • Dotant le Conseil de gestion et de mise en œuvre d’une plus grande autorité sur les autres ministères et agences, y compris le pouvoir d’interrompre ou de mettre fin aux achats et aux projets technologiques qui ont dérapé.

Ces changements apporteraient de la clarté, de la responsabilité et de la traction au système de gestion parfois un peu lourd qui supervise le service public. Le plus grand avantage est qu’ils renforceraient les capacités et l’efficacité du service public tout en libérant le greffier du Bureau du Conseil privé, qui pourrait se concentrer sur la stratégie, les priorités et la cohérence des politiques, et orienter les nominations des hauts fonctionnaires en fonction des nouveaux défis qui se présenteront d’ici la fin de la présente décennie.

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Michael Wernick
Michael Wernick a été le 23e greffier du Conseil privé, de 2016 à 2019, après avoir été sous-ministre fédéral pendant de nombreuses années. Il est consultant chez MNP Digital, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public à l’Université d'Ottawa et auteur de Governing Canada.

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