Les médias sont au cœur de notre régime démocratique. Trop souvent négligés, ils sont pourtant le principal outil dont disposent les citoyens pour faire un choix éclairé devant les différentes options qui s’offrent à eux. D’ailleurs, plusieurs estiment qu’il est primordial que les citoyens aient d’abord les acquis nécessaires leur permettant de mieux comprendre l’information qui leur est transmise. La vitalité démocratique d’une société est donc souvent mesurée selon la liberté de presse, l’accessibilité aux médias et la diversité de l’information. Pourtant, les médias des pays occidentaux ont été la cible de nombreuses critiques au cours des dernières décennies, et le Canada n’y a pas échappé.

Le nœud du problème, c’est la propriété des médias. Personne ne veut de médias étatiques comme la Pravda, et on souhaite donc un rôle effacé de l’État, qui indique de grands objectifs mais qui, en principe, n’intervient pas dans les lignes éditoriales. Les médias qui appartiennent à des entreprises privées ont pourtant de telles lignes, qui peuvent correspondre ou non à celle des partis au pouvoir. De plus, quelle que soit la position politique des sociétés qui investissent dans les médias, leur intérêt économique aura tout de même un impact sur ce qui sera publié et diffusé. En effet, selon la structure économique traditionnelle des médias, ce n’est pas tant le contenu que les clientèles de lecteurs et d’auditeurs que l’on vend aux publicitaires. C’est ce qui amène les médias à tendre vers le sensationnalisme, les scoops et l’info-divertissement. Si on ajoute à cela la rationalisation des ressources accordées aux journalistes (travail à la pige, moins de temps et de personnel pour faire des enquêtes, etc.) et les obligations liées au direct à l’instantanéité et à la multiplication des plateformes médiatiques, on comprend mieux le contexte difficile dans lequel s’exerce le métier de journaliste et pourquoi les enjeux politiques de fond font rarement la une.

La façon dont les médias traitent de la politique agace également. En effet, celle-ci est souvent présentée comme une course de chevaux (horserace), surtout en période électorale, alors qu’on évalue les chances de l’emporter de chacun des candidats ou des partis (stratégies, qualités des candidats, clientèles électorales ciblées), mais sans parler des véritables enjeux sous-jacents. Les médias accordent aussi une place démesurée aux sondages et à la couverture des activités des chefs des principaux partis, les petits partis ne présentant que peu ou pas d’intérêt. Ils cherchent à aller prendre le pouls des électeurs (c’est-à-dire jauger leurs émotions), ce qui se résume souvent en une série de clichés sur les régions assortie de commentaires de gens peu politisés. Or, selon plusieurs, cette façon désincarnée de présenter la politique ― où l’on ne s’attarde jamais aux motivations des citoyens à s’engager en politique ― pourrait expliquer en bonne partie le cynisme et le désintérêt à l’égard de la politique.

Malgré tout, on constate un regain d’attrait pour la vie politique en période électorale, tant de la part des médias que de la part des citoyens. Les études montrent qu’il y a même un gain informationnel ― bien qu’inégal ― lors des campagnes électorales, et ce, à la fois chez les personnes politisées et chez celles qui le sont moins. On observe par ailleurs que les médias font beaucoup d’efforts pour innover dans leur couverture de la politique. Ainsi, lors des dernières élections provinciales au Canada, la SRC/CBC offrait la Boussole électorale, un outil interactif destiné à aider les citoyens à déterminer leur choix électoral à partir des principaux énoncés des partis. Le diffuseur proposait aussi sur sa plateforme Web des dossiers concernant les positions des partis sur certains grands thèmes. De son côté, le Globe and Mail publie à chaque élection un guide qui présente les promesses électorales, mais qui cherche également à exposer les faits et à éclairer les enjeux selon les thèmes centraux de l’élection. Tous les grands médias canadiens effectuent désormais une vérification des faits énoncés durant une campagne électorale ou lors des débats des chefs (à la SRC, il s’agit de La vérif ; à la CBC, de Fact Check). Lors des élections québécoises de l’automne 2018, le magazine L’actualité a quant à lui mis en ligne l’outil interactif Comment se porte votre circonscription ?, qui abordait la situation socioéconomique des circonscriptions (revenu, éducation, pauvreté) et les balados Esprit de campagne, qui traitaient de différents thèmes liés à la campagne électorale. Enfin, la SRC a également produit des capsules informatives au ton humoristique sur la plateforme Rad, comme l’a fait Québecor avec Tabloïd. Québecor avait de plus une section de nouvelles plus divertissantes concernant la campagne fédérale de 2015 intitulée « Perdus en campagne » et, durant la campagne québécoise de 2018, une autre appelée « Zone Assnat ». Ces différentes capsules semblaient viser les jeunes électeurs, qui écoutent moins la télévision que le reste de la population, mais qui consultent les sites Internet des grands médias. On constate d’ailleurs que le contenu des sites Internet de ceux-ci devient beaucoup plus important que leur support original (télévision, journal, radio), et que le virage numérique est complètement assumé.

En effet, même si la télévision domine encore les autres médias pour ce qui est des heures d’écoute et que les partis politiques misent encore beaucoup sur ce médium, il n’en reste pas moins que de plus en plus de contenu est axé sur une diffusion directe via Internet. Les médias sociaux sont d’ailleurs mis à profit de différentes manières, notamment lors des débats électoraux, que ce soit par des questions que le public pose aux candidats ou par des interactions en temps réel. Ils sont devenus incontournables et les candidats les utilisent pour informer directement les électeurs et y diffuser leurs publicités.

On pourrait croire qu’il s’agit ici de l’aboutissement du rêve de tout politicien : passer son message sans le filtre des médias. La réalité est tout autre. D’abord, il est difficile de rejoindre les citoyens. C’est souvent par l’intermédiaire des médias traditionnels qu’on acquiert une certaine notoriété et qu’on peut susciter l’intérêt. Les abonnés sont bien souvent des sympathisants ou encore des gens de la sphère politico-médiatique ― quand ce ne sont pas carrément des opposants. Or ce n’est pas de cette manière que l’on recrute de nouveaux électeurs, d’autant plus que ceux-ci se trouvent devant une telle diversité informationnelle qu’il leur est difficile de choisir.

L’importance accrue d’Internet comme source principale d’information politique est telle que l’accès à l’information devient très individualisé : tous n’ont pas les mêmes informations, et celles-ci sont tributaires des intérêts préexistants.

En outre, l’importance accrue d’Internet comme source principale d’information politique est telle que l’accès à l’information devient très individualisé : tous n’ont pas les mêmes informations, et celles-ci sont tributaires des intérêts préexistants. Dans les années 1980, on parlait déjà d’« attention sélective », un processus cognitif par lequel les gens vont vers les informations qui correspondent à ce qu’ils veulent entendre. Ce phénomène est maintenant décuplé par l’accès individuel à l’information et il atteint son paroxysme grâce à l’existence des algorithmes, qui offrent un contenu informationnel en fonction de ce qu’on a déjà vu et cherché sur Internet. La polarisation se fait d’autant plus aisément que ce contenu informationnel devenu univoque contribue au renforcement des attitudes préexistantes. L’opinion sous différentes formes ― chroniques, blogues (notamment de journalistes), commentaires sur les nouvelles, résultats de sondages ― sert souvent de raccourci heuristique à ceux qui n’ont pas le temps ou qui ne sont pas en mesure de se faire une idée devant la multitude d’informations qu’ils reçoivent. Il s’ensuit une segmentation des auditoires que les politiciens essaient tant bien que mal d’exploiter par des promesses clientélistes.

Tant l’offre médiatique que la façon dont les politiciens s’y sont adaptés laissent donc l’impression que la vie démocratique se résume à celle d’électeurs qui « magasinent » les propositions des partis selon ce qui correspond le mieux à leurs caractéristiques individuelles. Pour ceux qui n’ont pas les habiletés ou les connaissances nécessaires pour trier les informations reçues, l’impression que donnent les candidats et le degré de confiance qu’ils inspirent (« Avec quel chef aimeriez-vous prendre une bière ? », demandent les sondages) deviennent essentiellement l’aulne pour juger de leur compétence. Les médias ont fait des efforts louables, mais seul un ensemble de mesures, notamment une révision de la structure médiatique et une éducation civique, permettront aux citoyens de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la vie politique, et les incitera à être bien davantage que de simples électeurs.

Cet article fait partie du dossier Les médias face aux élections canadiennes.

Photo : Shutterstock / Fit Ztudio


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Catherine Côté
Catherine Côté est professeure agrégée à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. Ses recherches portent sur les dynamiques de communication politique et d’opinion publique, notamment le cynisme et les changements de valeurs.

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